Web 3.0 : l'adoption par les utilisateurs ne se fera pas sans compromis
Le Web décentralisé fait face au défi de l'adoption de masse. Il est important de repenser l'accessibilité et la pédagogie pour concilier promesse et réalité de sa compréhension par les utilisateurs.
Même si l’année 2023 aura été celle de l’IA générative, il ne faut pas oublier que c’est le Web 3.0 qui était la star de la tech à peine quelques mois auparavant. Bien que ses frontières demandent encore à être précisées, les technologies qui composent le Web décentralisé ont déjà réussi à prouver leur utilité dans de nombreux domaines. Cependant, la faible compréhension du fonctionnement de ces technologies (Blockchain, Smart Contracts, NFT…) ou de la valeur ajoutée des différentes plateformes (métavers, portefeuilles crypto, applications de DeFi…) établit une réelle limite dans l’adoption du Web 3.0.
Plus généralement, ce sont les questions de l’accessibilité et de la facilitation des usages qui se posent à l’heure où l’emballement se dissipe.
Derrière la promesse originelle, la problématique de la compréhension
En octobre 2021, le groupe Facebook se renommait Meta, symbole du changement de cap en direction du métavers. Deux mois plus tard à peine, le NFT “Merge”, œuvre de l’artiste digital Pak, se vendait à près de 92 millions de dollars, établissant le record du prix de vente d’un NFT ainsi que le record de vente pour une œuvre d'un artiste vivant. A l’époque, la tech n’avait d’yeux que pour ces nouvelles tendances et on faisait l’éloge d’une nouvelle culture Web 3.0. Trois ans plus tard, Meta commence certes à transformer l’essai mais la bulle spéculative des NFT a éclaté. Signe pour certains que la mode du Web 3.0 est passée, alors que d’autres y voient le début des choses sérieuses.
En effet, impossible de passer à côté des prévisions des experts : un marché estimé à plusieurs milliards de dollars d’ici 2030, des dizaines de millions d’utilisateurs de dApps (applications décentralisées, basées notamment sur des technologies blockchain) et un intérêt croissant de la part des industries B2C.
On ne cite plus les projets de grandes marques comme Nike dans l’univers du Gaming avec Roblox, Starbucks et Lufthansa qui réinventent leurs stratégies de fidélisation au travers de systèmes de NFT, ou encore Louis Vuitton plus récemment avec ses malles en NFT. A l’instar du malletier, c’est toute l’industrie du luxe qui témoigne d’un grand intérêt pour les technologies blockchain avec la création par LVMH, Prada et Richemont, main dans la main, du Aura Blockchain Consortium en 2021.
Des success stories convaincantes mais qui masquent une problématique que peu d’acteurs tâchent de résoudre : moins d’un internaute sur dix comprend vraiment ce qu’est le Web 3.0.
En effet, selon une étude Consensys x YouGov, ce sont seulement 8% des 18-65 ans interrogés qui se disent très familiers avec le concept de Web 3.0, ce qui met en évidence un décalage entre sa perception par le grand public et son potentiel en tant que solution aux problèmes liés à la vie privée, à l'identité et à la propriété numérique sur Internet aujourd'hui.
“La technologie seule ne suffit pas.”
En disant cela, Steve Jobs établissait une règle d’or, plus que jamais d’actualité. De même que les premiers ordinateurs personnels semblaient inutilisables sans mode d’emploi, la difficulté à comprendre comment fonctionne une blockchain a tout pour des décourager les débutants même les plus curieux. Car c’est bien de compréhension qu’il s’agit lorsqu’on parle des défis du Web 3.0.
A quoi sert une blockchain alors qu’une bonne vieille base de données sécurisée suffit ? A quoi servent les cryptomonnaies si ce n’est à spéculer ? A quoi bon acheter un NFT alors qu’il me suffit de copier-coller l’image associée ? Ces questions que l’on entend souvent témoignent de la difficulté d’expliquer l’intérêt de ces nouvelles technologies. Elles invitent également à prendre conscience d’une réalité que peu d’entrepreneurs de la tech veulent entendre : la valeur perçue de ces technologies est trop proche de celle des technologies classiques.
En d’autres termes, le Web 3.0 ne s’éloigne pas tant que ça, en apparence du moins, du Web 2.0. Et si l’utilisateur final pense cela, même à tort, alors il ne fera pas l’effort de s’y intéresser. Si on ne comprend pas, on ne se projette pas ; et si on ne se projette pas, on n’utilise pas.
Repenser la transition vers la décentralisation : imaginer le Web 2.5
Si d’après le Coinbase Institute, les cryptomonnaies et le trading représentent l’essentiel du Web 3.0 pour une majorité de personnes, ce n’est pas seulement parce que le Bitcoin a été, dès 2009, le premier symbole de ce nouvel univers. A la frontière entre finance traditionnelle et finance décentralisée (DeFi), on trouve les plateformes d’échanges centralisés (CEX) de cryptomonnaies. D’après Coinbase, celles-ci représentent non seulement la première porte d’entrée des internautes sur le Web 3.0 mais aussi son principal lien avec l’économie réelle. En plus de refléter une familiarité avec le système financier traditionnel, il faut y lire que les utilisateurs ne font un pas vers le Web 3.0 que si celui-ci fait un pas vers eux.
Ethereum l’a bien compris et a instauré son nouveau standard ERC-4337, facilitant grandement l'accès aux transactions sur sa blockchain, mais ce n’est pas suffisant. Seule une vraie refonte de l’expérience utilisateur permettra une démocratisation massive de ces outils, au détriment malheureux mais inévitable de certaines fonctionnalités. Tant qu’il demeure plus long et complexe de connecter un wallet à une plateforme e-commerce que d’être automatiquement connecté à son compte client, il est clair que le Web 3.0 ne relèvera pas le défi de l’adoption.
La clé du succès se trouve dans le compromis. Les acteurs qui parviendront à penser un Web 2.5, en mettant l’accessibilité et la pédagogie au premier plan, seront les grands vainqueurs de la course à l’innovation.