Fin du cash runway : deux ans après les levées record, les start-up contraintes de revoir leur modèle pour survivre

Fin du cash runway : deux ans après les levées record, les start-up contraintes de revoir leur modèle pour survivre Avec la raréfaction du financement, les start-up qui ont levé des montants importants en 2021 et 2022 doivent désormais privilégier la rentabilité à l'hypercroissance.

La crise de financement traversée par la French tech va-t-elle faire des dégâts ? En 2023, les start-up françaises ont levé 7,7 milliards d'euros contre 13 milliards d'euros en 2022 et 10,4 milliards d'euros en 2021. Dans ce contexte difficile, la notion de cash runway, qui détermine la durée pendant laquelle une start-up a du cash disponible sans nécessité d'une nouvelle levée de fonds, est revenue à la mode en 2024. Car deux ans après la période faste qui a suivi le covid, cette durée pourrait arriver à son terme pour les jeunes pousses qui ont levé des fonds en 2021 et en 2022. De quoi imaginer le pire pour certaines d'entre elles dès cette année ?

Renaud Guillerm, managing partner chez Side Capital se montre plutôt rassurant : "En 2021 et en 2022, on a investi dans une cinquantaine d'entreprises. Aujourd'hui, aucune d'entre elles n'a mis les clefs sous la porte". Mais Side Capital accompagne surtout les entreprises en early stage et qui n'ont donc pas levé des montants astronomiques pendant la période euphorique post-covid. "La situation pourrait être en revanche plus compliquée pour celles qui ont levé des fonds à partir de la série A".

Le cas de Masteos pourrait servir d'exemple. Après avoir levé près de 60 millions d'euros, cette proptech a frôlé la liquidation avant d'être rachetée début mars. De son côté, la medtech Bioserenity, qui avait bouclé un tour de table de 65 millions d'euros, est également passée proche de la faillite avant une reprise salvatrice intervenue en novembre. Idem pour l'assurtech Luko qui avait rassemblé 50 millions d'euros après le covid avant d'être rachetée en janvier pour éviter la liquidation.

"Toutes les start-up ne sont pas assez matures pour dépenser efficacement de si grosses sommes"

"Lever beaucoup de fonds peut entrainer de nouvelles problématiques à gérer", poursuit Renaud Guillerm. "Plus on lève, plus on embauche vite et plus on s'éloigne de la rentabilité car les dépenses augmentent plus vite que le chiffre d'affaires. Naturellement, une boite qui a levé 40 millions d'euros se met à dépenser plus d'un million d'euros par mois et toutes les start-up ne sont pas assez matures pour dépenser efficacement de si grosses sommes".

Ces entreprises qui ont réalisé d'importantes levées et sont aujourd'hui à cours de cash doivent "choisir entre trois scénarios" d'après Matthieu Lavergne, partner chez Serena Capital. "Elles doivent soit se restructurer pour aller vers la rentabilité, soit chercher un nouvel acquéreur ou alors accepter un down round". Celles qui "refusent de s'adapter à ce nouvel environnement et qui gardent le même train de vie risquent d'aller droit dans le mur", prévient Benjamin Bitton, managing partner de 2C Finance et trésorier de France Digitale.

Pour éviter ce quatrième scénario, certaines start-up "doivent changer leur modèle" poursuit Benjamin Bitton. "La rentabilité devient plus un objectif que l'hypercroissance. Celles qui réduisent la voilure et qui parviennent à trouver leur marché ne devraient pas avoir de souci à se faire". "A Serena, on a fait un travail pro actif auprès des entrepreneurs pour les sensibiliser à la réduction des coûts et pour leur dire d'aller un peu plus vite vers la rentabilité", confie Matthieu Lavergne.

Ce changement de modèle n'est cependant pas si simple à opérer pour les plus grosses start-up : "Quand le paquebot est plus gros à manœuvrer, c'est bien plus dur de s'adapter un changement de contexte". Mais comme le rappelle Benjamin Bitton, "ce phénomène ne concerne qu'une petite partie de l'écosystème. Les start-up qui ont levé en seed et en pré-seed vont continuer de vivre normalement. La casse devrait être limitée". Et cette "casse" fait partie intégrante de l'écosystème : "Les start-up sont par nature des entreprises risquées. 75% disparaissent quinze ans après leur création", indique Matthieu Lavergne. Et combien d'entre elles disparaitront en 2024 ? Celles qui "parviennent à passer l'année seront sauvées car elles auront atteint un équilibre", conclut Renaud Guillerm.