Par
Benoît
Tabaka,
du
cabinet d'avocats Landwell & Partners.
NB : cet article a fait
l'objet d'une
première publication sur Juriscom.net
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Outre le contenant, le
contenu même des pages Web est encadré par le Code électoral.
Plus précisément, le deuxième alinéa de l'article L.
52-1 indique qu'à "compter du premier jour du sixième
mois précédant le mois au cours duquel il doit être
procédé à des élections générales, aucune campagne de
promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion
d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire
des collectivités intéressées par le scrutin". Jusqu'au
mois de janvier 2001, cet alinéa interdisait aux candidats
de faire le bilan de leur mandat et de mettre en avant
leurs réalisations.
Afin
de rétablir un strict équilibre entre les possibilités
offertes aux élus sortants (interdits de faire le bilan
de leur mandat) et aux adversaires (critiquant librement
ledit bilan), la loi du 3 janvier 2001 relative à la
précarité dans la fonction publique [14] a modifié
substantiellement ce principe. Elle a ajouté, au sein
de cet article, un troisième alinéa excluant l'application
de cette prohibition "à la présentation, par un candidat
ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation
de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il
détient ou qu'il a détenus". Cette modification libère
l'élu sortant de toutes les contraintes afférentes aux
propos tenus, vis-à-vis de ses réalisations, dans le
cadre de la campagne électorale et ceci quel que soit
le support utilisé. Le contenu proposé sur Internet
est donc aussi bénéficiaire de ces prescriptions.
Par ailleurs, d'autres
dispositions gouvernent le contenu du site réalisé par
le candidat. Tel est le cas de l'article R. 27 du Code
électoral qui interdit l'usage des trois couleurs bleu,
blanc, rouge sur les affiches électorales. Cette prohibition
a pour objectif d'éviter qu'un prétendant à un poste
se présente comme un candidat officiel de l'Etat, créant
ainsi une confusion dans l'esprit de l'électeur. Cette
solution est simplement transposable aux sites Internet.
Les candidats devront veiller, dans l'utilisation des
couleurs et des logos figuratifs, à ne pas créer de
confusion tendant à leur reconnaître un appui officiel,
ou celui d'un groupe politique [15].
Les
bulletins municipaux sur Internet
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De manière générale, le
juge administratif retiendra et sanctionnera l'ensemble
des comportements qui seraient susceptibles de tromper
l'électorat et de fausser le résultat du scrutin. Aux
côtés des pages réalisés par les candidats, ce deuxième
alinéa de l'article L. 52-1 du Code électoral est susceptible
de s'appliquer aux sites Internet réalisés par des collectivités
territoriales. Ce principe prohibe toute campagne de
promotion sur les réalisations ou la gestion d'une collectivité
dans les six mois précédant la date du scrutin. Dans
la pratique électorale, cette obligation a fait naître
le contentieux dit des bulletins municipaux qu'il est
possible de retranscrire à Internet.
Selon cette lignée jurisprudentielle,
le texte interdit aux collectivités de diffuser spécialement
pour les élections, un bulletin municipal vantant les
réalisations d'un candidat. Au contraire, dès lors que
le bulletin préexistait aux élections ou se borne à
présenter des informations objectives sans appuyer une
candidature précise, ces publications seront tolérées
par le juge. Le ministre de l'Intérieur a eu l'occasion
de préciser [16] que cette interdiction s'appliquait,
"peu importe le support utilisé", et que c'est "le contenu
même de la communication qui permet de définir si celle-ci
entre ou pas dans le champ de la prohibition précitée".
Le
risque : que le site soit assimilé
à un don de la collectivité locale
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Dans le cadre de la retranscription
de ces positions à Internet, plusieurs situations sont
à distinguer :
- soit le site a pour vocation de donner une
information générale sur l'action de la collectivité
locale, dépersonnalisée, sans rapport direct ou indirect
avec les échéances électorales à venir et, par voie
de conséquence, il pourra apparaître insusceptible,
aux yeux du juge de l'élection, de participer à la propagande
ou à la campagne électorale des candidats.
- soit le site, en prenant position en faveur
d'un candidat ou en faisant un bilan présenté de manière
excessive, constituera une violation des dispositions
du Code électoral et pourra être assimilé à un don de
la collectivité locale au candidat - prohibé par l'article
L. 52-8 du Code électoral.
En conséquence, le juge
devra analyser le contenu même du site de la collectivité
afin de déterminer sa licéité au regard de l'article
L. 52-1. Sa date de mise en ligne sera en outre non
déterminante, une ouverture des pages durant la période
interdite des six mois n'étant pas forcément interprétée
comme un moyen destiné à avantager tel ou tel candidat.
