"Elle est meilleure qu'un jeune en sortie d'école" : comment l'IA plombe l'emploi des développeurs juniors
Trois ans après l'arrivée fracassante de ChatGPT, les premières conséquences massives sur l'emploi deviennent une réalité. Aux Etats-Unis, Amazon, Target, UPS, Duolingo, Accenture licencient à tour de bras, si bien que le Wall Street Journal évoque des "dizaines de milliers d'emploi de cols blancs" supprimés. Si en France nous n'en sommes pas encore là, une catégorie de travailleurs souffre d'ores et déjà bel et bien, et ils ne sont pas ceux auquel on aurait pensé en priorité en 20222.
Car aujourd'hui, l'IA semble compliquer l'embauche… des développeurs. Enfin pas tous. Paradoxalement, là où les chocs technologiques affaiblissaient traditionnellement les plus âgés, ce sont aujourd'hui les développeurs juniors qui trinquent. Selon une étude de l'université de Stanford, sur 100 postes occupés aux Etats-Unis par des développeurs de logiciels en octobre 2022, il y en a seulement 80 pour les 22-25 ans en avril 2025 contre 110 pour les 41-49 ans.
Dans l'Hexagone, les développeurs juniors subissent la concurrence de l'IA et certaines start-up ont déjà remplacé ces jeunes profils par des outils comme Cursor, Gemini CLI, Lovable, Windsurf ou encore Claude Code. "L'intelligence artificielle est meilleure qu'un jeune en sortie d'école et se rapproche du niveau d'un senior", nous affirme le fondateur d'une start-up qui a développé un assistant d'intelligence artificielle et qui n'embauche plus de juniors. Sans surprise, le coût est la première explication : "Un abonnement à une IA ne coûte presque rien, alors qu'un alternant ou un jeune en CDI représente une dépense significative", complète Arthur Huppert, CEO de Mia, une solution de SaaS management qui se passe, elle aussi, des développeurs juniors.
Mais tout ne se résume pas à une question de coûts. Le facteur temps est déterminant : "La vitesse d'exécution d'une IA est impressionnante alors qu'un développeur junior, il faut le former techniquement", indique Thomas Essig, lead developer chez Mia. "En France, on forme des développeurs généralistes. Il faut ensuite les former en interne pendant 4 à 6 ans pour qu'ils soient opérationnels sur ce qu'on leur demande car il y a beaucoup de frameworks à maîtriser dans une start-up", ajoute notre interlocuteur anonyme.
Un gouffre entre juniors et seniors
Le problème pour les développeurs juniors, c'est que l'intelligence artificielle accomplit désormais les mêmes tâches qu'eux. "On l'utilise pour la réalisation de features, du code review ou pour éplucher de la documentation. C'est exactement le travail qu'on confiait auparavant à un junior", explique Thomas Essig. Un discours similaire à celui que l'en entend dans les firmes de consultants et les cabinets d'avocats. "Il y a deux ans, nous aurions recruté de jeunes développeurs pour ces missions", reconnaît Arthur Huppert. L'IA ne se contente pas d'occuper les mêmes fonctions. Elle affiche aussi les mêmes limites. "Elle peine parfois à choisir le bon outil de déploiement, se répète, détecte rarement ses propres fautes et reste limitée sur les questions de cybersécurité. Comme un développeur junior… à la différence près qu'elle ne coûte que vingt euros par mois", souligne le premier dirigeant interrogé.
Si les jeunes trinquent, les plus anciens, eux, tirent profit de cette situation. "Pour les tâches très techniques, on ne peut pas encore se passer des développeurs seniors qui encadrent l'utilisation de l'IA grâce à leur expertise. Si on recrute un junior, ce sera uniquement pour le former pour qu'il devienne senior à son tour", indique Arthur Huppert. Les uns sont encore indispensables, et les autres remplaçables. Résultat, un gouffre se crée entre les développeurs expérimentés et les plus jeunes. "On est prêt à mettre le paquet sur un senior s'il est encore meilleur que l'IA. On préfère avoir un développeur expérimenté qui coûte cher plutôt que deux juniors", avoue notre autre expert. "Dans la société, on dit que les riches s'enrichissent, que les pauvres s'appauvrissent et que la classe moyenne disparaît. C'est pareil avec les développeurs !"