"Au début, c'est du 70-30" : entre l'équipe et le produit, que privilégient les VC ?

"Au début, c'est du 70-30" : entre l'équipe et le produit, que privilégient les VC ? Quatre représentants de fonds de capital-risque expliquent le critère le plus important dans leur décision d'investissement.

"J'investis dans des entreprises tellement merveilleuses qu'elles peuvent être gérées par un idiot". Cette phrase signée Warren Buffett laisse peu de place au doute : entre le produit et l'équipe, le serial investisseur du Nebraska a fait son choix. Les fonds de capital-risque de la French tech font-ils le même ? Les quatre investisseurs que nous avons interrogés sont tous d'accord. Pour une start-up qui en est au début de son développement (seed, pré-seed et Série A), c'est sur l'équipe que se porte majoritairement leur attention. 

"Instinctivement, je dirai qu'au début l'équipe est plus importante que le produit. C'est la base sur laquelle on construit", indique Matthieu Lavergne, partner chez Serena. "On peut changer le positionnement d'un produit mais on ne peut pas changer l'équipe dirigeante". Une manière d'expliquer qu'une erreur de casting est rédhibitoire. Et comme le rappelle avec pragmatisme Denis Barrier, cofondateur de Cathay Innovation, "les gens bien font des choses bien".

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Prime à l'équipe donc. Surtout en early stage, un stade "où peu d'actifs ont été créés, ce qui fait de l'équipe un critère presque unique d'évaluation", selon Renaud Guillerm, CEO de Side. "Plus une boîte est au début de son développement, plus l'équipe a un poids important", confirme Matthieu Lavergne. "Ensuite, son importance est diluée et d'autres paramètres rentrent en compte". Mais "ce qui a fait la réussite passée d'une entreprise et ce qui fera sa réussite future, ce sera toujours l'équipe", insiste Renaud Guillerm.

Evidemment, les fonds de capital-risque sont également attentifs au produit construit par l'équipe. Comme le rappelle également Warren Buffett, "les bons jockeys obtiennent des résultats sur les bons chevaux, mais aucun sur les canassons". Mais encore plus que le produit, c'est son positionnement qui attire l'attention des investisseurs en early stage. "Au début, le produit ne fonctionne pas tout de suite, donc on fait attention à la manière dont il va être positionné sur un marché. On regarde aussi les projets de marketing, de support client, si le marché permet des exits. Un produit se vend rarement seul donc, encore une fois, on en revient à l'équipe pour construire tout ce qui existe autour", détaille Denis Barrier. "Au début, c'est 70% l'équipe et 30% le positionnement du produit", résume Matthieu Lavergne.  

Comment évaluer la qualité d'une équipe dirigeante ?

Pour les fonds de capital-risque, l'enjeu réside alors dans l'évaluation d'une équipe. "C'est la chose la plus dure de notre métier", confie Matthieu Lavergne. Et à ce jeu-là, chacun procède à sa façon. Chez Serena, on porte une attention particulière "aux parcours des cofondateurs et à la pertinence de ces parcours avec leur projet". Pour Renaud Guillerm, le critère qui permet d'évaluer une équipe est… le produit qu'elle est en train de construire et les premiers résultats commerciaux qu'elle a réussis à atteindre. "Les jeunes fondateurs ont rarement une grosse expérience entrepreneuriale à mettre en avant. Le produit est souvent le seul actif qu'ils ont créé. La qualité d'une équipe s'évalue difficilement sur la base des seuls CV des fondateurs". De son côté, Denis Barrier insiste sur l'instinct. "Le feeling est très important. Au bout de cinq minutes de discussion, je sais si je vais investir dans la start-up. Il faut un coup de foudre et il faut partager l'enthousiasme des fondateurs".

Une approche qui diffère de celle prônée par Stéphane Bourbier, CEO d'Asterion Ventures : "On passe beaucoup de temps à discuter avec les entrepreneurs. Une bonne équipe ce n'est pas innée, ça se construit". Ce fonds de capital-risque, qui n'investit que sur des "first time entrepreneurs", met l'accent sur l'accompagnement. "On accompagne toujours les cofondateurs avec un CEO qui a déjà monté une boite et qui fait partie de la communauté Asterion. Une fois par mois, il rend visite à l'équipe dirigeante pour les conseiller". En plus de cet accompagnement, Asterion Ventures oriente les start-up vers du coaching. "Quand on investit dans une entreprise, on lui propose systématiquement de lever un peu plus d'argent que prévu pour qu'elle puisse financer un programme de coaching".

Quand l'équipe éclipse le reste

On l'aura compris, en early stage, l'équipe est plus importante que le produit. Mais à quel point ? Les fonds sont-ils prêts à placer leurs pions sur des start-up qui présentent une équipe convaincante et un produit qui ne l'est pas ? "Cette situation arrive plus souvent que l'inverse", répond Matthieu Lavergne. "On s'est déjà dit plusieurs fois qu'on avait un a priori négatif sur le produit mais l'équipe était tellement bonne qu'on s'est laissé embarquer. Quand la situation inverse se présente, on choisit entre deux options : soit on n'investit pas, soit on demande à la start-up de renforcer son équipe dirigeante, par exemple en leur demandant de recruter un CTO", raconte Stéphane Bourbier.

Cathay Innovation a poussé la logique encore plus loin. "Pour Bioptimus (une start-up qui tente de développer des modèles d'IA générative pour la biologie, ndlr), on a investi alors que le produit n'était pas encore achevé. Mais c'est une équipe formidable, on sait qu'ils parviendront à leurs fins", assure Denis Barrier. Un saut dans l'inconnu justifié par une totale confiance accordée à l'équipe dirigeante. Une stratégie que Warren Buffett ne renierait sûrement pas : "Si vous ne connaissez pas les bijoux, connaissez le bijoutier".