Modernisation numérique du ministère de l'Intérieur : quid des infrastructures réseaux ?

La modernisation des infrastructures réseaux pour partager des informations et des preuves entre les différents services du ministère de l'Intérieur et ceux du ministère de la Justice est à aborder.

Suite logique du Beauvau de la sécurité, le projet de loi LOPMI donnera au ministère de l’Intérieur les moyens, notamment numérique, de remplir ses missions. L’investissement massif dans le domaine technologique est nécessaire, toutefois, un volet ne semble pas avoir été encore suffisamment évoqué. 

Moderniser les outils de travail des forces de l’ordre est un sujet depuis déjà de nombreuses années. S’il faut saluer les efforts déjà fournis en matière d’équipement, notamment avec des caméras, des drones, des tablettes et des smartphones résistants pour tous les agents, avec la promulgation prochaine du projet de loi LOPMI, il semble que le processus va encore accélérer avec notamment le renforcement des effectifs et du travail collaboratif. Mais un point essentiel reste flou concernant sa mise en œuvre : sur les 7,5 milliards d’euros qui seront alloués aux investissements numériques dans la sécurité, qu’en sera-t-il de gestion de la donnée et des infrastructures réseaux utilisées pour le partage des preuves entre les préfectures de deux régions ... ou avec le ministère de la Justice ? Si lutter contre la cybercriminalité est l’un des objectifs affichés par ce projet de loi, de nombreux officiers ont encore recours à des méthodes archaïques pour partager les preuves vidéo qu’ils ont recueilli. 

Pour collaborer, il faut renouveler les tuyaux  

Dernière les mots  cloud  et wifi , se cachent d’une part des milliers de kilomètres de câbles qui relient des centres de données à des prises téléphoniques et des ordinateurs. Et d’autre part, les technologies cellulaires telles que la 4G-5G et le RRF (Réseau Radio du Futur) en cours d’expérimentation notamment par les services de secours. Et pour que tout ce réseau fonctionne correctement, il faut d’un côté que les équipements des personnels soient adaptés aux besoins, et de l’autre que la direction du numérique soit au fait des investissements dans toutes ces évolutions d’équipement afin qu’ils puissent prévoir que les câbles et les canaux utilisés fournissent une bande passante suffisante pour laisser passer les fichiers de preuves quelles que soit leurs tailles.  

C’est l’un des problèmes que rencontre les forces de l’ordre actuellement. Certains officiers de polices judiciaires (OPJ) doivent encore utiliser des disques durs externes ou graver des CD pour partager des documents avec leurs collègues opérant dans une autre juridiction ou avec les professionnels du droit. Des procédures archaïques qui rallongent le temps de traitement des informations et impactent immanquablement le temps judiciaire. Et ce, malgré les lignes directrices concernant la transmission de preuves édités par le Conseil de l’Europe en 2019, qui recommande notamment d’encourager et de faciliter la transmission des preuves électroniques par des moyens électroniques afin d’améliorer l’efficacité des procédures judiciaires. 

Toutefois, si le temps de la justice n’est pas celui des hommes, la transformation des systèmes d’informations dans laquelle s’est engagée le ministère a pour ambition de rendre la justice plus accessible et plus rapide. Mais surtout de faciliter les échanges avec les justiciables. L’ambition du projet de loi LOPMI est similaire pour le ministère de l’Intérieur, encore faut-il penser aussi à ce qui ne se voit pas mais qui est clé dans le processus : l’infrastructure réseau. 

Plus d’ouverture et plus de sécurité  

La loi sur la sécurité intérieure parue au journal officiel le 25 janvier 2022 autorise, entre autres, la transmission des images en direct. Qu’il s’agisse d’images captées par des caméra-piétons, des caméras embarquées ou des caméras de surveillance fixe, les forces de l’ordre ont accès à d’avantage de technologies et de contenus vidéo, mais encore faut-il pouvoir exploiter ces données. Le coût d’investissement nécessaire à la modernisation des flux numériques au sein du ministère de l’Intérieur est à mettre en rapport avec les économies aussi bien budgétaires que de temps qui seront réalisées. C’est ce qu’on peut déjà observer en Estonie, équipée de fibre optique et d’infrastructures numériques, où 99% des services administratifs se font en ligne. Le pays économiserait 2% de son PIB. 

Dans le monde, certaines villes ont franchi le pas et exploitent pleinement les capacités des infrastructures de réseaux numériques. C’est le cas de la ville de Londres qui a réduit significativement le traitement et le classement des affaires impliquant des preuves vidéo. Le Metropolitan Police Service a été le premier service de police du Royaume-Uni à transmettre des preuves au système judiciaire via des canaux numériques sécurisés. A ce jour, ce sont près de 5 500 preuves vidéo mensuelles qui sont transmises de cette manière. 

Espérons que le travail en cours de modernisation des moyens mis à disposition à la fois des forces de l’ordre et des professionnels du droit prendra en considération tous les services qui composent le système judiciaire et exécutif. Nul doute que la continuité du gouvernement, fraichement annoncé, permettra de faire de ce sujet une priorité.