Un salarié est-il moins important qu’un client ?
Alors que la plupart des outils informatiques de la relation Clients font l'objet d'investigations approfondies, rares sont les outils informatiques internes qui bénéficient d'un véritable accompagnement. Pourquoi un tel décalage ?
A terme, le véritable indicateur de succès du déploiement réussi d'un outil informatique dans l'entreprise est moins le taux de pannes que le taux d'utilisateurs récurrents. C'est pourquoi une attention particulière doit être accordée à l'accompagnement du projet à travers une écoute permanente et rigoureuse des futurs utilisateurs.Les outils informatiques orientés vers l’extérieur (sites corporates, e-commerce…) font désormais partie intégrante du paysage et bénéficient de plus en plus souvent de méthodologies de déploiement aguerries.
A l’inverse, les outils centrés sur l’interne (Intranet, RSE, CRM, outils de planning, de reporting, outils métier…) peinent encore à se développer dans nombre d’entreprises françaises. Elles sont certes de plus en plus nombreuses à investir dans ce domaine mais trop souvent avec des résultats décevants par rapports aux espoirs initiaux comme aux investissements engagés. Inefficacité, tensions, blocages, baisse de productivité… Comment expliquer ces conséquences parfois très éloignées des ambitions initiales ? Quelle est la part de responsabilité de l'outil et celle du contexte de son implantation ? Pourquoi ce constat décevant alors que le potentiel de ces outils ne fait plus de doute ?
L’une des principales explications n'est-elle pas que, fascinés par l’innovation technologique, nous nous focalisons souvent sur la dimension technique et fonctionnelle de ces outils, en négligeant le « facteur humain » ?
Vouloir imposer un produit à un client contre sa volonté paraît absurde, croire que l’on impose un système d’information à un collaborateur contre sa volonté est tout autant illusoire. Alors que les études de satisfaction des clients se multiplient, combien d’entreprise imaginent seulement interroger leurs salariés sur les outils informatiques qu'ils utilisent au quotidien ou mieux, qu'ils seront bientôt amenés à utiliser ? Un constat valable à chacune des étapes du déploiement des outils informatiques, de la conception à la mise en œuvre.
Pourquoi tant d’attentions pour
les clients et si peu pour les salariés ? Comment en est-on arrivé là ? Comment anticiper ou corriger les
impacts négatifs et contre-productifs générés ?
Dépasser les vœux pieux et replacer réellement les
utilisateurs au cœur de la réflexion
Rappelons une évidence : Il
ne suffit pas qu’un outil fonctionne parfaitement pour que sa mise en place
soit un succès… C’est une condition certes nécessaire mais loin d’être
suffisante.
La circulation interne et la
consolidation de l’information, des connaissances dans les organisations, restent
des sujets complexes et il est peu probable que cela change avant longtemps.
Les outils SI sont supposés stimuler
l’intelligence collective à travers l’échange. Un concept séduisant pour
l’entreprise qui espère ainsi une démultiplication de son potentiel par le collaboratif. A l’opposé,
nombre de salariés perçoivent ces outils, cette mutualisation de leurs ressources, comme une
menace, une dépossession de leur plus-value personnelle (expérience,
savoir-faire, contacts…).
Des motifs psychologiques,
souvent complexes à appréhender, sont à la source de ces blocages qui peuvent
être inconscients. La crainte de l’avenir est au
premier rang de ces phénomènes. La dégradation du marché du travail fragilise
les salariés, exacerbe leur méfiance, leurs réticences.
Après une nécessaire mise en confiance, une question récurrente émaille les entretiens
préparatoires à la mise en place de RSE (Réseaux Sociaux d’Entreprises) :
«Si je partage mes connaissances, vais-je conserver mon poste, ma position dans
l’entreprise ? », « Comment rester l’expert lorsque tout le
monde disposera de mon savoir ? », « Une fois interchangeable, je
vais y perdre à coup sur, mais qu’est-ce que j’ai à y gagner ? » «Après
les remerciements improbables, combien de temps vais-je tenir avant d’être
remercié ? ».
Tous les réseaux,
concessionnaires, franchises etc. sont confrontés à ce problème du partage de
la connaissance. Le cas le plus évident est celui des commerciaux dont le
carnet d’adresses est leur assurance survie et primes de performances.
