Stephen Leguillon "La Belle Assiette se diversifie pour devenir le plus grand traiteur du monde"

Présent dans six pays après seulement deux ans d'activité, le service de réservation de chefs à domicile s'apprête à rajouter de nouvelles cordes à son arc.

JDN. La Belle Assiette a lancé en 2013 sa plateforme de réservation de chefs à domicile. Où en êtes-vous aujourd'hui?

Stephen Leguillon, PDG de La Belle Assiette © S. de P. La Belle Assiette

Stephen Leguillon. Nous sommes présents dans six pays. Les trois principaux sont la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Lancé il y a quasiment un an, le Royaume-Uni pèse déjà 20% de notre chiffre d'affaires et finira sans doute par devenir notre plus gros marché en Europe. L'Allemagne, où nous sommes depuis cinq mois, représente selon les mois 5% à 8% de nos ventes. Et pour attaquer ces marchés de façon agressive, nous y avons ouvert des bureaux.

Nous proposons aujourd'hui les services de 690 chefs, retenus grâce à un dîner de validation sur pas moins de 3 500 postulants. Tous ont été catégorisés par tranche de prix, pour que le rapport qualité/prix soit toujours assuré. Nous ne communiquons pas notre chiffre d'affaires, mais 30 000 repas ont été exécutés depuis notre lancement et nous aurons triplé notre activité entre 2014 et 2015. De plus, 20% de nos revenus viennent du BtoB.

Vous avez aussi entamé une grande diversification…

Le chef à domicile reste un marché de niche, même si nous le faisons grossir. D'où l'intérêt d'évoluer vers le marché du traiteur événementiel, qui pèse 18 milliards d'euros à l'échelle européenne selon Eurostat. Nous avons réussi à créer un réseau de chefs talentueux, qui sont capables de réaliser beaucoup de choses. Nous pouvons donc maintenant diversifier nos lignes de produits. Après 6 mois de beta test, nous avons lancé il y a deux semaines à Paris la réservation de buffets, sur trois gammes de prix. D'ici trois mois, nous aurons déroulé cette nouvelle offre dans toute la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Sont par ailleurs en beta depuis huit mois sur les cocktails dînatoires, les cours de cuisine et enfin la livraison de repas pour groupes, qui en France correspond en fait aux plateaux-repas des entreprises.

Que vous rapportent-ils déjà?

Ces nouveaux services, même en beta, pèsent déjà 40% de notre chiffre d'affaires, contre 60% pour les chefs à domicile. Nous les avons en effet très bien travaillés, même si sur le site ils ne sont accessibles que via le formulaire de contact destiné aux demandes spécifiques. Par exemple, une semaine après qu'un client a reçu un chef chez lui, nous lui envoyons un email pour lui signaler que nous avons d'autres offres. Ils restent en beta le temps que nous comprenions le marché, que nous construisions les menus et déterminions les prix puis, comme pour les buffets, nous allons les lancer publiquement.

"Le panier moyen est plus élevé sur nos nouveaux services"

Nous y gagnons aussi en panier moyen. Les chefs à domicile constituent pour nous un business de volume. La fréquence d'achat est donc plus élevée que pour les cocktails par exemple, que nos clients ne réservent en moyenne qu'une fois dans l'année. Mais alors que la commande moyenne est de 175 euros pour les dîners de chefs à domicile, elle s'élève à 300 euros environ pour les buffets et à 780 euros pour les prestations de cocktails dînatoires.

Comment vous rémunérez-vous?

Nous prenons d'abord une commission de 12% du côté du chef. De plus, nous facturons au client 10 euros par réservation, ainsi que des frais de service qui sont inclus dans le prix. Cela correspond à notre service de conciergerie, qui accompagne les clients par exemple pour personnaliser le menu. En outre, nous concluons des partenariats avec des marques, qui souhaitent accéder à notre communauté de chefs ou de clients. Pour l'instant il s'agit de fournisseurs d'ingrédients, d'équipement ou de boissons. Nous ne leur donnons jamais accès à nos clients et la distribution se fait uniquement via nos chefs. Les marques jugent excellent ce type d'environnement : on se souvient bien mieux de la marque du champagne qui était posé sur sa table, chez soi ! D'ailleurs les marques de décoration d'intérieur et d'arts de la table aussi nous sollicitent. Enfin, nous avons récemment promu le film "A Vif !", qui met en scène Bradley Cooper dans le rôle d'un chef, auprès de notre communauté de clients. Bref, il y a beaucoup de choses à travailler. Mais même s'il y a du potentiel, cela restera périphérique. Nous restons concentrés sur notre métier : celui de traiteur en ligne.

Quels sont vos autres chantiers ?

