Comment le Crédit Agricole exploite déjà l'informatique quantique

Comment le Crédit Agricole exploite déjà l'informatique quantique La banque se déploie dans deux directions : le calcul du pricing de produits dérivés d'une part, le calcul de risques liés aux entreprises à qui elles prêtent d'autre part.

Elle est l'une des toutes premières banques à être passée à l'ère de l'informatique quantique. Le Crédit Agricole CIB, la banque de financement et d'investissement du groupe, s'engage dans cette voie dès 2020. En juillet 2021, la phase de preuve de concept est atteinte. Deux projets sont au programme. L'un a pour ambition d'éprouver les gains de performance d'une approche inspirée du calcul quantique sur la valorisation de produits dérivés. Des produits dont la valeur varie en fonction de l'évolution d'un actif appelé sous-jacent. L'autre vise à implémenter dans l'ordinateur quantique du français Pasqal un cas d'usage réel : l'anticipation de la dégradation de la note de crédit des contreparties de la banque, à savoir des entreprises à qui elle accorde des prêts.

Un temps d'entrainement drastiquement réduit

Sur le terrain du pricing des produits dérivés, des recherches récentes ont mis en évidence l'apport des réseaux de neurones. Cependant, quand ils sont appliqués à ce cas d'usage, ces derniers s'avèrent souvent difficilement utilisables en raison de leur entrainement trop coûteux en mémoire et en temps. Plus le produit dérivé est complexe, plus l'apprentissage du réseau est gourmand. "A tel point que même avec des fermes de GPU, l'entrainement peut durer plusieurs jours. Pour des produits qui peuvent radicalement changer avec les conditions de marché, cette approche est irréaliste", estime Ali El Hamidi, deputy head capital markets funding au sein de la division global markets du Crédit Agricole CIB, et sponsor du projet. D'où l'idée de capitaliser sur l'informatique quantique pour résoudre l'équation.

"Plus le produit dérivé est complexe, plus le gain est important"

Partant de là, le Crédit Agricole CIB fait appel à l'approche de la quantum-inspired optimisation (QIO) qui consiste à émuler des techniques algorithmiques issues de la physique quantique sur des grappes de calcul graphique (GPU). Schématiquement, le réseau de neurones initial est modélisé sous la forme d'un réseau de tenseurs. Une architecture algorithmique qui permet ensuite de compresser le réseau pour réduire l'empreint mémoire nécessaire pour l'entrainer. Résultat des courses : le temps d'apprentissage est réduit d'un facteur 2 à 12 en fonction de la nature du produit dérivé. "Plus le produit dérivé est complexe, plus le gain est important", commente Ali El Hamidi.

La prochaine étape ? Déployer l'application en production. Une phase qui doit passer par la validation du process de calcul par la direction des risques. "L'algorithme que nous avons mis au point, et que nous exécutons sur une architecture de GPU, pourra également être implémenté dans un second temps sur un ordinateur quantique à base de porte quand ce type de technologie sera suffisamment robuste. Ce qui laisse présager un deuxième bond potentiel en performance de calcul", précise Ali El Hamidi.

Le choix de l'ordinateur français de Pasqal

Dans le cadre de son second projet quantique, Crédit Agricole CIB a choisi un algorithme déjà maitrisé cette fois. Le défi ? L'implémenter sur le système quantique analogique de Pasqal. L'algorithme en question vise à anticiper la dégradation de crédit des contreparties de la banque suffisamment à l'avance, c'est-à-dire entre 6 et 18 mois avant qu'elle ne survienne, en vue de prendre les mesures correctives qui s'imposent. Or, Pasqal propose justement un ordinateur quantique adapté à l'architecture de machine learning utilisée dans le cadre de cet usage. Une architecture qui se compose de sous-modèles de classification binaire.

"Contrairement aux heuristiques des algorithmes classiques, le calcul quantique garantit l'atteinte du minimum de la fonction"

Explication : comptant 50 qubits, le système de Pasqal est conçu pour converger vers un état final correspondant à un minimum d'énergie (optimisé), cet état final étant l'information recherchée. C'est sur ce procédé, directement tiré de la physique quantique, que Crédit Agricole CIB s'adosse pour minimiser sa propre fonction de calcul en vue de calibrer ses modèles. "Ce qui fonctionne très bien. Contrairement aux heuristiques des algorithmes classiques qui ne permettent pas de parcourir toutes les combinaisons possibles, le calcul quantique garantit l'atteinte du minimum absolu dans la mesure où le système, grâce à la superposition quantique, couvre tous les états en même temps. Il sait évaluer les énergies de toutes les combinaisons possibles", analyse Ali El Hamidi. Le défi ? Dénicher le sous-ensemble de modèles permettant de maximiser la performance de la prédictibilité des dégradations de rating.

Du côté des équipes du Crédit Agricole CIB comme de celles de Pasqal, un gros travail a été réalisé pour parvenir à un réseau d'atomes dont la fonction d'énergie coïncide avec la fonction à minimiser. Ce qui n'a pas été le seul défi à relever. Second enjeu : le nombre de sous-modèles intégrés. Initialement, 1 200 sous-modèles sont utilisés par la banque dans le cadre de cette application. Or, la machine de Pasqal ne peut en supporter que 50 à la fois, soit un par qubit. C'est donc ce volume de 50 sous-modèles qui a été livré au supercalculateur, et ce sur la base d'un extract choisi aléatoirement.

Un nouveau champ des possibles

Principal surprise : la performance des résultats obtenus est quasi-identique à celle enregistrée via le traitement des 1 200 sous-modèles sur l'architecture classique. Sans compter un temps de calcul divisé par 3,5. Pourquoi ce résultat ? "D'un côté, il est impossible de tester l'ensemble des combinatoires des 1 200 sous-modèles sur une architecture classique. C'est infaisable compte tenu des capacités de calcul actuelles et donc irréaliste. De l'autre, on a un volume beaucoup plus réduit de sous-modèles, soit 50, mais avec un ordinateur qui détecte toutes les combinaisons possibles en capitalisant sur l'état minimal d'énergie absolue", explique Ali El Hamidi.

Ces premiers résultats laissent présager des performances bien supérieures avec un ordinateur quantique de 1 000 qubits. Un volume que Pasqal compte atteindre à horizon 2024. En attendant, Crédit Agricole CIB a en tête plusieurs pistes d'évolution dans l'informatique quantique : approfondir le champ de l'optimisation, appliquer au quantique les simulations de monte carlo et plus largement les équations différentielles.