Entretien assassin, pitch devant 2 500 investisseurs : Finary et Bitstack racontent leur passage chez Y Combinator
C'est sans conteste l'incubateur le plus emblématique au monde. Depuis près de vingt ans, Y Combinator façonne les plus célèbres licornes de la tech : Airbnb, Stripe, Reddit, Twitch ou encore Dropbox sont passées par ses rangs. Chaque année, la structure californienne accompagne des centaines de start-up en quête d'un destin similaire. Parmi elles figurent notamment les jeunes pousses françaises Finary et Bitstack, passées respectivement en 2021 et 2022. Leurs fondateurs reviennent sur cette expérience.
Pour Mounir Laggoune, CEO de la plateforme d'investissements Finary, intégrer Y Combinator ne faisait pas partie de son plan d'origine : "Un VC m'avait conseillé de postuler là-bas. On n'y avait pas du tout pensé et de toute manière, ça nous paraissait impossible. Mais étant donné qu'on a toujours voulu construire une boîte à l'américaine, c'était finalement assez logique d'aller chez les Américains", confie le dirigeant. "Quand on veut monter sa start-up, rejoindre Y Combinator, c'est un peu le graal", indique de son côté Alexandre Roubaud, CEO de Bitstack, une application d'épargne en bitcoins.
"Dès la première question, ils nous ont coupés pour nous expliquer que notre solution était vouée à l'échec. On s'est fait démolir pendant vingt minutes"
Et ce graal n'est pas accessible à tous. Pour intégrer le prestigieux incubateur américain, il faut passer par une sélection drastique en deux phases qui élimine près de 99% des candidats (environ 200 entreprises par promotion pour près de 20 000 postulants). Après un dossier en ligne, les start-up retenues doivent passer en visio devant quatre partners pour un entretien pas comme les autres : "On doit répondre à une quarantaine de questions en vingt minutes. La cadence est très soutenue, c'est un vrai challenge. Selon une rumeur, il ne faut pas dépasser six secondes par réponse", raconte Alexandre Roubaud. Et l'expérience peut s'avérer désagréable : "Ils ont commencé sans nous dire bonjour. Dès la première question, ils nous ont coupés pour nous expliquer que notre solution était vouée à l'échec. On s'est fait démolir pendant vingt minutes". Malgré cet entretien en apparence catastrophique, l'issue est favorable pour Bitstack : "A la fin, Michael Seibel, le cofondateur de Twitch, nous dit qu'il a une dernière question… et nous demande si on veut rejoindre la prochaine promotion".
Bitstack a ainsi rejoint la promotion Summer 2022, permettant à ses cofondateurs de passer trois mois au cœur de la Silicon Valley. Mounir Laggoune, lui, n'a pas eu cette chance : la promotion Winter 2021 de Finary s'est tenue à distance, en pleine crise sanitaire. Mais même à travers un écran, la magie a opéré. "Les fondateurs de Stripe, Coinbase et Airbnb nous ont raconté leur histoire pendant des workshops. C'était concret et inspirant", se souvient le dirigeant. " On nous a expliqué que cinq à dix entreprises de la promotion deviendraient des licornes. Et chaque semaine, on voyait d'anciennes start-up passées par YC entrer en bourse. C'était fou. Y Combinator, c'est vraiment l'incarnation du rêve américain".
Des points d'étape toutes les 2 semaines
Le programme ne se résume toutefois pas à écouter les anciens et à admirer leurs succès. Pendant trois mois, les start-up doivent surtout travailler intensément. Réparties en sous-groupes, elles sont accompagnées par cinq partners et doivent, toutes les deux semaines, présenter leurs progrès devant leurs pairs. "Lors de ces sessions, on partage nos résultats par rapport à l'objectif qu'on s'était fixé comme par exemple atteindre un certain nombre d'utilisateurs ou un niveau de revenus donné. Ensuite, on définit un nouveau cap pour les deux semaines suivantes, on fait le bilan, et ainsi de suite", détaille Alexandre Roubaud. "On est un peu en mission commando. La cadence est très soutenue mais elle impose l'action", ajoute de son côté Mounir Laggoune.
A la fin des trois mois, le programme se conclut par le fameux demo day : devant près de 2 500 investisseurs, les fondateurs doivent pitcher leur start-up en seulement une minute à l'aide d'une unique slide. "C'est un peu l'objectif final du programme. On se rend compte à quel point on peut dire beaucoup de choses en une seule slide", note Mounir Laggoune. "Ce jour-là, le rapport de force avec les investisseurs est inversé. C'est eux qui sont en concurrence et qui viennent nous parler". A l'issue de ce demo day, Finary et Bitstack ont toutes les deux levé deux millions d'euros. Et preuve que l'aventure ne s'arrête pas là, Y Combinator a continué de participer aux tours de table ultérieurs des deux start-up, plusieurs années après leur passage dans le programme.
Réseau et tampon YC
Selon les deux entrepreneurs, au-delàs des investissements, les bénéfices de l'incubation se prolongent bien au-delà des trois mois du programme. Le label YC continue de leur ouvrir des portes : "On a un peu un tampon Y Combinator qui nous confère une vraie crédibilité, notamment auprès des investisseurs", reconnaît Alexandre Roubaud. Mais l'apport le plus précieux reste sans doute le réseau : "On a un groupe WhatsApp avec les autres entrepreneurs français passés par l'incubateur. On s'entraide beaucoup. C'est un peu comme si on avait fait la même école", confie Mounir Laggoune. Et il n'y a pas que les élèves qui gardent contact. Même les professeurs restent disponibles : "On échange chaque trimestre avec les partners de notre promotion", apprécie Alexandre Roubaud. Un accompagnement de A à… Y.