Nous avons développé un outil de partage de la note entre convives, qui permet à chacun de régler sa part après avoir reçu un email contenant un lien pour payer. Cela nous a donné accès à des dîners beaucoup plus "casual" que lorsqu'un hôte invite tout le monde.

"Nous disposons d'un first-mover advantage dans plusieurs pays d'Europe"

Aujourd'hui, nous travaillons surtout sur les outils et avantages que nous apportons aux chefs et aux traiteurs. Pour l'instant, le back-office leur permet d'organiser leur planning et de produire des factures. Nous développons actuellement des outils qui leur permettront aussi de gérer leur activité extérieure à La Belle Assiette. Sans l'exclure complètement pour l'avenir, nous n'avons pas l'intention pour l'instant de facturer ces services, que nous concevons plutôt comme une manière d'apporter de la valeur à notre communauté de chefs.

Les start-up de la "Foodtech" poussent comme des champignons et certaines sont extrêmement bien financées. Or leurs services, même s'il ne s'agit pas de chefs à domicile, sont tout de même des alternatives aux vôtres, surtout si vous vous diversifiez. Comment allez-vous survivre ?

Il convient d'abord de réaliser la taille de notre marché. Ensuite, ces nouveaux acteurs, les Deliveroo, Take Eat Easy et autres ne sont pas sur le marché du traiteur, qui plus est dans un cadre événementiel. Ce n'est pas eux que vous allez appeler pour organiser un buffet d'anniversaire. Et même si nous avions les mêmes cibles, nous proposons, comme eux, une nouvelle façon de consommer l'existant. Ils promettent par exemple que leur service est meilleur que celui d'Alloresto. Leur impact consiste donc surtout à grignoter les parts des acteurs historiques… et à faire grandir le marché.

Après, parmi les nouvelles solutions, cela se jouera selon moi sur deux aspects : le rapport qualité prix et la marque. Ce n'est pas pour rien que nous ne nous sommes pas appelés Chefsadomicile.fr. La Belle Assiette est une marque très forte, ancrée sur le plaisir de recevoir, sur laquelle nous capitalisons aussi à l'étranger. Plus largement, toute notre stratégie est basée sur le long terme. Nous ne misons pas juste sur l'acquisition de clients – pas question pour la booster de proposer 40 euros sur la première commande – nous travaillons aussi beaucoup à les faire revenir.

Etes-vous suffisamment financés?

"Nous reprendrons notre expansion internationale une fois nos nouveaux services sortis de beta"

 Nous avons bouclé un tour d'amorçage de 1,3 million d'euros il y a un an, un montant plutôt rare en France en seed. Nous avons démontré notre  capacité d'exécution. Nous sommes déjà dans six pays et souhaitons arriver rapidement à une taille critique pour que d'éventuels nouveaux entrants ne puissent plus se faire une place à côté de nous. C'est déjà le cas sur le segment des chefs à domicile, reste à prendre la même avance sur nos nouvelles activités. L'une de nos inspirations reste d'ailleurs Blablacar dont le cofondateur Nicolas Brusson, investisseur dans La Belle Assiette, nous a conseillé d'attaquer immédiatement plusieurs pays pour y stopper les velléités d'autres acteurs.

 

Allez-vous lancer d'autres pays en 2016 ?

La priorité actuelle est à la diversification, grâce à laquelle nous allons essayer de créer le plus grand traiteur du monde. Ce n'est pas encore visible sur le site, car nous n'avons pas complètement déroulé toute notre stratégie, mais c'est notre ambition. Nous reprendrons notre expansion internationale une fois nos nouveaux services sortis de beta et viserons alors l'Europe de l'Ouest et du Nord, puis les Etats-Unis, le Canada et l'Asie. Nous y arriverons sans doute par Singapour et Hong Kong avant d'élargir notre présence. Sur cette zone, il n'y a qu'au Japon où nous sommes sûrs de ne pas nous lancer, car il n'est pas dans la culture japonaise d'inviter les gens chez soi à dîner. Bref, nous n'oublions pas que si le marché du traiteur existe partout, les habitudes de consommation sont très variées d'un pays à l'autre. Chaque pays présente donc un nouveau challenge : nous adapter à ses consommateurs.

Stephen Leguillon est le cofondateur et PDG de La Belle Assiette. Franco-Irlandais diplômé de la Warwick Business School et de l'ESCP Europe, il a 20 ans en 2008 lorsqu'il fonde Appetise.com, un site permettant la livraison à domicile de plats qu'il développe dans tout le Royaume-Uni. En 2012, il crée La Belle Assiette avec Giorgio Ricco. Stephen Leguillon a été sélectionné Next Generation Leader 2015 par Time Magazine en juin 2015.