Informatique quantique : 2025 démarre sur les chapeaux de roue
L'ordinateur quantique est-il en passe de se démocratiser ? Oui, si l'on en croit ce qu'écrit Microsoft dans une étude parue dans le magazine scientifique Nature le 19 février dernier. Le géant de l'informatique y dévoile les dernières avancées de ses chercheurs, qui auraient trouvé une nouvelle manière de construire des qubits, les pierres fondatrices des ordinateurs quantiques. Un progrès qui, selon l'entreprise, pourrait ouvrir la voie à la commercialisation de ces machines d'ici la fin de la décennie.
S'il existe déjà des ordinateurs quantiques opérationnels, il s'agit de machines coûteuses, au fonctionnement extrêmement complexe, qui ne peuvent être manipulées que par des scientifiques dans un environnement adapté. Microsoft, avec sa découverte, entend faire passer l'ordinateur quantique du domaine de la recherche scientifique à celui de l'innovation technologique.
Les travaux menés par les chercheurs de Microsoft visent à résoudre un problème bien connu de ceux qui s'intéressent à l'informatique quantique : la décohérence, ou le fait que les qubits, fragiles par essence, génèrent facilement des erreurs et perdent rapidement leur état quantique lorsqu'ils interagissent avec leur environnement. Plusieurs solutions sont envisagées pour compenser cette faiblesse. Certains proposent d'empiler un très grand nombre de qubits pour compenser le risque de décohérence. D'autres, comme la jeune pousse française Alice & Bob, avec son "qubit de chat", planchent sur des qubits plus résistants aux erreurs.
Majorana, une nouvelle donne pour le quantique
C'est également la voie privilégiée par Microsoft, qui s'est appuyée sur des particules baptisées Majoranas (en hommage au physicien italien Ettora Majorana, qui avait prédit leur existence dans les années 1930) pour concevoir des qubits dits "topologique", stables et peu influencés par l'extérieur. Microsoft dévoile aussi, dans son papier de recherche, une puce quantique, la Majorana One, contenant huit de ces qubits topologiques. Selon l'entreprise, elle devrait donc permettre la commercialisation de machines quantiques dans les prochaines années. Un calendrier ambitieux qui vient directement contredire les dernières déclarations de Jensen Huang, le patron de Nvidia, selon lequel il faudrait au moins une vingtaine d'années avant d'obtenir des ordinateurs quantiques utiles.
Plusieurs zones d'ombres restent toutefois à éclaircir quant aux annonces de Microsoft. En particulier, aucune preuve concernant l'identification d'une particule de Majorana n'est donnée. Le papier de recherche publié dans Nature est d'ailleurs clair à ce sujet, tandis que la communication de l'entreprise l'est beaucoup moins, ce qui a conduit plusieurs chercheurs à tempérer l'annonce de Microsoft. D'autant qu'en 2018, des chercheurs de l'entreprise ont déjà dû rétracter un papier publié dans Nature et affirmant avoir observé les particules de Majorana, après que d'autres chercheurs ont souligné des incohérences dans les données publiées.
Vers l'Internet quantique
Reste que l'annonce témoigne du dynamisme de la recherche autour de l'informatique quantique. D'autant qu'elle n'est pas un cas isolé. En décembre, des chercheurs de Google ont également publié dans la revue Nature un papier proposant une méthode pour réduire le taux d'erreur des qubits. Afin de limiter leur instabilité, les chercheurs du géant californien ont opté pour des qubits "de surface", qui viennent protéger chaque qubit pour limiter au maximum son risque d'erreur.
La jeune pousse Alice & Bob a de son côté récemment levé 100 millions d'euros, qui vont lui permettre de commencer à industrialiser la production de ses processeurs quantiques. S'il y a encore du pain sur la planche, les travaux visant à résoudre le problème de la décohérence quantique avancent donc rapidement.
Mais ce n'est pas tout. Début février, des chercheurs de l'Université d'Oxford ont atteint une étape majeure dans la téléportation quantique, un processus permettant de transférer l'état quantique d'une particule à une autre, située à distance, sans les déplacer physiquement. Un procédé rendu possible par l'intrication quantique, un phénomène de la mécanique quantique qui fait que deux particules deviennent inséparables et demeurent corrélées, même lorsqu'elles se trouvent à une grande distance l'une de l'autre.
Des scientifiques étaient déjà parvenus à transférer des données d'un point à un autre en s'appuyant sur ce phénomène, mais les chercheurs d'Oxford sont pour la première fois parvenus à téléporter une porte logique, étape clef vers la téléportation d'un algorithme. Les chercheurs affirment ainsi que leurs travaux pourraient fournir les fondations d'un futur internet quantique, qui offrirait un réseau de communications et de computation ultra-sécurisé. Cette université compte parmi les meilleures au monde pour la recherche sur la quantique et a déjà entraîné la création de jeunes pousses pionnières dans ce domaine, comme Oxford Ionics.
Les clefs quantiques pour protéger les communications
L'informatique quantique promet de révolutionner le futur des communications. L'algorithme de Shor, du nom du mathématicien qui l'a conçu en 1994, permettrait théoriquement à un ordinateur quantique de casser les problèmes de cryptographie traditionnelle, et donc de décrypter toutes les communications existantes. Les techniques de chiffrement doivent donc évoluer pour se préparer à cette évolution. C'est ce qu'ambitionnent de faire Thalenias Alenia Space, une coentreprise entre le groupe français et l'italien Leonardo, et l'espagnol Hispasat, avec leur collaboration annoncée fin janvier. Les deux entreprises vont mettre en place un système quantique de distribution de clefs de chiffrement par satellite, au service de communications ultra-sécurisées.
"Les ordinateurs quantiques seront très performants pour factoriser les nombres premiers, ce qui va leur donner la possibilité de craquer les systèmes de clefs asymétriques qu'on utilise aujourd'hui. Nous allons donc devoir retourner à des clefs symétriques, qui seront partagées avant chaque communication ou avec chaque volume de communication", explique Angel Alvaro, R&D manager chez Thales Alenia Space.
"Le problème, c'est que faire transiter une clef symétrique sur les réseaux, c'est prendre le risque qu'elle soit interceptée. La distribution de clef quantique, elle, qui s'appuie sur le transfert de photons, permet de faire cette transmission avec la garantie mathématique que la clef a été bien partagée sans interférence, car si quelqu'un a intercepté la clef, on peut immédiatement s'en apercevoir. En effet, du fait des propriétés de la mécanique quantique, on ne peut pas observer des photons sans les modifier : si on voit qu'ils sont modifiés, c'est donc que la clef est compromise." Les deux entreprises ambitionnent d'avoir un système opérationnel pour 2029, au service de clients dans la banque, les télécoms et l'énergie.