Bien entendu, sur le principe de l’autorité et face à des blocages, la Direction peut décider d’imposer un outil… mais elle constate rapidement son impuissance au stade de l’utilisation en bonne et due forme.
Pire encore, nombre de collaborateurs contraints et forcés, dans une posture de rejet, d’évitement ou de contournement, rivalisent d’astuces et mobilisent toute leur intelligence pour résister. La liste est longue et le lecteur s’y retrouvera certainement : le nonchalant qui étoffe les champs obligatoires de petites croix, le tacticien qui lisse ses résultats hebdomadaires dans l’outil de reporting, l’Alzheimer qui omet les informations déplaisantes ou stratégiques, le pratique qui utilise l’agenda de l’entreprise pour ne pas oublier d’acheter du pain, le comique qui peut enfin étendre son public de fans grâce à l’intranet, le communiquant plus préoccupé de faire-savoir que de faire, le méfiant qui multiplie les mails à la terre entière pour se protéger au cas où...
Si bien peu de décideurs
expérimentés nient ces constats vérifiés dans l’immense majorité des
entreprises, trop nombreux sont encore ceux qui les négligent. «Le nouvel outil est
bien plus performant que l’ancien, donc il s’imposera naturellement, c’est une
question de temps» «C’est habituel chez nous, ils ronchonnent un peu au début
mais finissent par prendre le pli ». Il suffirait donc de ne pas être pressé… et
c’est ainsi que les situations pourrissent peu à peu, jusqu’au moment ou l’outil
est remis en cause dans sa globalité.
La tentation naturelle des
Décideurs est de concentrer toutes les énergies, les attentions et les moyens
financiers sur la construction technique
de l’outil. Pourquoi investir sur une préparation et un accompagnement à la
mise en œuvre quand on est convaincu qu’un outil fonctionnel s’imposera
par sa performance, ou simplement par la patience, et surtout que l’on n’en mesure pas
les conséquences ?
Pourtant, tous les témoignages
concordent. Les projets informatiques internes qui aboutissent concrètement et
fonctionnent durablement partagent une variable commune : l’écoute et
l’intégration de l’utilisateur final dans la conception et le déploiement.
Certes, les prises de parole qui
traitent du fameux UX, user centrics, se multiplient ces derniers temps, ce qui
pourrait laisser supposer que le sujet est maitrisé et dépassé. L’utilisateur
des systèmes d’information serait désormais au centre des projets, comme il se
doit, certaines voix s’élevant même contre le fait qu’il prendrait même trop de place !
C’est faire bien peu de cas de la
réalité observable. Il ne suffit pas qu’un concept soit « à la mode »
pour être appliqué. Son acuité présente est plutôt révélatrice du fait que le
sujet est loin d’être obsolète.
Alors comment faire pour que cet
« UX-écoute », cette évidence, dépasse le stade du concept de
management, et se concrétise sur le terrain ?
Pour revenir à notre comparaison initiale, la plupart des outils en ligne orientés clients font désormais l’objet d’études de marché, de définition des cibles, des besoins, de positionnement en adéquation avec les attentes etc.
Étrangement, ces ‘’bonnes pratiques’’ restent exceptionnelles lorsqu’il s’agit de développer des solutions informatiques internes à l’entreprise.
Faut-il en conclure qu’un salarié
aurait moins d’importance qu’un client ? Les Décideurs sont-ils encore si
nombreux à croire que l’autorité hiérarchique de leurs choix informatiques suffira
à annihiler les freins et changer les habitudes ?
Une preuve parmi d’autres :
l’importance des enjeux d’un nouvel outil informatique dans l’entreprise n’est
plus contestée (efficacité, productivité, stimulation de l’innovation)… Alors,
pourquoi les cahiers des charges qui demandent explicitement des solutions
d’accompagnement au changement restent si rares ?
