Etat français et souveraineté numérique : je t'aime moi non plus

A en croire l'Etat français et les grandes entreprises qui pleurent sur la perte de leur souveraineté numérique, les solutions américaines sont une fatalité par manque d'alternative... Vraiment ?

La souveraineté numérique, ce n’est pas privilégier aveuglément tout ce qui se pare de bleu blanc rouge : les GAFAM ne sont pas problématiques parce qu’ils sont américains mais parce qu’ils sont beaucoup trop puissants et qu’ils en profitent pour imposer leurs règles, leurs conditions et leurs lois : la souveraineté, c’est avoir la capacité de choisir et d’agir sans pression ni contrainte.  

Pour cela il faut que les acteurs français aient les compétences, apportent des solutions viables et pérennes qui puissent être choisies par les donneurs d’ordre, et qu’ils soient reconnus et soutenus dans les décisions politiques.

Open source et souveraineté numérique

Le rôle clef du logiciel libre comme moyen de reconquête d'indépendance économique vis-à-vis d'acteurs extra-communautaires et de préservation d'emplois qualifiés au sein de l'Union est largement reconnu. La Commission Européenne notait en novembre 2020 que "le modèle du code source ouvert a une incidence sur l'autonomie numérique de l'Europe […] Il donnera probablement à l'Europe une chance de créer et de maintenir sa propre approche numérique indépendante par rapport aux géants du numérique dans le cloud et lui permettra de garder le contrôle de ses processus, de ses informations et de sa technologie".

Malgré ces constats et quelques signes forts comme la fameuse note de la Dinum interdisant le déploiement de Microsoft 365 dans les ministères ou encore le rattachement récent de la "souveraineté numérique" au Ministère de l’Economie, l’Etat (et les grandes entreprises) semble embourbé dans une forme de "faites ce que je dis, pas ce que je fais".

C’est le cas pour le fameux cloud de confiance. En oubliant la notion clé d’indépendance technologique, l’Etat encourage en fait les organisations à choisir les solutions américaines. Quelle souveraineté si tout le monde s’équipe en licences américaines, en signant ainsi la fin des solutions françaises ou européennes ? Quelle capacité de négociation lorsque nous n’aurons plus d’alternatives ou de capacité de faire ? Quel plan B ou alternative lorsque le bras de fer viendra au niveau des prix ou - plus grave - de limitations (voire d’interdiction) sur ces solutions suite à des remous géopolitiques ?

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Le gouvernement et les grandes organisations prônent la souveraineté mais, à les écouter, il n’y aurait pas de solutions françaises ou européennes qui permettraient de la mettre en œuvre. Ce gros mensonge est le résultat d’une forme de paresse intellectuelle pour reprendre la formule de l’Institut Français de la Souveraineté Numérique, mais aussi (et peut-être surtout) d’un lobbying intense des géants aux moyens quasi-illimités.

Or, il est tout simplement faux de dire qu’il n’existe pas d’alternatives souveraines. Le discours de l’État, dévalorisant avec récurrence les technologies françaises et européennes pour justifier les choix court-termistes devient suicidaire pour tout l’écosystème tech français.

Pour réellement prendre en compte la souveraineté, nous avons besoin d’une stratégie industrielle au niveau du numérique et non de coups de plâtre ou rustines permettant de prolonger la situation actuelle avec un semblant de coloration souveraine.

L’éditeur open source : la réponse plus que le problème

Alors que 90% du logiciel libre est développé par des éditeurs, le métier d’éditeur open source lui-même est insuffisamment reconnu et trop souvent nié pour des raisons idéologiques y compris par les fondamentalistes du logiciel libre.

Un client potentiel ne voit souvent l’open source que comme un moyen de baisser sa facture en s’émancipant des éditeurs propriétaires dont il se sent captif. De son côté l’Etat et certains partisans un peu trop dogmatiques, s’ils poussent l’open source, le limitent souvent à leurs propres réalisations. Ils s’acharnent d’ailleurs trop souvent à vouloir réaliser ou bricoler leurs propres solutions, même non régaliennes ou non spécifiques avec comme argument que pour eux l’open source n’est que du service.
Rien de ceci ne fonctionne ! Et l’ensemble des protagonistes se plaint d’une carence en solutions open source crédibles comme alternatives.

L’erreur souvent commise est de transformer l’aversion légitime envers les grands éditeurs et leur comportement monopolistique voire outrancier en une aversion vers l’éditeur au sens large qui est vu comme un parasite commercial.

Le résumé est pourtant simple. Pour développer une solution pérenne et de qualité sur le long terme, qui réponde aux exigences techniques, fonctionnelles et d’écosystème, il y a un métier : éditeur. On ne développe pas une solution à coup de prestations de service ou de support. Le résultat est toujours le même ! Ceci revient d’ailleurs à nier l’apport d’un éditeur et ne pas comprendre le métier de développement de solution, le développement de nouvelles fonctionnalités n’étant qu’une petite partie des travaux à réaliser.

Le métier d’éditeur ne s’improvise pas et nécessite des engagements long terme, une gouvernance efficace, des capacités de vision, d’anticipation, de développement, de qualité et de maintenance importants, ainsi que toute l’organisation pour répondre aux demandes et besoins des clients et partenaires qui veulent une solution ! Or une solution ce n’est pas un code source… mais un produit fiable, supporté, de qualité, qui plait aux utilisateurs pour un coût raisonnable et lisible.

Travailler avec un éditeur open source plutôt que d’essayer de le contourner permet de maximiser les chances de succès, d’avoir une meilleure solution, de garantir la continuité du logiciel, de bénéficier des meilleures compétences tout en faisant des économies et en privilégiant une philosophie ouverte qui bénéficiera à tout le monde.

Qu'ils soient une entreprise, une association ou une fondation, que leur but soit lucratif ou non, les éditeurs sont les garants de l’avenir des solutions open source.

Un peu d’espoir dans ce monde de brutes

Ce manque de vision ou de volonté étatique doit être corrigé rapidement, mais il ne doit pas masquer tout espoir car :

  •  une volonté forte semble se fait sentir, portée par Thierry Breton ainsi qu’au niveau de l’Europe 
  • Le parlement Européen a approuvé le DMA et le DSA pour encadrer le « Far West Numérique »,
  • Il existe de vraies solutions françaises qui font le travail de fond pour proposer des alternatives crédibles et valables, avec une organisation nationale, le CNLL, Conseil National du Logiciel Libre, qui œuvre pour les mettre en valeur.

Les éditeurs de logiciel sont là. Les solutions sont disponibles y compris en open source. Reste à mettre les actes en face des beaux discours et à les choisir.