Pourquoi ces grands groupes créent leur propre VC
En France, le corporate venture capital (CVC) est un phénomène récent. Près de 70% des CVC français ont été créés après 2012, selon une étude BCG datant de 2022. Aujourd'hui, on en recense 32 sur la page du club CVC de France Invest.
Mais pourquoi ces grands groupes préfèrent-ils bâtir leur propre structure d'investissement plutôt que d'investir plus discrètement dans un fonds de capital venture, en tant que limited partner (LP) ? "Etre LP, c'est rester en périphérie de l'écosystème. Créer un CVC permet de jouer un rôle beaucoup plus actif", réponds Lucas Rudolf, directeur de 574 Invest, le CVC de la SNCF.
Se former à l'écosystème, puis passer à l'action
Comme beaucoup d'autres, la SNCF a commencé par investir en indirect. Un passage souvent considéré comme une phase d'apprentissage, avant le grand saut. "C'était un moyen de mieux comprendre les codes du venture, de monter en compétence", confirme Lucas Rudolf. "Beaucoup de CVC ont commencé par une activité d'investissement en indirect, via du fonds de fonds, puis ont internalisé au profil de l'investissement en direct au bout de deux ou trois ans, en moyenne", précise Muriel Atias, chief investment officer de Bold, le fonds de capital-investissement du groupe L'Oréal.
L'investissement indirect permet d'externaliser les décisions d'investissement, mais limite l'accès aux start-up et aux retombées stratégiques. "Quand on veut développer des synergies, ce n'est pas suffisant", pointe Virginie Reynaud, directrice d'ALIAD (Air Liquide Venture Capital), l'un des plus anciens CVC français. "Pour catalyser l'innovation, il faut créer un lien fort entre les métiers et les start up", ajoute-t-elle.
Une logique d'impact plus que de rendement
Contrairement aux VC traditionnels, qui visent avant tout le retour sur investissement, les CVC cherchent à maximiser la création de valeur pour leur groupe. Selon l'étude du BCG, seuls 7% des CVC se disent purement financiers. Les autres affichent des objectifs stratégiques : co-développement, veille technologique ou encore mise à l'échelle. Un atout ? "Ce que veulent les start-up aujourd'hui, ce n'est pas simplement un chèque, mais un partenariat opérationnel et des relais business", répond Lucas Rudolf.
Chez L'Oréal, chaque investissement direct est pensé pour renforcer un partenariat commercial ou une collaboration R&D. "Cela ne veut pas dire qu'on abandonne l'indirect, mais que l'investissement direct devient un levier central de création de valeur, visant à sécuriser une relation gagnant-gagnant", précise Muriel Atias.
Apprendre à travailler à deux vitesses
Créer un CVC, ce n'est pas seulement investir, c'est aussi bâtir une interface entre deux mondes qui ne fonctionnent pas au même rythme. "Il faut savoir jongler entre la vitesse des start-up et les processus internes du groupe, sans que l'un ne ralentisse l'autre", résume Virginie Reynaud.
Pour fonctionner, cela implique une gouvernance adaptée. "On distingue systématiquement deux rôles : un sponsor métier, qui porte la relation opérationnelle avec la start-up, et un représentant corporate chargé du suivi actionnarial", rappelle l'étude BCG. L'objectif est d'éviter les malentendus, de fluidifier les échanges et de maximiser les retombées concrètes.
L'un des écueils les plus courants ? Investir trop tôt, sans maturité suffisante ni sponsor identifié. "Une start-up qui pivote trop vite peut sortir de notre thèse d'investissement avant même d'avoir livré ses premiers résultats", prévient Lucas Rudolf.
Pour tenir cet équilibre, certains CVC se structurent comme de véritables entités autonomes. Chez Bold (L'Oréal), l'équipe compte dix personnes, incluant des profils financiers et des profils business, dont un directeur de portefeuille chargé d'orchestrer les synergies entre start-up et métiers. "L'investissement seul ne suffit pas. Ce qui crée de la valeur, c'est la collaboration concrète dans la durée", insiste Muriel Atias.
Ce que le CVC change pour les start-up
Les CVC cherchent aujourd'hui à mieux faire connaître leur valeur ajoutée. "Avoir un corporate au capital crédibilise la start-up. Cela envoie un signal fort aux autres investisseurs", estime Lucas Rudolf. En plus du cash, les CVC apportent de la distribution, de l'expertise et parfois même des ressources humaines.
Mais le modèle n'est pas sans risques pour les start-up. Des engagements trop forts peuvent créer une dépendance. Des deals mal ficelés peuvent bloquer une revente. C'est pourquoi les CVC multiplient les co-investissements, avec d'autres corporates ou avec des VC. "L'idée, ce n'est pas de remplacer les VC. C'est de construire un écosystème complémentaire", conclut Muriel Atias.