Ceux qui prévoient une méthodologie de diagnostic préalable sont carrément des exceptions, comme si l’implémentation de l’outil allait être réalisée dans un contexte interne idéal, consensuel, peuplé de collaborateurs enthousiastes et de managers compétents et unanimes, sans aucun stress du changement. Bien entendu, certains AO ont le bon ton d’évoquer une « sensibilisation des utilisateurs », mais ce poste est souvent sacrifié dans la dernière ligne droite. Premier sur la liste des points sur lesquels « on pourrait économiser sans que cela change l’outil », les convictions sont si fragiles que ce poste a bien du mal à résister aux inévitables arbitrages budgétaires.
Une méthodologie d’écoute pour replacer les utilisateurs au centre de la problématique
Est-il nécessaire de rappeler qu’il est préférable de
prévenir les blocages avant qu’ils ne s’ancrent dans l’entreprise ? En supposant que l'on guérisse le malade, quels moyens faudra-t-il pour raviver la flamme de la
motivation ?
Certes, la plupart des
responsables de projets revendiquent leur « écoute », mais si de plus en
plus sont informés et sensibilisés, font un réel effort, beaucoup se donnent encore
bonne conscience par une consultation symbolique des collaborateurs futurs
utilisateurs.
Réunir une poignée de volontaires
disponibles, en leur demandant de faire le tour du sujet en une heure, a peu de
chance de mettre à nu les sources des futurs blocages. Quand la réunion n’est carrément
pas animée par un manager alors qu’il est indispensable d’éviter tout rapport
hiérarchique… Un leurre qui ne dupe plus qu’une minorité des salariés et crispe
le plus grand nombre.
Comme c’est le cas pour la
conception technique des outils, en matière d’études d’accompagnement du
changement, l’amateurisme, fut-il bienveillant, peut avoir de très lourdes
conséquences. Erreurs, omissions, pertes d’informations, perte de temps… Une
entreprise dont le nouvel outil informatique mal adapté, mal vendu ou mal appréhendé fait
perdre ne serait-ce que 10 mn quotidiennes à chaque salarié, se prive annuellement d'une semaine complète de ses collaborateurs et favorise leur agacement récurent le reste de l'année.
Penser méthodologie et non simple outil
Des solutions efficaces existent pourtant, sous condition de ne pas sacrifier certains fondamentaux.
Ces solutions reposent, notamment, sur une solide méthodologie d’audit indispensable pour mesurer l’existant, le contexte, les forces en présences, le chemin à parcourir et celui qui a été parcouru. Elle permet, entre autres :
- d’anticiper bon nombre de blocages
- d'identifier les populations "à risques" et leurs déterminants
- de repérer les
opportunités, les leviers du changement
- de mesurer les évolutions afin d’engager rapidement des mesures correctives
- de mesurer le chemin parcouru afin de dynamiser le projet
Cette méthodologie nécessite un
état d’esprit permanent et ne peut se résumer à une intervention ponctuelle et
superficielle. Comme il est admis qu’une seule réunion de travail ne peut
assurer le bon déroulement d’un projet, l’audit d’accompagnement implique la
prise en compte de chaque étape majeure du projet.
* En amont,
il est indispensable d’établir un diagnostic de l’existant : état des
lieux de l’information, de la communication, des rapports interpersonnels,
perception des outils en place et de leurs limites, aide à la formalisation des
attentes, identification des blocages potentiels…
Ces informations
d’une très grande richesse permettent d’identifier les fondements d’éventuels problèmes
et surtout de les anticiper par une réflexion et des moyens adaptés. La démarche
doit également identifier les opportunités qui pourront être exploitées.
Tout aussi
pragmatique est d’identifier puis évaluer l’importance (quantitative et
relationnelle) des différents profils de collaborateurs face au projet, et leurs
poids : des ambassadeurs par conviction aux détracteurs par réflexe. Sur qui
pourra-t-on s’appuyer ? Qui reste-t-il à convaincre ? Comment infléchir le
discours générique pour l’adapter à chaque typologie de collaborateurs, en
appuyant sur quelles dimensions, sur quels arguments ?
Cette
phase d’audit est d'autant plus performante qu'elle s’effectue en croisant les méthodologies de recueil :
entretiens individuels avec des managers (cohérence de l’objectif), des
collaborateurs (état d’esprit, réceptivité…), entretien de groupe pour observer
les interactions et systèmes d’argumentations, et enfin une étude quantitative pour évaluer
avec précision les « forces en présence ».
