Pierre Desjardins (C12) "L'ordinateur quantique que nous développons fera la taille d'un rack de serveurs"

Le CEO de la start-up française revient sur sa stratégie et sa feuille de route pour les mois et années à venir. La jeune pousse a choisi de s'orienter vers une technologie quantique originale : le qubit de spin.

JDN. C12 fête le 17 septembre ses 5 ans d'existence. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?

Pierre Desjardins est CEO et cofondateur de C12. © C12

Pierre Desjardins. Nous en sommes très fiers. En septembre 2020, je prenais la décision avec mon frère Matthieu de dédier ma vie à ce projet dans un café à proximité de l'Ecole Normale Supérieure. Cinq ans après, nous avons structuré une société de 55 personnes. Nous avons également monté un Quantum Fab, une première ligne pilote dédiée à la production de processeurs quantiques au cœur de Paris.

Votre technologie repose sur l'utilisation de nanotubes de carbone ultra purs sur silicium. Combien de qubits de ce type avez-vous déjà produits ?

Nous en avons produit des centaines. Cette dynamique scientifique s'est concrétisée en juin 2025 par une publication dans la revue Nature attestant pour la première fois d'un temps de cohérence record de 1,3 microseconde sur des qubits de spin en nanotubes de carbone connectés à un bus quantique. C'est une performance 100 fois supérieure aux résultats historiques sur cette technologie et 10 fois meilleure que celle des meilleurs qubits en silicium dans des conditions comparables.

Quel est le rôle du bus quantique ?

Il permet de passer à l'échelle en connectant un nombre important de qubits. Un volume qui augmente le risque de décohérence, ce que les nanotubes de carbone permettent à leur tour de compenser. La prochaine étape consistera à connecter deux qubits entre eux. Dans cette perspective, nous avons validé en février dernier, via des tests expérimentaux, un design qui permet de réaliser cette opération entre deux qubits distants. Il s'agit d'un prototype industrialisable.

Vous misez sur la qualité plutôt que la quantité...

Effectivement. Nos premiers démonstrateurs se concentrent sur des bus à un ou deux qubits. L'objectif est de bénéficier de briques de base les plus performantes possibles. Nous ne sommes donc pas dans la course au nombre de qubits. Faire du volume se traduirait par des qubits de mauvaise qualité qui impliqueraient un grand nombre de post-traitements classiques pour parvenir à un résultat précis qui ne soit pas aléatoire. En partant petit, notre objectif est in fine de parvenir le plus vite possible à un ordinateur à grande échelle capable d'atteindre l'avantage quantique (ou suprématie quantique, ndlr).

A quelle échéance comptez-vous atteindre l'avantage quantique ?

Nous avons l'année 2033 en ligne de mire, avec pour objectif d'atteindre un ordinateur quantique comptant une centaine de qubits logiques.

La chaîne de fabrication que vous mettez en œuvre est assez complexe. Comment comptez-vous la financer ?

C'est une très bonne question. Nous ciblons un processus de nano-assemblage qui permette de mettre en œuvre à terme un grand volume de qubits. Dans cette perspective, le point clé sera de présélectionner les qubits pour délivrer des puces avec une qualité uniforme. Pour ce faire, nous utilisons un mécanisme de tri-laser automatisé. Ce dispositif, qui contrôle aussi bien le rendement que la qualité, nous permettra de passer à l'échelle sur de gros volumes de qubits.

"Hormis Intel et nous, aucune autre société n'est positionnée sur les qubits de spin"

Pour passer à l'échelle, nous aurons besoin de lever à nouveau des fonds (C12 a bouclé une première levée de 18 millions d'euros en juin 2024, ndlr). Les moyens de production, de test et de développement dont nous avons besoin impliquent en effet un nouveau tour de table. Mais cette opération n'est pas prévue à court terme.

Avec Callisto, vous avez développé un premier simulateur quantique. Quelles sont les premières références client que vous pouvez citer autour de ce premier produit B?

Air Liquide a recours à Callisto pour réaliser des simulations de chimie quantique, Dassault Aviation pour effectuer des simulations d'équations dérivées partielles dans la dynamique des fluides. Enfin, Thales l'utilise pour résoudre des problèmes d'optimisation dans le cadre d'applications de défense. En parallèle, C12 a été sélectionné par l'Armée française dans le cadre du programme Proqcima dans le but de livrer un ordinateur quantique d'ici 2033.

Quels sont les autres cas d'usage que vous avez dans votre scope ?

Nous avons des cas d'usage à fort potentiel dans la finance. C'est aussi le cas dans l'IA, que ce soit pour améliorer la précision des résultats lors de l'inférence, ou pour simplifier les étapes de préapprentissage.

Face à la compétition internationale, comment C12 peut-il préserver et amplifier son avance dans la technologie des qubits de spin ?

Hormis Intel et nous, aucune autre société n'est positionnée sur les qubits de spin. Nous sommes par conséquent les leaders du domaine en Europe, et nous comptons bien le rester. Sur le front de l'informatique quantique, nombre de sociétés sont beaucoup mieux financées. Rien qu'en septembre, nous avons assisté à trois méga-levées de fonds dans le secteur : celle d'IQM de 300 millions de dollars, celle de Quantinuum de 600 millions de dollars, et enfin celle de PsiQuantum à hauteur de 1 milliard de dollars. L'attractivité est très forte. Les investisseurs ont intégré tout le potentiel de cette technologie et sa capacité à transformer l'industrie.

Reste une vraie différence. Avec les qubits de spin, nous ne cherchons pas à créer des accélérateurs de particules (rire, ndlr). Nous ne ciblons pas ce degré de complexité comme c'est le cas des acteurs que je viens de citer. L'ordinateur que nous cherchons à développer pour 2033 fera la taille d'un simple rack de serveurs.

Vous misez également sur l'intégration d'ordinateurs quantiques dans des centres de calcul haute performance classique...

C'est une piste que nous explorons. Nous estimons que les ordinateurs quantiques pourront venir compléter les centres de calcul HPC ou les AI factories dans le cas de traitements particuliers, notamment en matière de recherche de nouveaux matériaux ou de modélisation de réaction chimique. Ce ne sera pas une infrastructure de substitution mais plutôt un outil complémentaire centré sur les problèmes trop complexes à résoudre pour les systèmes classiques. Cette imbrication implique des enjeux spécifiques en termes de machines, d'intégration et de logiciel (lire la chronique de Pierre Desjardins publié sur ce sujet dans le JDN : Les data centers et centres de calcul de haute performance face au défi quantique).

Pierre Desjardins a créé C12 avec son frère Matthieu. Il occupe actuellement le poste de CEO. Précédemment, Pierre Desjardins a été chercheur assistant en physique quantique à l'Université de Columbia (New York). Dans la foulée, il a décroché un diplôme en photonique quantique dans le même établissement. En 2013, il a occupé le poste d'assistant de recherche au MIT. Il planche alors sur le développement de sources de photons uniques intégrées sur des puces en silicium. En 2014, il rejoint la société Roland Berger, un cabinet de conseil en stratégie. Il est d'abord nommé consultant, puis gravit les échelons. En 2019, il est promu chef de projet. Tout juste un an après, il cofonde C12.