Ainsi en a jugé le Conseil d'Etat à propos d'un site
ouvert quelques jours avant le premier tour du scrutin
[17] : "il ne résulte de l'instruction ni que
la création par la commune du Portel en mars 1998 d'un
site Internet qui comporte une présentation générale
de la commune doive être regardé comme une campagne
de promotion publicitaire des réalisations ou de la
gestion d'une collectivité au sens de l'article L 52-1
du code électoral ni que ce site ait été utilisé par
M Feutry pour les besoins de sa campagne électorale
et constituerait ainsi un avantage indirect au sens
des dispositions précitées de l'article L 52-8 du code
électoral".
Faire
preuve de retenue républicaine
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Cette solution a été reprise,
par le Tribunal administratif de Toulouse dans son jugement
du 25 septembre 2001, pour un site ouvert par un établissement
public de coopération intercommunale depuis plusieurs
années. Le juge relève en effet "qu'il ne résulte pas
de l'instruction que la création par la communauté d'agglomération
du grand Rodez en 1997 d'un site Internet qui comporte
une présentation générale et attrayante de l'agglomération
doive être regardé comme une campagne de promotion publicitaire
des réalisations ou de la gestion d'une collectivité".
Une collectivité locale qui envisage de procéder à l'ouverture
de son site Internet, sans aucun rapport avec les prochaines
élections parlementaires et présidentielles, pourra
le faire sans aucune crainte, dès lors que les pages
incriminées feront l'objet d'une retenue toute
républicaine.
A noter, enfin, que l'interdiction
exprimée par l'article L. 52-1 du Code électoral ne
s'étend qu'au seul territoire de la collectivité. Or,
l'accès à un site Internet est, par définition, universel
et aucune solution économiquement abordable ne permet
aux administrateurs de filtrer les visiteurs selon leur
origine géographique. Il n'est pas envisageable à l'heure
actuelle, de créer deux versions différentes d'un site
communal : la première vantant sans retenue les réalisations
d'un élu et destinée aux habitants situés au dehors
du territoire de la collectivité, la seconde à destination
de ces habitants, présentant les mêmes réalisations
dans une version édulcorée. Outre les aspects techniques
et économiques d'un tel filtrage, un site officiel et
public incitant ouvertement les électeurs à voter en
faveur de telle ou telle personne pourrait rapidement
tomber sous le coup de l'interdiction des dons des personnes
morales de droit public aux candidats, affirmé par l'article
L. 52-8 du Code électoral.
Demain
Internet en campagne : 6. Le Web dans
les comptes électoraux
A lire également
:
1. Un média de propagande
(presque) comme les autres
2.
Où s'arrête la communication,
où commence la publicité ?
3. Hors-ligne obligatoire
les jours de scrutin
4.
Un site n'est pas un
numéro vert, quoique...
Notes
:
[14] Article 23, loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001
relative à la résorption de l'emploi précaire et à la
modernisation du recrutement dans la fonction publique
ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique
territoriale, JO, 4 janvier 2001, p. 96, et les commentaires
de ce cavalier législatif : Abel Hermel, Le bilan de
mandat lors de la campagne électorale, in Les Petites
Affiches, 18 avril 2001, n° 77, p. 4-5 ; Bruno Daugeron,
La loi du 3 janvier 2001 et les bilans de mandat, in
AJDA , 20 mars 2001, p. 257 et suivantes.
[15] A l'inverse, l'ensemble des possibilités dégagées
par la jurisprudence administrative en matière d'emblèmes
est applicable aux sites Internet. Ainsi, les candidats
pourront faire figurer les emblèmes des formations politiques
apportant leur soutien (CE, 28 octobre 1996, Elections
municipales de Toulon, n° 176.940), les armoiries de
la ville (CE, 7 mars 1990, Elections municipales de
Givet, n° 109.050, inédit), voire le drapeau européen
(CE, Assemblée, 3 décembre 1999, Brossolet, n° 209.817,
inédit).
[16] Rép. Billard, n° 49.819, JOAN 27 novembre 2000,
p. 6750.
[17] CE, 2 juillet 1999, Elections cantonales de
Portel, n° 201.622 (inédit).
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