Entrepreneuriat : Quelle leçons tirer de la crise du Covid-19 ?

Face à une situation nouvelle exceptionnelle, un entrepreneur n'a pas de réponse pré programmée. En attendant que le proche avenir nous étonne encore un peu plus, un retour sur le mois écoulé apporte déjà son lot d'enseignements.

Pour protéger nos équipes, la mise en place du télétravail a mobilisé les énergies les deux premières semaines. Il semblait d’abord assez simple de demander à chacun de rester chez soi en continuant à communiquer par email, messageries collaboratives ou systèmes de conférences à distance. Puis l’organisation de la vie personnelle à domicile a ramené chacun à la réalité. Les visioconférences ne permettent pas toujours des échanges fluides, elles sont très consommatrices de temps, de concentration et elles ne s’organisent pas toujours pendant les plages de disponibilités respectives de chacun. Moins de temps, moins de contacts directs, moins de productivité. Il a fallu quinze jours pour accoucher de la liste des véritables priorités sur lesquelles concentrer le travail de chacun. La vie professionnelle pendant la crise du Covd19 n’était pas la continuation par d’autres moyens de l’activité habituelle.

La deuxième semaine a été marquée par la réaction managériale classique face à une crise  de grande ampleur avec une seule égoïste et non moins légitime  question : "comment sauver mon entreprise" ? Les dirigeants  aguerris par la crise de 2008 avaient peut être  quelques jours d’avance sur les coupes immédiates et massives de toutes les dépenses non strictement nécessaires, mais cet avantage comparatif a vite été dépassé. Au bout de quelques jours les pouvoirs publics apportaient un nouvel ingrédient dans la scénographie habituelle en assouplissant les dispositifs de chômage partiel afin d’éviter les licenciements massifs. Il semble que cela ait plutôt fonctionné puisque 8 millions de personnes sont couvertes par le dispositif de chômage partiel au 11 avril 2020. Cette mesure exceptionnelle soulignait si besoin que nous n’étions pas en train de gérer une crise comme une autre.

La progression, du nombre de victimes chez nos voisins italiens et la multiplication des décès chez des populations jeunes en France ont fait passer notre état mental à une troisième phase : éviter la panique, occuper son esprit et réfléchir à la meilleure façon d’être utile. Beaucoup d’entreprises se sont mobilisées pour aider le personnel soignant, fabriquer de équipements de protection (LVMH), du gel hydroalcoolique (Corania, L’Occitane) ou verser des fonds a des associations caritatives (Croix Rouge notamment). Par l’intermédiaire de mes entreprises j’ai essayé d’être utile en diffusant sur Internet des messages de santé publique concernant le Covid19 et en transportant gratuitement en mototaxi le personnel soignant. A titre personnel et avec d’autres entrepreneurs, j’ai versé et réuni des fonds pour que la Fondation de Marseille (où je vis avec ma famille)  aide les associations de soutien au personnel soignant et aux personnes les plus démunies … Des gouttes d’eau, mais pas isolées, donc utiles par leur multiplicité.

Puis est venue la prise de conscience. Oui, la spécialisation à l’extrême des économies nationales dans le cadre de la mondialisation repose sur l’illusion qu’une crise n’affecte jamais tous les pays en même temps. Evidemment, l’air est plus pur et les mers sont rendues à la faune marine qui se la réapproprie a une vitesse déconcertante (des Rorquals ont été  aperçus dans le Parc National des Calanque à Marseille !). Assurément, les chaînes de production et de consommation locales ont des mérites écologiques mais aussi sanitaires et économiques. Absolument, il est inacceptable de laisser les écarts de richesse individuelle s’accroître au point de nous faire rejoindre les périodes de l’Histoire ou ils déterminaient trop lourdement l’espérance de vie. Certainement, lorsque nous sommes amenés à vivre confinés dans un espace restreint, l’éducation et la culture redeviennent les évidences qui font de nous des Hommes. Et enfin, l’investissement dans notre système de santé ne doit pas se faire dans un cadre de gestion de court-moyen terme.

Nostra maxima culpa, on ne négocie pas de contrat avec la nature, avec la vie et avec la condition humaine.  C’est sur la base de cette évidence simple que mon esprit d’entrepreneur réfléchit maintenant à mon action dans le monde d’après. Il m’a fallut presque 5 décennies et 5 semaines pour en arriver là. Pour ceux qui restent en bonne santé, cette crise n’est pas du temps perdu. C’est le temps d’avant que nous avons gâché.