Cette fois, l'ordinateur quantique frappe vraiment à notre porte

Cette fois, l'ordinateur quantique frappe vraiment à notre porte Plusieurs avancées récentes montrent que cette technologie a aujourd'hui atteint un stade de maturité qui permet d'envisager des usages très concrets au cours des prochaines années.

Gordon Gekko en rêvait, IBM l'a fait. En mettant fin septembre son ordinateur quantique au service de la banque HSBC, le géant de l'informatique a permis à celle-ci d'obtenir des prédictions 34% plus précises pour ses traders sur l'évolution des bons du Trésor. Une performance notamment due au fait que la machine d'IBM est parvenue à identifier des motifs cachés parmi les millions de données de marché étudiées, qui échappaient aux ordinateurs classiques et lui ont permis d'acquérir ce surcroît de précision dans ses prédictions. S'il n'a pas été plus rapide qu'un ordinateur normal, le processeur quantique a donc produit un calcul de meilleure qualité.

Pour IBM, le fait d'être parvenu à démontrer un cas d'usage concret susceptible d'apporter de la valeur aux entreprises est un gros plus en faveur de sa stratégie quantique en tant que service, qui vise à permettre aux clients d'accéder à la puissance de ses machines quantiques via le cloud.

L'autre aspect intéressant de cette annonce est que le bruit quantique — c'est-à-dire la défaillance des qubits qui rend les machines quantiques promptes aux erreurs et est généralement considérée comme un fort obstacle à leur développement — a ici joué en la faveur des chercheurs d'IBM, en les aidant à identifier les motifs cachés parmi les données financières étudiées.

Si l'informatique quantique est une technologie complexe, qui nécessite encore un long développement avant d'arriver à maturité, cette annonce prouve que la technologie est désormais suffisamment mûre pour apporter de la valeur aux entreprises. Ce que confirme Xavier Vasques, directeur de la R&D d'IBM France. "Notre pari, c'est qu'en 2029, nous aurons la commercialisation de machines quantiques tolérantes aux pannes, qui pourront être utilisées par les entreprises pour débloquer un certain nombre de cas d'usage."

Des chercheurs de l'université d'Austin, au Texas, viennent de leur côté d'affirmer avoir atteint la suprématie quantique, c'est-à-dire la résolution, par une machine quantique, d'un problème qui aurait été insoluble pour un ordinateur traditionnel.

Si l'annonce a un air de déjà-vu, c'est parce que Google a déjà allégué avoir réalisé cette performance fin 2019, à l'aide de son processeur Sycamore, une annonce qui a toutefois depuis été remise en question. En 2024, des chercheurs chinois ont par exemple accompli la même performance que l'ordinateur de Google avec une machine classique. Prouver la "suprématie quantique" est en effet très complexe, dans la mesure où il faut s'assurer qu'aucun algorithme classique ne pourrait résoudre la tâche assignée à l'ordinateur quantique.

C'est pourquoi certains, à l'instar d'IBM, estiment que la question de la suprématie quantique est moins importante que celle de prouver que les ordinateurs quantiques peuvent résoudre des problèmes concrets, susceptibles de débloquer de la valeur. "Plutôt que sur des calculs sans utilité pratique, nous préférons nous concentrer sur des cas d'usage avec une utilité industrielle", résume Xavier Vasques, qui affirme qu'IBM publiera les résultats d'un calcul quantique utile d'ici la fin 2026.

La recherche fondamentale avance rapidement

Quelle que soit la volonté de trouver des cas d'usage pratiques, l'informatique quantique demeure dépendante des avancées de la recherche fondamentale. Or, l'actualité est également riche à cet égard. Des chercheurs australiens sont ainsi parvenus à intriquer des noyaux atomiques à grande distance. Propriété très curieuse de la mécanique quantique, l'intrication — qui relie deux particules de telle sorte que leurs états deviennent interdépendants, même lorsqu'elles sont éloignées — est l'une des propriétés sur lesquelles se fonde la puissance des ordinateurs quantiques. L'expérience des chercheurs australiens ouvre la voie à des microprocesseurs quantiques utilisant la même échelle de fabrication que les puces en silicium de nos téléphones ou ordinateurs, un pas significatif vers la démocratisation de cette technologie.

Plus près de chez nous, la jeune pousse française Alice & Bob, en collaboration avec l'Inria, a trouvé une nouvelle manière, plus économe et moins complexe, de préparer des états magiques. Ces états quantiques sont indispensables pour rendre un ordinateur capable d'exécuter n'importe quel algorithme, y compris ceux avec un avantage prouvé comme celui de Shor (utilisé en cryptographie) ou de Grover (pour la recherche dans des bases de données). Alice & Bob, qui possède également des bureaux à Boston, est notamment connue pour son "qubit de chat", un qubit résistant aux erreurs.

Des applications, au-delà du trading

Toutes ces évolutions préparent donc l'arrivée imminente de machines quantiques susceptibles d'avoir un impact réel et transformateur sur plusieurs secteurs économiques. Parmi ceux-ci, citons notamment la santé, où ces machines pourraient permettre d'élaborer de nouveaux traitements. "Nous avons un partenariat en place avec Moderna, autour de l'ARN Messager, afin d'étudier comment celle-ci évolue. Mais aussi pour la découverte de nouvelles molécules", précise Xavier Vasques.

La cryptographie est un autre secteur qui risque d'être intégralement chamboulé par l'arrivée des ordinateurs quantiques. De gros efforts sont actuellement déployés pour basculer vers des algorithmes de cryptographie post-quantique, qui seront capables à résister aux tentatives de déchiffrement des futurs ordinateurs lorsque ceux-ci seront devenus suffisamment puissants et répandus.

"Aujourd'hui, nous avons beaucoup de projets dits "quantum safe", visant à crypter à l'avance les bases de données qui ont des longévités de plus de 6, 8, 10 ans. Car si, dans 8 ans, le quantique arrive, vous pourrez craquer des bases de données générées aujourd'hui, puisque vous aurez les technologies qui permettent de le faire. Il faut donc se préparer dès maintenant", note Xavier Vasques.

Le quantique permet également de mettre en place des synergies avec d'autres technologies de pointe, comme l'IA. "On utilise l'IA pour nous aider à développer des algorithmes quantiques", confirme Xavier Vasques. "En effet, on ne peut pas simplement prendre un algorithme classique et le faire tourner sur une machine quantique. Cela ne marche pas. En revanche, l'IA générative nous permet d'accélérer, en disant que cette équation-là, on veut la reproduire dans un écosystème quantique. On génère ainsi automatiquement de nouveaux algorithmes."

Citons encore la logistique, où le quantique permet de résoudre des problèmes d'optimisation complexes avec de nombreux paramètres. Ou encore la chimie, où les machines quantiques peuvent être mises au service de la modélisation moléculaire, afin de développer de nouveaux matériaux.