NFT et vin : un assemblage réservé aux grands crus
Qu'il s'agisse d'une carte de membre ou d'un outil de traçabilité, le NFT s'impose peu à peu dans le milieu viticole haut de gamme.
Le salon Wine Paris & Vinexpo 2023, qui se conclut ce mercredi 15 février, était l'occasion de constater l'intérêt grandissant du monde du vin dans les nouvelles technologies, et notamment le NFT. Particulièrement visible sur le salon, l'entreprise Web3 Arianee nous présentait quelques jours auparavant sa collaboration avec le domaine Château Pape Clément, propriété de Bernard Magrez, concrétisée par la production d'une cuvée spéciale pour son 770e millésime associée à un NFT, lequel représente une adhésion à un club très privé. Une proposition qui rappelle celle du Wine Bottle Club pour les 1855 détenteurs de son NFT, émis l'an passé.
"Le lien entre NFT et vin est assez naturel, en termes d'effet de rareté, de notion de collection, nous confie Camilo Gomez, responsable du marketing numérique de Bernard Magrez. Le plus important était de générer du lien avec le consommateur, avec les amateurs du Château Pape Clément, en créant ce club NFT via ce sésame numérique représenté par le NFT sur le wallet Arianee."
Des avantages liés à l'actif et non à la personne
Transmis au JDN en amont de cet entretien, ce NFT d'une valeur de 310 euros "est une preuve de possession d'un actif et ici, cet actif est une carte de membre", renchérit Pierre-Nicolas Hurstel, CEO d'Arianee. On est sur une nouvelle forme de proposition de valeur : la carte de membre n'est plus en plastique mais sur la blockchain." Une carte de membre virtuelle dont l'utilité est supposée se traduire de façon tangible par "cette bouteille créée pour l'occasion et l'invitation à des événements d'exception, comme un vernissage à l'Institut culturel Bernard Magrez ou des dégustations privées".
Si le NFT est cessible sur le marché secondaire, la maison peut interagir avec le détenteur de l'actif "par le système de messagerie décentralisée intégré au wallet Arianee", pour le moment le seul à même de visualiser ces messages. Les avantages exclusifs à cette adhésion ne sont donc pas liés à un nom mais à la détention de l'actif.
Dans le Bordelais toujours mais plus à l'est, une fois Garonne et Dordogne traversées, le groupe Edmond de Rothschild Héritage vient d'inscrire sa propriété, le Château des Laurets, dans le Web3 avec une première collection de NFT, conçue par l'agence Renaissance, et proposée à la vente depuis le 10 février. "Nous voulions faire une première percée dans le Web3 car c'est en plein essor et un terrain de jeu inspirant pour nos clients", nous relate Laure Villeret, responsable digitale d'Edmond de Rothschild Héritage.
Toujours une inconnue autour du stockage
Ici, le NFT est placé au même plan que le vin : l'achat d'un magnum ou double magnum d'un Château des Laurets millésime 2018 dans leur flacon conçu par l'artiste verrier Gilles Chabrier donne accès à un NFT, une proposition également valide dans l'autre sens. Ainsi, un acheteur a la possibilité de faire l'acquisition de la bouteille chez un revendeur partenaire avant de réclamer le NFT ou d'acheter ce dernier sur la boutique en ligne du domaine pour recevoir à domicile le précieux breuvage. Si la maison n'a pas gravé dans ce NFT d'autres avantages que la possession d'une œuvre d'art pour les acheteurs, elle ne "s'interdit rien. C'est un premier pas qui permet de tester la réceptivité de nos clients. Notre groupe est très grand, avec des vignobles, des chalets, des hôtels, un golf. Les possibilités sont immenses", conclut Laure Villeret.
Si l'utilisation du NFT comme outil d'acquisition client n'est plus une nouveauté, la tokenisation d'une bouteille apporte-t-elle aussi des bénéfices, notamment sur le marché secondaire pour faciliter des transactions ? Pierre-Nicolas Hurstel croit beaucoup au passeport numérique d'une bouteille "associé à des applications de visualisation de cave numérique, ou pour donner au client des informations au sujet de sa date de consommation optimale". Mais il se méfie du cas d'usage de la tokenisation pour apporter de la liquidité sur les places de marchés : "Cela pose tout un tas de questions car contrairement aux produits non consommables comme les montres, il y a un problème clef inhérent au vin qui est la façon dont il est conservé. On peut très bien posséder ce token et le lister mais si le vin a été laissé sur un parking en plein été, le vin sera dégueulasse et l'acheteur ne le saura qu'une fois la bouteille ouverte. Pour que le passeport numérique d'un vin soit liquide et cessible, cela ne va pas sans le service de stockage."
Ce dilemme pourrait-il être résolu par une solution IoT ? La startup bordelaise Wine in Block, également présente à Wine in Paris, revendique une solution fondée sur des puces NFC et la blockchain. La société a ainsi développé un boîtier électronique à placer dans les caisses de vin pour tracer température de stockage et hydrométrie, des informations ensuite ancrées sur blockchain, en l'occurrence Stellar Lumens, et disponibles via l'application mobile de la société après le scan de la puce. Dans le même temps, Wine in Block propose aux vignerons d'associer un NFT émis sur Polygon à chaque bouteille pour garantir leur authenticité. "Nous avons des clients qui rencontrent soit des problèmes d'authenticité, soit des problèmes de traçabilité, ou toutes ces problématiques à la fois, nous confie Sylvie Busca, PDG de Wine in Block.
A l'instar de la plateforme londonienne Crurated, Wine in Block promet par ailleurs une marketplace dès cette année pour fluidifier les transactions, notamment sur… la vente en primeur. "Tous les grands crus sont vendus en primeur et les NFT se prêtent très bien à cet exercice : les vins sont livrés deux ans après leur vente. Soit le domaine livre le vin au client et le NFT est détruit, soit le domaine stocke le vin et le client pourra l'échanger sur notre marketplace. On associe des services à ce certificat digital." Un nouveau canal de distribution identifié par la WineTech, dans son livre blanc dévoilé en avant-première lors du salon ce 14 février, comme l'une des promesses majeures de cette technologie à même de "révolutionner le monde du vin".