Comment le digital est remonté dans la chaîne de valeur des entreprises (1/4)

Analyse rétrospective de la remontée des technologies digitales dans la chaîne de valeur des entreprises et de l'évolution concomitante du marché du conseil en innovation. Partie 1/4 : Du HTML 1.0 au modèle start-up.

"De la base au sommet..." Non, il ne s'agit pas de la réponse d'une association d'usagers en colère à une certaine parole présidentielle, ni du récit d'une épopée transalpine, mais simplement du chemin parcouru par les technologies digitales en une vingtaine d'années seulement. En effet, ce qui a commencé, à la fin des années 90, par quelques pages web présentant de l'information texte et images a fini vingt ans plus tard par influencer toute l'économie et toutes les entreprises.

Evidemment, cette montée vers les sommets et remontée dans la chaîne de valeur s'est réalisée par étapes. Pendant la première décennie (de 1998 à 2008 environ), ces technologies se sont notamment attachées à réinventer la relation client, à installer des nouveaux canaux de distribution et à dématérialiser la plupart des processus, de la déclaration d'impôts à l'enregistrement de vol. S'enrichissant ensuite de nouveaux attributs, plus multimédia, plus sociaux et plus applicatifs, elles ont à la fois induit le quasi remplacement des médias traditionnels dans les stratégies de communication - au profit du duopole Google et Facebook - et contribué à créer de nouveaux marchés, business models et modèles de services.

Montée en puissance de l'écosystème start-up

Cette dernière évolution s'est notamment réalisée sous l'influence majeure de l'écosystème californien, son environnement technologique, sa culture de l'innovation et du risque, sa foi inébranlable en une "new frontier" et un avenir radieux. Elle s'est également inscrite dans différentes tendances de fond, notamment "l'âge de l'accès" et la "softwarisation de l'économie".

En effet, comme le prédisait dès 2000 Jérémie Rifkin, professeur et spécialiste de prospective économique, on assiste depuis plusieurs années à la fin du principe de propriété (d'un bien) au profit des logiques d'accès (à un service), comme c'est le cas pour les automobiles partagées ou les logiciels SaaS. De son côté, Marc Andreessen, acteur et investisseur historique de la Silicon Valley, constatait et anticipait dès 2011 dans une formule qui a fait date ("software is eating the world") que progressivement, tous les secteurs allaient voir émerger des nouveaux concurrents qui placeraient le "software" au centre de leur proposition de valeur et révolutionneraient ainsi leur marché.

Cette seconde phase de montée en puissance des technologies digitales s'est concrétisée par l'explosion du phénomène start-up du fait de la capacité de ces entreprises à fort potentiel et forte croissance à saisir les nouvelles opportunités offertes par les technologies, à en imaginer les usages associés et à créer de nouveaux besoins. En cela, elles inspirent non seulement les entrepreneurs du monde entier mais influencent également les entreprises établies qui envient leur créativité et redoutent leur concurrence. C'est ainsi que le modèle qu'elles véhiculent impacte les organisations en profondeur.

L'innovation au cœur de la stratégie

Tout d'abord, ce modèle a fortement renforcé l'importance de l'innovation dans la stratégie des entreprises. Certes, de tout temps, la capacité à faire évoluer ses produits et à en inventer de nouveaux a fait partie de l'ADN de la plupart des sociétés pérennes et de leur stratégie pour se développer ou conserver leurs parts de marché. Depuis quelques décennies, la capacité à innover a également constitué un moyen de contrer la concurrence à bas coûts des pays émergents.

Désormais, toutes les entreprises et les grands groupes en particulier font face à un nouveau type de concurrence potentielle. Celle de startups qui innovent avant tout en termes de services, de modèles de vente, de canal de distribution ou de communication... et qui ont une forte capacité à croître vite grâce à d'importantes sources de financement disponibles. Ainsi, là où précédemment l'innovation résidait le plus souvent dans les produits et le cœur de métier des entreprises, elle émerge désormais d'horizons multiples. Cela amène ces dernières à opter pour des démarches d'open innovation afin de s'enrichir d'idées nouvelles et de démultiplier leurs capacités de renouvellement.

