Anti-Zuckerberg, évangéliste du Web3 et patron d'Animoca, qui est Yat Siu ?

Anti-Zuckerberg, évangéliste du Web3 et patron d'Animoca, qui est Yat Siu ? A la tête d'Animoca Brands, dont le portefeuille détient 380 entreprises de l'écosystème Web3, Yat Siu est emblématique du secteur, non loin derrière le mystérieux Satoshi Nakamoto et Vitalik Buterin.

Il fallait le voir lors de son passage au Gitex de Dubaï fendre difficilement la foule venue le saluer pour comprendre à quel point Yat Siu est aujourd'hui l'une des figures les plus connues du Web3. Avec patience, il répond à toutes les sollicitations, ici celle d'un jeune Français venu lui présenter le "prochain Instagram", là celle d'un entrepreneur américain déterminé à lui vanter les mérites de la prochaine blockchain révolutionnaire. Yat Siu les écoute tous, avec attention, puis donne sa carte de visite représentant son avatar en voxel, ce pixel en trois dimensions, toujours avec la même politesse : "Ecrivez-moi à cette adresse, je me souviendrai de vous", assure-t-il à chacun de ses interlocuteurs.

Une simplicité loin des "crypto bros"

Carte de visite de Yat Siu. © JLB

Dans un secteur où les fanfarons sont souvent rois, à l'image des Do Kwon (créateur de Terra), Su Zhu (cofondateur de 3AC) ou encore SBF, lui fait profil bas, habillé d'un simple sweat zippé, t-shirt noir et chino. "C'est presque un uniforme", en rigole Benjamin Charbit, dirigeant du studio français de jeu vidéo Darewise. "Quand j'ai rencontré Yat, j'ai vraiment été frappé par ce niveau d'humilité alors que le Web3 n'est pas réputé pour cela : c'est un secteur plein de 'crypto bros' : des mecs qui ont tout compris, gagné plein de pognon, roulent dans leur Lamborghini et t'expliquent que tu as raté le coche. A l'inverse, Yat est très simple. Et surtout, humble."

Sa notoriété, peut-être comparable à celle de Vitalik Buterin (créateur d'Ethereum), ce bientôt quinquagénaire la doit à la place désormais incontournable de sa firme, AnimocaBrands, fondée à Hong Kong en 2014. Alors simple éditeur de jeu vidéo mobile, détenteur des licences de Garfield ou Astroboy, le studio Animoca prend de l'ampleur dès sa fusion avec le groupe minier australien Black Fire Minerals la même année. Une opération sur le papier étonnante mais justifiée selon le fondateur par "des actionnaires communs désireux d'entrer en Bourse par Black Fire en Australie". Rapidement, le groupe se lance dans l'écosystème blockchain et investit dans des start-up, telles que DapperLabs et Pixowl, studios respectivement responsables de Cryptokitties et The Sandbox, ou encore la plateforme NFT OpenSea, des sociétés dont le point commun était de développer le concept de NFT. 

"Animoca a investi en plein âge de glace crypto"

"Fin 2017, ce qui semble être une éternité, nous ne sommes pas arrivés dans le secteur grâce au Bitcoin, contrairement à beaucoup de nos pairs, mais en raison des NFT. Nous avons tout de suite pensé que le concept de propriété numérique allait être la vraie révolution majeure", nous explique Yat Siu au sujet de ces paris aujourd'hui gagnants, mais surprenants à une époque où l'écosystème subissait de plein fouet la volatilité des cours du bitcoin. "Certains se souviennent peut-être qu'en 2018 et 2019, Bitcoin et Ethereum valaient respectivement 3000 et 100 dollars. C'était vraiment dur mais c'est dans ces moments que les meilleures entreprises se construisent. C'est durant cet hiver crypto, ou plutôt cet âge de glace, qu'ont émergé les OpenSea, Axie Infinity, Wax, DapperLabs, Decentraland et que nous avons vu l'opportunité d'investir."

Un passionné de philosophie, proche de Loïc Le Meur

Pour l'entrepreneur, le Web3 incarne "un changement de paradigme avec la possibilité de posséder nos données et d'en maîtriser la valeur dérivée. Dans le monde physique, on se bat pour l'essence, pour le foncier mais dans le monde numérique, on se bat pour les données ". Dans son viseur, les Facebook, Apple et Google coupables "de les accumuler pour les monétiser. Plus de la moitié des revenus générés dans l'industrie du jeu va à Facebook, Apple et Google. Quelle part revient à l'industrie elle-même ? Presque zéro. C'est le problème. Malgré l'énorme valeur générée, les GAFAM ne réinvestissent pas dans l'industrie. C'est l'exemple le plus éloquent d'extraction de valeur."

