Sortir du FT120, est-ce grave docteur ?
Créé pour mettre en lumière les start-up françaises les plus prometteuses, le classement French Tech 120 a accueilli cette année encore une quarantaine de nouveaux entrants, parmi lesquels des pépites du quantique comme Alice & Bob, entrée directement au Next40, ou encore Bump, spécialiste de la mobilité durable.
Mais comme son nom l'indique, la liste compte 120 start-up, chaque nouvelle entrée correspond donc aussi à une sortie. Ainsi, en 2025, plusieurs figures emblématiques ont quitté le classement, à l'image d'Ynsect, Sorare ou encore Lifen. Entre déconvenues financières et choix stratégiques assumés, ces sorties interrogent sur la mécanique du classement et, plus largement, sur les nouvelles règles du jeu dans l'écosystème tech français.
Le FT120, un label visible mais pas déterminant
Franck Le Ouay, cofondateur de Lifen (data pour les services médicaux), ne s'en formalise pas. "C'est très bien d'y être, mais c'est aussi le jeu d'en sortir. On ne se réveille pas le matin en pensant au FT120", déclare celui qui avait avant cela co-fondé Criteo. Sortie du classement cette année, sa start-up ne s'est pas pour autant effondrée, bien au contraire. "Nous avons dépassé les 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous sommes rentables sur notre activité historique et nous enregistrons près de 20% de croissance", partage Franck Le Ouay
S'il affirme que le programme a été utile pour le recrutement et l'image de l'entreprise, Franck Le Ouay relativise son impact sur l'activité. "Nos clients sont des hôpitaux, ils ne connaissent pas le FT120", affirme-t-il. Il pointe aussi les limites structurelles de ce type de classements : difficulté à comparer des entreprises de secteurs très différents et opacité des données financières disponibles. "Le critère de la levée de fonds est le plus visible, mais il n'est pas toujours pertinent", estime-t-il.
Des critères objectifs, mais des choix subjectifs
Officiellement, la sélection du FT120 repose sur deux piliers : le chiffre d'affaires (minimum 10 millions d'euros avec 15% de croissance annuelle sur trois ans) ou les montants levés (minimum 100 millions d'euros depuis janvier 2022). Lifen, qui n'a pas levé depuis 2021, aurait donc simplement décroché du radar, sans que cela ne remette en cause ses fondamentaux.
"Le classement est perfectible, car il reste centré sur des indicateurs financiers à court terme et peine à capter certains modèles, mais il a le mérite d'exister, et de continuer à donner de la visibilité et des ressources à un écosystème en pleine structuration", estime Sébastien Le Roy, partner chez Serena. Il reconnaît cependant que certaines sorties posent question. "Lifen, typiquement, est une très belle boîte, rentable, en croissance, avec la mission forte de rendre le système de santé plus performant. Leur sortie du classement est difficile à comprendre."
Ce décalage entre perception des investisseurs et mécanique de classement interroge. "En période de bull market, les montants levés étaient un bon indicateur de dynamique. Aujourd'hui, de plus en plus de start-up solides font le choix de ne pas lever. Est-ce qu'on saura adapter les critères à cette réalité ? C'est un enjeu majeur si on veut continuer à refléter la diversité réelle des modèles", interroge Sébastien Le Roy.
Sorare, symbole d'une autre trajectoire
Pour d'autres start-up, la sortie du FT120 traduit une réalité plus complexe. C'est le cas d'Ynsect ou de Sorare. En 2021, la licorne du Web3 levait 680 millions de dollars, un record. Trois ans plus tard, l'entreprise accuse, selon L'Informé, une baisse de 59% de son chiffre d'affaires en 2023, suivie d'une nouvelle chute de 27% en 2024. Ses pertes atteignent 220 millions d'euros. Le déclassement n'a ici rien de symbolique : il révèle les difficultés d'un modèle fragilisé par l'effondrement du marché des NFT.
Sorare incarne donc une autre figure de sortie : celle des ex-héros de la French Tech, propulsés par des levées massives et rattrapés par la dure réalité d'un marché plus exigeant. Là où Lifen illustre la sortie "technique", Sorare renvoie à une véritable perte de dynamique.
Refléter une French Tech plus mature
"Le FT120 reste un indicateur utile, mais il ne peut pas tout refléter. Il capture un momentum, pas toujours la solidité réelle d'un modèle. Certaines boîtes très bien gérées passent encore sous le radar", tranche Sébastien Le Roy. Pour lui, la French Tech entre dans un nouveau cycle, où la performance ne se mesure plus uniquement en montants levés, mais plutôt en croissance rentable, solidité de l'équipe dirigeante et positionnement clair. "Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose que certaines boîtes sortent du classement. Ce qui compte, c'est qu'elles restent solides", commente-t-il.
Les données du programme 2025 confirment ce tournant : près de la moitié des start-up du classement affichent aujourd'hui une rentabilité nette, un quart appartient à la deeptech, et 35% intègrent l'IA au cœur de leur proposition de valeur. "Le classement progresse. Le fait que 44 % des entreprises soient désormais rentables montre une bascule claire : la French Tech ne valorise plus uniquement la vitesse, mais aussi la tenue de route. Et ça, c'est un vrai signal positif", estime Sébastien Le Roy.
L'accent est désormais mis sur la transformation industrielle, l'impact environnemental et la souveraineté technologique, autant de dimensions qui interrogent aussi la pertinence de juger la performance à la seule aune du chiffre d'affaires ou des levées.
Le programme d'accompagnement s'est, lui aussi, renforcé. Chaque entreprise lauréate est suivie par un start-up manager dédié et bénéficie d'un accès privilégié à un réseau de 60 correspondants French Tech dans les grandes administrations, ainsi que d'une visibilité accrue en France et à l'international. Autant d'avantages qui rendent l'entrée dans le classement stratégique pour certaines jeunes pousses... mais pas nécessairement vitale pour des entreprises déjà bien installées.
Le FT120, indicateur partiel, mais structurant, continue donc de jouer son rôle de projecteur. Mais à l'évidence, son statut de thermomètre de l'écosystème devra évoluer avec lui.