Démarches d'open innovation

Parmi, les approches le plus souvent mises en œuvre dans les grands groupes, on trouve ainsi pêle-mêle :

  • La création de fonds en capital-risque pour investir dans des sociétés au business model innovant et les aider à se développer tout en les gardant dans leur giron. C'est par exemple le cas de Danone Manifesto Ventures qui a pris récemment (2017) une participation dans Michel & Augustin.
  • La participation dans des programmes d'accélération privés comme Techstars ou publics comme Paris & Co, le plus souvent en sponsorisant une thématique proche de leur métier, ce qui permet de faire de la veille tout en ayant un investissement financier et humain limité.
  • Le lancement en propre d'incubateurs ou d'accélérateurs sectoriels visant à identifier au plus tôt l'émergence d'entreprises innovantes, potentiellement à orienter leurs trajectoires et surtout à se positionner sur une éventuelle prise de participation. C'est par exemple le cas de UR Link, accélérateur de la société Unibail Rodamco ou de Lafayette Plug & Play lancé par Galeries Lafayette avec le support de l’accélérateur et fonds d’investissements américain Plug and Play.
  • La mise en place d'un startup studio dont la vocation est de lancer des projets multiples "en mode éditeur" en se dotant en interne de nombreuses compétences stratégiques et opérationnelles (business, juridique, design, prototypage, développement...) comme s'attache à le faire Air France KLM avec Big Blank ou Axa avec Kamet.
  • La création d'un lab d'innovation qui peut avoir des finalités variées : de prospective (anticiper l'avenir à 5 à 10 ans), d’agilité et d’incubation (en adoptant les méthodes issues des startups), d’innovation ouverte (visant l'innovation de rupture par l'apport d'actifs externes), de facilitation (pour la culture d'innovation et de collaboration)...
  • Les programmes d'intraprenariat qui misent plutôt sur la connaissance métier alliée à la créativité des collaborateurs pour imaginer de nouvelles idées pertinentes (exemple : le programme Léonard du groupe Vinci ou le projet i3 de La Poste / Banque Postale).
  • Le sourcing d'idées externes via la mise en place de hackathons, "reverse pitch", concours et autres appels à projets (exemple : Pulse d'EDF).
  • La veille stratégique et d'analyse prospective dont l'un des pionniers en la matière reste le célèbre Atelier de BNP Paribas.
  • L'exploration via des learning expeditions et autres business trips principalement dans la Silicon Valley ou en Chine.

Il est à noter que ces différentes démarches sont rarement exclusives mais généralement mises en œuvre et orchestrées en parallèle. D'ailleurs, dans les initiatives corporate, les frontières entre lab d'innovation, accélérateur et initiatives de sourcing sont souvent floues.

Désormais toujours sponsorisés par les directions générales, ces programmes d'innovation digitale sont pilotés à différents niveaux selon leur nature, la culture d'entreprise et la maturité de l'organisation sur le sujet. 

Au niveau d'une direction digitale créée spécifiquement, d'une direction métier existante (R&D, DSI, communication …) ou directement représentés au Comexemple 

Dans ce dernier cas, ils sont souvent portés par un Chief Digital Officer dont le rôle peut être plutôt celui d'un « agent de changement » devant impulser une nouvelle culture digitale et sponsoriser les nouveaux modèles de services (c'était récemment encore le cas de Nestlé) ou lié à un véritable périmètre de responsabilités opérationnelles intégrant le digital, le marketing et la DSI (comme chez Club Med), voire la vente et l'expérience client (exemple : AccorHotels).

Aujourd'hui de nouvelles questions se posent aux organisations ayant initié ce type de démarches.  Tout d'abord, celle du retour sur investissement qui est généralement complexe à mesurer puisque le développement de ces startups ou activités nouvelles peut souvent prendre plusieurs années. Mais aussi celle de l'innovation développée non plus comme un programme spécifique focalisant sur des projets limités dans le temps, mais comme une démarche continue et intégrée au cœur même des valeurs et du fonctionnement de l'entreprise.

Lire les autres chroniques de cette série

Comment le digital a remonté la chaîne de valeur des entreprises (2/4) - Changement de culture et de mode de travail

Comment le digital a remonté la chaîne de valeur des entreprises (3/4) - Evolution et convergence du marché du conseil et de l'ingénierie

Comment le digital a remonté la chaîne de valeur des entreprises (4/4) - Des modèles en évolution constante