CRM : les NFT déjà incontournables ?
Concept popularisé par les avatars de singe et de punks pixellisés, le NFT dépasse aujourd'hui ce cadre pour bouleverser la relation entre une marque et ses clients.
Et si le NFT s'imposait dans la société autrement que par son application artistique ? D'après le site analytique NonFungible, la tendance des collectibles, vecteur de médiatisation de cette technologie (tels les célèbres Bored Apes), s'essouffle. En revanche, ses champs d'application se multiplient et permettent aux marques de diversifier leur stratégie marketing. Encore faut-il qu'elles découvrent l'étendue du champ des possibles.
"Un NFT n'est synonyme de vente de produits numériques"
"Il faut comprendre, et c'est ce que l'on essaye d'expliquer aux marques, qu'un NFT n'est pas obligatoirement synonyme de vente de produits numériques. Il n'y a pas de nécessité à vendre quelque chose. Nombre de marques ne veulent pas vendre d'objets virtuels et c'est normal : leur travail consiste le plus souvent à vendre des produits physiques", rappelle Thibault Launay, cofondateur et dirigeant d'Exclusible, agence spécialisée dans l'accompagnement de marques dans le Web3 et métaverse.
Selon lui, le concept de NFT souffrirait donc d'une association exclusive au virtuel dans l'inconscient collectif. La technologie facilite pourtant de nombreux cas d'usage en rapport avec des produits bien tangibles, à l'image des passeports numériques pour objets conçus par la société hexagonale Arianee. "Un NFT peut constituer une preuve de possession, d'informations sur l'origine du produit, pourquoi pas une garantie. Avec les protocoles Arianee, on peut enrichir les NFT avec de la donnée : imaginons qu'une montre parte en SAV, on peut ajouter cette information dans le jeton et c'est important car un objet bien entretenu par des opérateurs agréés n'a pas la même valeur", détaillait Frédéric Montagnon, cofondateur de la société, lors d'un podcast accordé au JDN.
Une typologie d'utilité confirmée par Séraphie de Tracy, cofondatrice de Cohort, qui propose également une solution d'intégration Web3 dédiée aux entreprises. "On prépare une collaboration avec une marque de souliers autour de la notion de garantie à vie, un cas d'usage que j'aime beaucoup pour son utilité et comme exemple de réconciliation de virtuel et de physique. En cas de cession des chaussures, le service associé au NFT sera également transmis. C'est ce qui est intéressant avec cette technologie : les services ne sont plus liés à l'utilisateur et son adresse email mais à l'objet lui-même."
"Le NFT règle les problèmes de bases de données utilisateurs"
A l'heure du RGPD, le NFT incarne de fait pour les entreprises un medium de communication sans les problématiques liées à la collecte des données privées. "Cela règle énormément de soucis car les bases de données utilisateurs posent des problèmes de sécurisation de ces informations ; il y a aussi un enjeu de régulation, or la régulation n'est pas la même en Europe, aux Etats-Unis (…) C'est beaucoup de travail, même un peu un enfer. A partir du moment où l'on représente la donnée par le NFT, on simplifie énormément cette équation et l'on prend beaucoup moins de risques", nous vantait Frédéric Montagnon.
Le groupe Casino l'a bien compris : en 2022, ses marques Monoprix et Le Club Leader Price ont réalisé plusieurs opérations NFT, telles que des bornes éphémères de NFT intégrant des avantages ou des distributions d'avatars aux clients les plus fidèles, en passant par un jeu dans la plateforme Sandbox, toutes conçues avec "une approche test & learn", selon Stéphanie Zolesio, directrice générale de la branche immobilière au sein du groupe Casino, qui vante également une solution face à la problématique RGPD : "Le NFT nous permet de nous adresser aux clients avec un total respect de la data et de la confidentialité dans la mesure où grâce à la blockchain, le client devient l'unique propriétaire de sa donnée. A partir du moment où l'on peut anonymiser totalement le wallet, et donc le NFT d'un utilisateur, on peut inscrire de la métadonnée dans le NFT qui pousse du contenu, sans jamais avoir besoin de contacter directement la personne. En cela, c'est une vraie révolution, d'autant que c'est beaucoup plus intéressant pour une enseigne de connaitre le parcours d'achat, de revente, de l'utilisation d'un NFT que de savoir la véritable identité d'un client."
De plus, s'il n'y a nul besoin de recueillir des informations privées relatives aux détenteurs de ces NFT, leurs wallets fournissent toujours des données de valeur pour une marque. Exclusible a par exemple mis en place des outils analytiques à destination de ses clients. "Le wallet donne beaucoup d'informations : combien d'éthers, de NFT il y a-t-il ? Et est-ce que cette personne interagit beaucoup avec un smart contract. Achète-elle régulièrement et si oui, quel type de NFT ? À quelle fréquence ? Par la suite, on peut cibler ces wallets en fonction de leur budget, de leur pays."
