Métier : concepteur de SI antifragile

Pourquoi avoir peur de l’imprévu ? Et si nous apprenions à en tirer parti ? Voici le message d’"Antifragile", un livre de Nassim Taleb. A appliquer, en urgence, à nos systèmes d’information ?

Il y a peu, la banque centrale suisse a mis un terme à l’encadrement du franc. Plus 30 % en quelques minutes ! Des fonds d’investissement ont bu la tasse. Ce n’était pas prévu par leurs algorithmes. Notre système financier est fragile.

Nassim Taleb a écrit un best seller sur le sujet : The black swan. Le propre de la vie est le coup de Trafalgar, rare et imprévisible. Le « black swan », car il est rare de voir un cygne noir. Dans un autre livre, il dit comment exploiter ces catastrophes. Antifragile.

Soyez convexes…

Nassim Taleb est un trader qui s’est opposé à la doxa de l’establishment bancaire. La crise de 2007 a fait de ses idées des best sellers. Comme les banques, notre société est fragile. Elle ne veut pas du risque. Or, prendre des (petits) risques, c’est apprendre. Et, quand on a appris, on fait de la crise, le black swan, une opportunité ! Ne serait-ce que parce qu’il liquide les êtres fragiles, et laisse la place aux autres… Nassim Taleb en est l’exemple vivant.

Un exemple plus sophistiqué ? La sous-traitance de Toyota. Chaque sous-traitant est en quasi monopole. Du fait de sa politique de juste-à-temps, le réseau de sous-traitance n’a pas de stocks. Ce qui l’expose à de petits aléas incessants. Et le force à les absorber collectivement. En 1983, un incendie détruit l’usine d’un sous-traitant critique (black swan). On dit immédiatement que cela va être fatal à Toyota, au Japon, que ça va causer une crise mondiale. Or, il a suffi de 3 jours à l’écosystème Toyota pour se substituer à l’usine.

Retenez deux concepts : « option » et « convexité ». L’option est ce processus d’apprentissage qui permet d’être prêt au cas où. La convexité correspond à la forme globale de votre courbe de gain : une courbe antifragile perd souvent, mais peu, et gagne rarement, mais énormément. Le contraire de celle de notre société : on gagne peu, souvent, mais l’aléa nous détruit. De même est fragile la procédure taylorienne qui vous dicte vos mouvements. Et antifragile « via negativa », dire ce qu’il ne faut pas faire (« tu ne tueras point »).

Utilisez l’antifragile

De tout cela se déduisent beaucoup de conséquences. En particulier, la nature, dans une moindre mesure les entreprises ou l'espèce humaine, sont antifragiles. Tout ce monde n’a pas arrêté d’apprendre, par essais et erreurs, depuis qu’il existe. Il est donc idiot de croire que l’on pourra faire mieux que lui avec notre raison. Il faut, au contraire, utiliser cette raison pour tirer parti du passé et de ce qu’elle ne comprend pas. Et construire de l’antifragile, en liquidant ce qui est fragile. A l'image de Nassim Taleb, éléphant dans un magasin de porcelaine.

Pour des SI antifragiles !

En lisant Antifragile, j’ai pensé à ma chronique sur Big Data. Et si les architectures flexibles et démocratiques à la Google étaient antifragiles ? Et si ce n’était pas le cas des traditionnelles ? J’ai aussi pensé aux méthodes de développement Opensource qui font que des têtes de lard libertaires, qui programment comme des cochons (sans spécifications), produisent du code d’une qualité excellente. Et si, lecteur informaticien, vous vous demandiez si vous ne devriez pas réinventer le système d’information de votre entreprise à la sauce antifragile ?

Vous me direz : c’est interdit, car mes chefs sont « fragiles »... Vraiment ?

Compléments :
  • J’ai découvert la question de la résilience, ce que Nassim Taleb appelle « antifragilité », lors d’un échange avec Dennis Meadows, un des rédacteurs du rapport du Club de Rome de 1972, Les limites à la croissance. Il pense, avec beaucoup de données à l’appui, que ce que nous appelons « croissance » est un phénomène spéculatif, et que nous allons connaître une déflagration sans précédent vers 2030. N’ayant pas pu convaincre nos gouvernants d’adopter un mode de développement durable, il cherche maintenant comment rendre l’humanité résiliente. C’est-à-dire qu’elle puisse survivre sans dégâts irréparables au cataclysme. Antifragile s’applique, bien entendu, au problème de la planète.
  • TALEB, Nassim Nicholas, Antifragile, things that gain from disorder, Random House, 2012. (Le livre a une version française.)
  • L’exemple de Toyota vient de WATTS, Duncan J., Six Degrees: The Science of a Connected Age, W. W. Norton & Company, 2004.