Rachat de Magento par eBay. Et après ?

Depuis l’annonce du rachat de Magento par eBay, les prédictions les plus folles fleurissent sur l’avenir de ce qui est devenu la plate-forme d'e-commerce Open Source de référence. Certains nous annoncent même sa mort imminente. Alors ? Faut-il enterrer tout de suite Magento ?

Le petit monde du e-commerce est en ébullition depuis l’annonce la semaine dernière du rachat à 100% de Magento par le géant eBay. Et depuis une semaine, fleurissent sur le Net les prédictions les plus folles sur l’avenir de ce qui est devenu en un temps record la plate-forme d'e-commerce Open Source de référence. Certains nous annoncent même la mort imminente de la solution. Alors ? Faut-il enterrer tout de suite Magento ? Nous vous livrons quelques éléments de réflexion ci-dessous !

Il faut tout d'abord reconnaître que l'annonce n'est pas neutre et que certaines inquiétudes, si elles sont parfois démesurées, peuvent être légitimes. Concurrent pour certains, prestataire dictatorial ou encore bras armé des contrefacteurs pour d'autres, eBay n'a pas toujours été vu d'un très bon œil par les e-marchands. Il faut pourtant rappeler que les activités de l'Américain dépassent désormais largement le simple site d'enchères qui a fait sa (mauvaise ?) réputation.

Depuis plusieurs années, eBay s'évertue à enrichir son offre pour proposer le maximum d'outils aux marchands souhaitant s'aventurer dans la vente en ligne. L'ambition est clairement affichée : être partout  ou il y a de la transaction en ligne et pour tout le monde : particuliers, TPE/PME et grands comptes. L'acquisition de PayPal en 2002 a notamment permis à eBay d'ajouter une sérieuse corde à son arc en misant sur cette solution de paiement  désormais quasi-incontournable (300 millions de comptes PayPal dans le monde). Il est d'ailleurs amusant d'observer que, si certains marchands s'émeuvent de l'acquisition de Magento par eBay en craignant pour la confidentialité de leurs données, ils semblent par contre beaucoup plus sereins lorsqu'il s'agit d'intégrer PayPal à leur boutique...

Quoi qu'il en soit, eBay a su montrer qu'il savait mener de front plusieurs activités très différentes tout en conservant une cohérence dans ses acquisitions et ses grands mouvements stratégiques (le rachat de Skype et sa cession récente à Microsoft en est un bon exemple). Il faut d'ailleurs rappeler que ce rachat de Magento ne sort pas de nulle-part. eBay possède depuis plus d'un an 49% du capital de la start-up californienne. Les conséquences directes de cette première prise de position ? Une intégration native de PayPal dans Magento et la sortie en début d'année d'une offre SaaS : Magento Go.

Pas de mouvements indiquant une volonté de sortir du modèle Open Source donc et des orientations allant dans le sens d'une diffusion encore plus large de PayPal sur un maximum de boutiques en ligne.

Pas question de faire l'autruche pour autant : l'achat des 51% restants aura forcément un impact sur l'avenir de Magento. Mais, bien malin celui qui saura dire lesquels avec précision. Contentons nous donc pour l'instant sur les éléments factuels et annoncés :

- la marque Magento perdurera. Cela nous a encore été confirmé par Roy Rubin (CEO) la semaine dernière. Pas question de rebrander l'outil, le nom Magento a une valeur intrinsèque trop importante pour être balayée d'un revers de la main.

- Le support sur la version Entreprise continuera à être assuré par les équipes en place de Magento. Pour ceux qui craindraient les conflits d'intérêt ou la mise au panier de cette activité cruciale, c'est une information importante.

- Le rachat des dernières parts de Magento est motivé par la consolidation du mystérieux projet X.Commerce de eBay.

Si les contours de ce projet sont encore flous et que les quelques communiqués laconiques qui en parlent choisissent soigneusement leur mots (nous laissons le soin à chacun de mettre ce qu'il veut derrière le concept d'"open platform"), nous savons toutefois que seront intégrés dans cette grande boite à outils Magento, PayPalX (API de développement autour de PayPal), Omniture, Redlaser et GSI, une autre acquisition récente d'eBay (particulièrement reconnue pour sa brique logistique).

Le discours d'eBay est toutefois clair sur un point: pas question de développer une solution concurrente à Magento. L'objectif derrière X.Commerce est de constituer une immense boite à outils à destination des marchands qui, quelle que soit leur taille ou leurs ambitions, trouveront dans X.Commerce une brique répondant à leur besoin (boutique hébergée, passerelle de paiement, outil de merchandising, gestion logistique etc...). Nous n'en savons pas beaucoup plus à ce jour, et il est probable qu'il faille encore un peu de temps à eBay pour affiner et marketer cette offre (et accessoirement attendre la finalisation de la transaction avec Magento qui n'aura pas lieu avant la fin de l'année).

- Le dernier élément bien concret et crucial dans cette analyse, c'est le maintien des développements autour de Magento
en parallèle du projet X. Yoav Kutner (CTO de Magento) a dévoilé beaucoup d'infos intéressantes sur le futur de Magento lors du Developer Paradise qui se tenait la semaine dernière à Ibiza. Et en particulier sur Magento 2 dont la sortie est prévue pour l'été 2012. Nous reparlerons dans un futur article des nouveautés attendues dans cette release majeure mais ce qu'il faut toutefois retenir, c'est qu'il s'agit d'un chantier d'envergure pour les équipes de développement de l'éditeur. Beaucoup de nettoyage, d'ajouts de tests unitaires, de nouvelles fonctionnalités, tout cela nécessite un gros investissement qui n'aurait évidemment aucun sens si la solution était destinée à disparaître ou à être radicalement transformée.

Attention donc à ces grands prédicateurs du Web dont certains scénarios feraient rougir Paco Rabanne. D'abord parce qu'il a toujours été de bon ton, lors des acquisitions de solutions Open Source par des acteurs ne provenant pas de cette sphère, de déclamer immédiatement un discours alarmiste. L'exemple le plus récent est celui de MySQL qu'on a annoncé mort et enterré suite au rachat par Oracle : 2 ans après, le SGBD n'a jamais été aussi dynamique avec un cycle de releases très nettement supérieur à celui qu'on lui avait connu avant d'entrer dans le giron d'Oracle... Et ensuite parce que Magento reste avant tout une solution bâtie sur un modèle Open Source, et que ce modèle est immuable par définition. Toute tentative de retour en arrière serait immédiatement sanctionnée d'un fork aux effets destructeurs pour l'éditeur. Ce n'est aujourd'hui ni souhaitable, ni probable mais la règle du jeu est claire et connue d'eBay.

Faut-il alors désormais se méfier de Magento ? Si, comme nous le pressentons, l'équipe de Roy et Yoav continue ses efforts pour maintenir la solution compétitive dans un secteur de plus en plus concurrentiel et face à des solutions (Open Source ou non) qui rattrapent progressivement leur retard, alors, n'en doutons pas, Magento a encore de très beaux jours devant lui.