Y a pas que l'IA : l'informatique quantique française confirme ses bons débuts

Y a pas que l'IA : l'informatique quantique française confirme ses bons débuts La France a les moyens de s'imposer dans cette technologie de pointe grâce à la force de son écosystème de recherche, mais a besoin de davantage d'investissements privés.

La performance est plus que louable : sur un marché des levées de fonds morose, la jeune pousse française Alice & Bob a levé fin janvier cent millions d'euros pour développer son ordinateur quantique. Elle ambitionne de livrer en 2030 un premier produit utilisable par les entreprises pour générer de la valeur. Le fait qu'une technologie qui semble ésotérique au commun des mortels et ne donnera sa pleine valeur que dans quelques années parvienne à attirer les investisseurs en période d'incertitude en dit long sur la confiance qu'ont ces derniers dans l'écosystème quantique français.

Alice & Bob égale ainsi la performance réalisée par Pasqal, une autre jeune pousse quantique français, deux ans plus tôt, dans un contexte toutefois plus favorable aux levées de fonds. Tout comme sa consœur spécialisée dans l'informatique quantique à atomes neutres, Alice & Bob s'est fait un nom dans le domaine de l'ordinateur quantique grâce à son excellence en matière de recherche. En mars 2022, elle a défrayé la chronique en mettant au point le bit quantique supraconducteur le plus stable au monde, surnommé "qubit de chat", en honneur au célèbre paradoxe de Schrödinger. Permettant un taux d'erreur bien moindre par rapport aux qubits classiques, il offre un chemin vers la résolution de l'un des gros problèmes de l'informatique quantique : l'instabilité, qui oblige à empiler les qubits pour compenser la marge d'erreur.

La jeune pousse entend désormais entrer en phase de production, avec la création d'une salle blanche en Ile-de-France pour y produire ses processeurs quantiques. Elle compte également lancer un vaste plan de recrutement, avec pour objectif d'atteindre 200 salariés d'ici début 2027, contre une centaine actuellement. En attendant, la jeune pousse fait déjà profiter la direction générale de l'armement et plusieurs groupes industriels de son expertise dans cette technologie de pointe.

Soutien de l'Etat

D'Alice & Bob à Pasqal, en passant par Quandela (qui a annoncé ce 11 février réduire par 100 000 la complexité de fabriquer des qubits), C12 Quantum electronics et CryptoNext Security, la France dispose d'un vibrant écosystème de jeunes pousses quantiques, comptant sans conteste parmi les meilleurs au monde. Des performances qui s'expliquent notamment par l'excellence de la recherche fondamentale française dans ce domaine. Pasqal a par exemple été cofondé par Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 pour ses travaux sur la mécanique quantique. Serge Haroche, qui a également reçu la prestigieuse récompense pour ces travaux dans ce domaine, joue quant à lui le rôle de conseiller auprès du programme La Maison du Quantique. Lancé par Station F, il rassemble des start-ups et industriels autour de la technologie.

Le CNRS, le CEA, le laboratoire de physique de l'ENS Paris (dont est issue C12 Quantum Electronics) et l'Inria (à travers le programme QuantumTech) mènent chacun des recherches de pointe en informatique quantique. En plus de produire des connaissances susceptibles de déboucher sur des créations d'entreprises, ces institutions offrent aux jeunes pousses des opportunités de partenariats et de débouchés. L'an passé, Pasqal a par exemple livré sa première machine au CEA, qui l'utilise pour réaliser du calcul scientifique à haute performance. La jeune pousse Quandela a de son côté été retenue dans le consortium chargé de livrer cette année le plus grand calculateur quantique photonique d'Europe, qui sera intégré au supercalculateur du CEA, situé à Bruyères-le-Châtel, dans l'Essonne.

L'écosystème quantique français bénéficie en outre depuis plusieurs années d'un important soutien des pouvoirs publics. La quantique est identifiée comme une priorité par l'Etat français, qui l'a inscrite dans le plan d'investissement France 2030. En janvier 2021, Emmanuel Macron a démarré un plan d'investissement de 1,8 milliard d'euros sur cinq ans autour de cette technologie. BPI France a également lancé fin 2023 un incubateur de start-ups quantiques. A l'échelon européen, le "quantum flagship" est, quant à lui, doté d'un milliard sur dix ans.

Les US dominent

Malgré son excellence en matière de recherche et de technologie, la France reste toutefois un petit poucet face aux Etats-Unis, leaders actuels du marché. Une étude du BCG parue en mai 2023 montrait ainsi que la part de marché des Etats-Unis dans le secteur était déjà près de deux fois supérieure à celle de l'Union européenne (27% contre 14%, dont 3% pour la France). Si le soutien des autorités est bien au rendez-vous, l'écosystème français peine encore à attirer les capitaux privés : comme le note une récente étude de l'Institut Montaigne, la France capte à peine 1% des levées de fonds dans le logiciel quantique en 2024, alors même qu'elle occupe la deuxième place mondiale sur les infrastructures quantiques avec 28% du marché, juste derrière les Etats-Unis (32%).

Cette faiblesse se retrouve malheureusement à l'échelle de l'Union. L'Europe compte moins d'une dizaine de fonds spécialisés dans l'informatique quantique, pour une enveloppe totale ne dépassant pas quelques centaines de millions d'euros. La France ne s'en sort du reste pas si mal au milieu de ses voisins, notamment grâce au fond Quantonation. Créé en 2018, il a réalisé l'an dernier une levée de fonds lui permettant de disposer d'une enveloppe de 200 millions d'euros. Pas suffisant, cependant, pour rivaliser avec la formidable puissance de frappe des Américains. Fin 2024, la jeune pousse Continuum a levé à elle seule 300 millions de dollars auprès de plusieurs investisseurs, dont JPMorgan Chase et Honeywell. IBM a de son côté investi 100 millions de dollars dans la création d'un ordinateur quantique de 100 000 qubits, en partenariat avec les universités de Tokyo, de Séoul et de Chicago, et ambitionne de former 40 000 ingénieurs.

2025, année du quantique

2025 pourrait en tout cas être un grand cru pour l'industrie, et pas seulement parce que nous fêterons les cent ans des équations d'Erwin Schrödinger et Werner Heisenberg, qui ont posé les bases de la théorie quantique. Les Nations unies ont en effet désigné l'année 2025 comme l'Année internationale des sciences et technologies quantiques, ouvrant la porte à l'organisation d'un grand nombre d'événements pour mieux faire connaître cette discipline au grand public.

Plusieurs événements seront également à suivre de près cette année. Les entreprises devraient commencer à déployer la cryptographie post-quantique à grande échelle. Celle-ci vise à rendre les algorithmes utilisés pour crypter les données insensibles aux ordinateurs quantiques, qui auront vraisemblablement dans le futur la capacité à casser les clefs actuelles. Le National Institute of Standards and Technology (Nist), un organisme américain, a publié les nouveaux standards l'été dernier. A charge désormais aux entreprises de les adopter.

Côté français, C12 Quantum Electronics ambitionne de devenir la première entreprise au monde à réaliser une opération quantique entre deux qubits distants connectés, ce qui pourrait révolutionner les télécommunications quantiques. Pasqal, de son côté, va conduire des recherches avec EDF et Genci sur la manière d'utiliser l'ordinateur quantique pour optimiser le chargement des véhicules électriques, une application concrète qui pourrait démontrer la valeur économique de cette technologie.