* En cours de déploiement l’observation permettra de contrôler le bon déroulement de la démarche. Une approche typologique devra compléter la vision globale afin de cibler les éventuelles mesures correctives. L’utilisation d’indicateurs, préalablement définis, est fortement recommandée.
* En phase de bouclage, le témoignage des collaborateurs permet de consolider la pertinence du changement et d’identifier les facteurs clefs qu’il faudra surveiller pour faciliter l’ancrage de la nouvelle solution dans les habitudes des collaborateurs.
OUI, MAIS...
Terminons sur les arguments couperets. Ceux qui, dans le domaine de l’accompagnement des projets de déploiement de solutions internes, sonnent souvent le glas de la réflexion.
L’argument du décideur : «On est trop pressé, ce n’est
plus le moment de se poser des questions ».
Ce qui compte, ce n’est pas le
moment où l’outil sera déployé, mais celui où il sera fonctionnel ET vraiment utilisé.
Qu’on ne s’y trompe pas : mener une telle démarche n’est ni ralentir un
mouvement, ni remettre en cause une décision, mais bien faciliter le
déploiement d’une solution en identifiant les obstacles en amont, puis les
meilleurs moyens de les franchir ou de les contourner. Transformer des
collaborateurs détracteurs en ambassadeurs vaut bien une prise de recul et un minimum de moyens, rapidement amortis, pour y parvenir.
L’argument du Manager : « Pas besoin d’études, mes collaborateurs je les connais, je sais ce qu’ils pensent et comment les prendre».
Et bien entendu, il va de soi que
ces Collaborateurs savent que les Décideurs sont très attentifs à leur
bien-être, leurs besoins, qu’ils sont confiants, motivés, sans aucun état d’âme ?
La fameuse méthode Coué cousine de celle de l’autruche…
La réalité est bien plus subtile
et il y a autant de façon d’appréhender un nouveau système informatique que de
collaborateurs. Personnalité, formation, expérience, situation dans
l’entreprise, aptitude au changement, autonomie, ouverture d’esprit etc. sont
autant d’aspects individuels à traduire collectivement au stade de
l’organisation. Peu probable que l’intuition suffise…
L’argument du Financier : « Ce n’est pas une question de pertinence, juste une question de coût. En période de restrictions budgétaires, on ne va pas en plus ajouter un poste supplémentaire !».
Combien de témoignages faudra-t-il encore pour accepter l’évidence ? Les déploiements ratés, les tensions générées, de la simple mauvaise volonté à la démission pour les plus contrariés, les remises en cause des choix des Décideurs et de leur image, les surcoûts en développement quand il ne faut pas carrément revoir la copie dans sa totalité etc. Si ces coûts sont parfois difficiles à évaluer dans leurs multiples dimensions, celui que représente l’accompagnement du projet par un audit permanent est heureusement sans commune mesure !
Et s’il fallait justifier encore la rentabilité de cette démarche, n’oublions pas qu’au-delà du cadrage et de l’accompagnement indispensable du projet, elle permet d’accéder à une très grande richesse d’informations sur les process de travail, les relations, les sources d’information, les motivations etc. Des informations majeures quant il s’agit de prendre les décisions stratégiques qui déterminent la performance finale de l’entreprise.
C'est grave, docteur ?Les entreprises qui se sont engagées à l’aveugle et constatent aujourd’hui l’échec partiel ou total, sont-elles condamnées à en subir éternellement les conséquences ?
Heureusement non. Si par soucis d’économie de temps et de moyens il vaut mieux prévenir que guérir, on peut généralement soigner sans s’amputer de l’outil informatique mis en place.
Il faut comprendre d’où viennent les blocages, identifier les typologies d’utilisateurs selon leur proximité avec les outils, leur poids réel dans le collectif, les détracteurs mais aussi les sponsors, les solutions pratiques et immédiates envisageables, ce qui a été réussi ou raté (réalité ou perception).
Attention, la démarche appropriée ne s’improvise pas et s’industrialise encore moins ! Il faut prendre en compte le contexte, la culture de l’entreprise, les solutions passées, l’outil installé, les forces en présence et la situation du moment. Savoir observer, écouter, réagir et vérifier simplement…