Capture d'écran du land Gucci dans la plateforme Sandbox. © The Sandbox

Le discours fait abstraction des considérations techniques, n'abuse pas d'emphase et privilégie la concision. Un prêche propagé aux quatre coins du monde, ce jour-là à Dubaï, la veille à Hawaii, la semaine d'après à San Francisco et le plus souvent en ligne, comme pour Pawa, le rendez-vous de son "ami de longue date", Loïc Le Meur, rencontré "lors du Forum mondial de l'économie à Davos il y a 20 ans". Les sollicitations sont innombrables mais le sacerdoce assumé, un mal nécessaire pour évangéliser le plus grand nombre, au-delà du seul public de fidèles. La méthode fonctionne. "C'est quelqu'un de visionnaire, doué d'éloquence et accessible", nous raconte Sébastien Borget, fondateur de The Sandbox, racheté par AnimocaBrands. "C'est devenu un porte-parole phare d'un contrepoids et d'une autre mesure qui résonnent auprès du public", poursuit le Français, qui pointe "un contexte supplémentaire : la position géographique d'Animoca Brands, basé à Hong Kong, sous le contrôle de la Chine."

"Meta aspire au monopole mais grâce au Web3, ce n'est pas possible"

Or, Yat Siu est, lui, né en Autriche et a grandi à Vienne, donc sous une forte influence européenne. Ce passionné de philosophie, qui a appris le code sur les premiers ordinateurs Texas Instruments puis sur Atari ST, évoque "la Révolution française", comme "l'une des sources du système libertaire qu'est la blockchain." D'après lui, les premiers germes ont poussé "à ce moment : avec un peuple qui a pensé au droit à la propriété, à la liberté, la décentralisation du pouvoir." A ses yeux, la blockchain n'est d'ailleurs pas une solution technique mais un système politique, économique et social à même d'offrir transparence et un droit à la propriété à tous. "C'est pourquoi certaines parties du globe ont une telle réaction anti-blockchain, pas en raison de la technologie, mais en raison de ses implications politiques", continue-t-il, non sans insister sur un modèle à l'opposé de Meta. "La décentralisation de la propriété contribue à distribuer la valeur de manière plus équitable. Meta aspire au monopole mais ce n'est pas possible : grâce au Web3, il y aura des milliers de métaverses. On ne peut pas se contenter d'un New York. New York est spéciale car il y a beaucoup d'autres villes dans le monde. Si c'était la seule, ce serait ennuyant. Le métaverse fonctionne de la même façon."

Un portefeuille de 380 entreprises, une valorisation de près de 6 milliards de dollars

Aujourd'hui, le portefeuille d'Animoca détient une participation dans plus de 380 entreprises de l'écosystème Web3 : jeu vidéo, infrastructure blockchain, wallet, esport, collection de nft, plateforme d'échanges… Le groupe hongkongais est partout, une hégémonie au premier abord paradoxale avec le discours de son fondateur. Ses proches évoquent au contraire une stratégie bienveillante. "Ce serait problématique s'il y avait une notion de contrôle mais Animoca finance un écosystème et y participe de façon minoritaire. Animoca se refuse toujours à jouer un rôle interventionniste dans la gouvernance des boîtes", nous explique Benjamin Charbit, dont la société a également été acquise par le groupe hongkongais.

Capture d'écran du jeu "Life Beyond" de Darewise. © Darewise

"Il y a une façon de faire Animoca, une vraie recherche de compatibilité culturelle. Avec 380 entreprises dans leur portfolio, on pourrait penser qu'ils investissent n'importe où mais ce n'est pas du tout le cas. " Un sentiment partagé par Sébastien Borget. "La force est dans l'écosystème et Animoca ne centralise pas l'écosystème mais le décuple. Animoca n'intervient pas opérationnellement dans la gestion de la boîte. Ils nous soutiennent dans des phases de levée de fonds ou dans les décisions que l'on doit prendre au niveau du conseil d'administration mais ne vont à aucun moment essayer de consolider des ressources ou de faire des économies d'échelle." Le principal intéressé entend quant à lui les commentaires critiques sur l'omniprésence de son groupe, sans véritablement s'en offusquer. "Nous n'avons pas de dette, nous n'avons pas utilisé ces mécanismes pour nous financer. La plupart des gens nous voient comme des capital-risqueurs car nous faisons des investissements mais nous ne sommes pas un fonds, ce qui signifie que nous pouvons investir avec un horizon à très long terme. Nous n'avons pas besoin de sortir notre capital", nous répond-il.

L'expansion du groupe, valorisé près de six milliards de dollars, ne devrait pas s'arrêter en si bon chemin. Yat Siu nous évoque ainsi les "3,5 milliards de joueurs dans le monde" à conquérir mais aussi… le secteur éducatif. "Les enseignants sont parmi les grands créateurs de contenus, donc d'actifs dans le monde, et généralement très mal rémunérés. Le Web3 peut changer cela." Une vision qui n'a pas tardé à prendre forme : début novembre, six enseignants se sont partagés 230 000 dollars par la vente de NFT liés à leur contenu sur la plateforme d'Animoca, TinyTap.