Techniquement, Arianee a de son côté créé un protocole de communication au sein de son wallet. "Nous avons un système de messagerie destiné au détenteur donc nous pouvons parfaitement interagir avec lui, sans que nous ne détenions ses données personnelles", explique Frédéric Montagnon.
Une stratégie à long terme ?
Pour ces trois compagnies et leurs clients, le NFT détermine de fait un nouveau modèle, économique mais aussi éthique. "Avec le NFT, on tient une infrastructure qui permet de refonder la relation client en ligne sur des bases plus équilibrées : un meilleur contrôle de la donnée, un meilleur partage de la valeur, de l'interopérabilité et la rupture avec un écosystème trop fermé", résume Séraphie de Tracy, qui anticipe une société où "toutes les marques, petites ou grandes, auront intégré les NFT dans leur stratégie marketing".
Parmi les clients d'Arianee, on retrouve Breitling, Moncler ou encore Château Pape Clément. Cohort a introduit Etam à la technologie pour deux sorties de NFT, associées à des expériences virtuelles et physiques et à la création d'une nouvelle catégorie de produit. Outre ces entreprises de taille, l'agence démocratise également sa solution auprès de PME, comme la marque de soins pour homme L'Atelier Shelter : depuis juin, son fondateur Antoine Rouvroy s'est tourné vers le NFT comme moyen de promotion de sa marque : "Je veux proposer une expérience forte et l'expérience client vient du CRM. Or, les NFT s'avèrent être un outil efficace, précis et expérientiel pour toucher sa clientèle, la gérer et l'engager dans la vie de la marque."
De son côté, Exclusible s'est récemment illustré pour sa collaboration avec Alpine lors de deux émissions de NFT, l'une payante et l'autre gratuite. Un dernier cas particulièrement intéressant, selon Thibault Launay : "Le free mint est une stratégie d'acquisition, la monétisation vient plus tard : vous n'allez pas gagner d'argent sur la vente sur le marché primaire mais vous construisez une communauté et vous pouvez réduire votre budget dédié à Instagram, Twitter et Google. Par ailleurs, vous pouvez gagner des royalties sur le marché secondaire sur les ventes de ce NFT initialement gratuit".
"Le coût d'une campagne NFT est dérisoire pour dix fois plus de retour qu'une campagne de pub classique"
Antoine Rouvray de L'Atelier Shelter confie même au JDN que "si l'on compare une campagne de publicité classique et une approche NFT, c'est le jour et la nuit ! Nous avions fait une campagne Instagram, Facebook, Google, avec une agence de marketing digitale pendant quatre mois. Cela nous a couté entre 4 000 et 6 000 euros par mois, entre le budget média et les frais d'agence. Notre ROI a été clairement négatif. L'approche NFT ne nous a presque rien coûté, à l'exception du visuel 3D et motion design et de la solution de Cohort, très raisonnable. Le coût est dérisoire pour dix fois plus de retour."
Même le groupe Casino se félicite d'un "très bon retour, surtout au regard du peu de moyens financiers que nous avions investi lors de ces phases de test", nous confie Stéphanie Zolesio. "L'impact média, communication, d'image auprès des professionnels a été assez important et surtout, nous en avons tiré beaucoup d'enseignements, ainsi qu'une vraie satisfaction des clients." La dirigeante se remémore même qu'un sondage réalisé lors d'une opération pédagogique à Montparnasse révélait que 87% du public de l'événement estimait avoir compris l'intérêt de cette technologie, contre 30% en amont de cette activation. De fait, le groupe Casino considère aujourd'hui le NFT "non seulement comme un moyen d'acquisition, de rétention mais aussi d'animation de la communauté". Une vision partagée par Antoine Rouvray, pour lequel "le NFT est le CRM du futur" et sera "l'outil de fidélisation, d'animation mais aussi d'acquisition de clients" pour L'Atelier Shelter.
Cette tendance va-t-elle s'inscrire dans la durée ? Salesforce, parmi les leaders mondiaux de solutions CRM, a lancé cet été une plateforme pilote d'édition de NFT à destination de ses clients. Aujourd'hui, elle dispose d'une "quarantaine de pilotes à travers le monde, comme la marque de vêtements hollandaise Scotch & Soda", nous présente Kheira Boulhila, vice-présidente Solution EMEA et France du groupe. En réalité, la qualification de pilote n'aurait plus vraiment de raison d'être aujourd'hui : "Nous n'avons pas d'annonce ni de date officielle, car nous avons beaucoup d'innovations produits, mais nous ne serions pas surpris si nous inscrivions prochainement pour de bon ces propositions dans notre portefeuille", nous dit-elle.
Egalement contactée, la plateforme CRM HubSpot n'a pu répondre à notre sollicitation mais nous renvoie vers une de ses publications dans laquelle son pôle recherche indique que "39% des entreprises ayant utilisé les NFT indiquent qu'ils s'agissaient du meilleur retour sur investissement parmi tous leurs canaux médias" et qu'il s'agit "sans aucun doute d'un outil à surveiller de près".