Philanthropie : il ne peut exister de gratuité sans engagement

A l’occasion du Giving Tuesday qui célèbrait, la semaine dernière, la philanthropie en France, Charlie Tronche, directeur des partenariats chez HelloAsso pointe le danger de marginaliser ce qui n’a pas de prix, comme l’engagement. Il plaide pour remettre une dose de gratuité et d’altruisme au coeur de nos rapports les uns aux autres.

“Qu’est-ce que je vous dois ?” La question est banale, et conclut de nombreux échanges que nous avons les uns avec les autres. Pourtant dans certains contextes elle peut paraître tout à fait hors de propos comme cela est le cas… à l’hôpital pour prendre un sujet d’actualité. A première vue, ne pas débourser le moindre centime pour un service de soin est un non-sens. Après tout, une bonne santé est une préoccupation toute personnelle. Comment justifier de ne pas avoir à en assumer le coût de manière directe dès lors qu’elle nécessite le service d’autres personnes ? Pour les homo oeconomicus que nous sommes, se figurer un service rendu gratuitement tient de l’impossible. La gratuité sème le doute, voire la méfiance : dans ce monde, tout doit avoir un prix. Un doute qui n’épargne pas non plus le monde associatif face à la possibilité offerte de disposer gratuitement d’outils leur permettant d’améliorer la gestion quotidienne de leur fonds. Et comment leur reprocher ce doute et cette suspicion ? Après tout, ils sont aujourd’hui légitimes pour deux raisons.

Gratuité, contre-nature ?

D’abord parce que le prisme culturel et économique qui est le nôtre fait du prix le maître étalon de toute chose. Le risque d’une telle approche est de dévaloriser ce qui a un coût mais qui n’a pas de contrepartie, par exemple la philanthropie. Le don de temps ou de compétence à des projets collectifs sans contrepartie, en un mot l’expérience bénévole, concerne pourtant 22 millions de personnes en France. Le don financier sans contrepartie, en un mot la générosité, s’élève quant à lui chaque année à 7,5 milliards d’euros au profit des associations, dont plus de la moitié émane des particuliers. Quel est donc l’avenir de la philanthropie lorsque rendre un service désintéressé est un comportement qui s’éloigne de la norme ?

D’autre part, si la gratuité est de plus en plus envisagée comme contre-nature, les géants de la tech en ont une responsabilité inquiétante. Ils la vident de son sens. Les grandes plateformes que sont par exemple Facebook et Google proposent des services qui nous facilitent le quotidien et en apparence gratuits. En apparence seulement. En effet, en les utilisant nous consentons à leur transmettre des informations sur nos vies, goûts, intérêts ou opinions qu’ils se chargent de commercialiser à des régies publicitaires avec la promesse d’une réclame parfaitement ciblée.  En ceci, ils transforment purement et simplement Internet en la plus vaste expérience marchande jamais connue ! Bien loin des valeurs de mise en commun, de liberté et partage de l’information qui ont pourtant été à l’origine du développement du web.

Autant de facteurs qui ne font que souligner une réalité : il ne peut exister aujourd’hui de gratuité sans engagement ! Si l’accès au soin pour le plus grand nombre reste possible, c’est parce que nous décidons collectivement d’en assumer la charge via l’impôt. Si la plupart des associations continuent d’exister, c’est parce qu’elles bénéficient de soutiens financiers et humains donnés sans contrepartie. Reste que cet engagement est menacé par le dogme actuel. Une menace que nous pouvons enrayer à condition de ne pas laisser pas l’homo oeconomicus qui est en nous prendre toutes nos décisions selon le ratio coût/avantage. Faisons plutôt confiance à l’homo philanthropus pour qu’il guide nos comportements selon le calcul altruisme/impact. Au bénéfice de tous, l’individu comme du groupe…