La nouvelle casquette d'Amazon : transporteur

La nouvelle casquette d'Amazon : transporteur Sur le point de monter à 100% du capital de Colis Privé, Amazon développe aussi sa propre flotte de camions et peut-être bientôt d'avions. Voici pourquoi.

Dans quelques semaines, Amazon deviendra officiellement un concurrent des spécialistes du transport de colis tels qu'UPS, DHL ou La Poste. Et ce n'est pas aux Etats-Unis que cela se produira, mais en France. Le géant de l'e-commerce, qui avait racheté 25% de Colis Privé début 2014, a annoncé en octobre avoir trouvé un accord avec le transporteur français pour racheter les 75% restants. L'opération devrait être finalisée au cours du premier trimestre 2016.

Si l'activité et le périmètre de cet acteur demeure modeste au regard de ses rivaux, son acquisition constitue la concrétisation la plus manifeste des intentions d'Amazon en matière de transport de colis. Pour lui-même et pour d'autres e-commerçants, puisque Colis Privé va continuer à travailler pour d'autres sites marchands.

D'autres initiatives dans le monde laissent penser qu'Amazon est en réalité en train de mettre en place les premières briques de ce qui sera un jour un service mondial de transport de colis. En 2014, Amazon avait déjà pris une option sur 4,2% du capital du transporteur britannique Yodel, option valable jusqu'en 2022. Né de l'activité de livraison du VADiste Littlewoods, Yodel transporte environ 150 millions de colis par an, ce qui en fait le deuxième acteur du secteur derrière Royal Mail.

Des camions et des avions

Contourner le goulot d'étranglement d'UPS et Fedex

Le mois dernier, les ambitions d'Amazon ont encore grimpé d'un cran. D'abord, l'e-commerçant a annoncé que sa flotte de camions américaine, opérée par des transporteurs tiers pour assurer le transport des marchandises entre ses différents entrepôts, allait s'étoffer de milliers de camions supplémentaires qu'il gérerait lui-même. "Nous avons une excellente relation commerciale avec de nombreux transporteurs, mais nous savons que le marché a besoin d'une capacité supplémentaire, donc nous complétons nos transporteurs actuels par nos propres camions", avait à l'époque expliqué son directeur des opérations pour l'Amérique du Nord.

Quelques jours plus tard, le Seattle Times révélait que l'e-commerçant était en train de négocier la location de vingt Boeing 767, dans l'optique de bâtir sa propre flotte d'avions. Amazon a déjà pâti de l'étranglement des flux de colis expédiés au travers d'UPS et Fedex. Fin 2013, des dizaines de milliers de cadeaux n'étaient ainsi arrivés qu'après le Père Noël. Fin 2015, c'était au tour de Fedex d'être pris en défaut. D'où l'idée de lancer un projet pilote de livraison par avion, à Wilmington dans l'Ohio, projet qu'il envisage donc très sérieusement de pérenniser et de déployer bien plus largement.

Un service ouvert à des clients externes

On le voit, l'arrivée d'Amazon dans le transport de colis aura été déclenchée pour lui permettre de répondre à ses propres besoins, les acteurs traditionnels ne parvenant plus à assumer l'augmentation des volumes de colis… de l'e-commerce en général et d'Amazon en particulier. Toutefois, il est très probable que l'e-commerçant ne se contente pas de transporter ses propres commandes et décide de commercialiser ses services à d'autres entreprises.

Mutualiser les flux pour rentabliser les infrastructures

Certes, on pourrait imaginer qu'Amazon préfère garder pour lui seul l'avantage concurrentiel que constitue son infrastructure de logistique et de livraison, dans laquelle il investit depuis des années au grand dam de ses actionnaires. Cependant, il trouvera sans doute davantage d'intérêt à la rentabiliser, même auprès de ses concurrents.

C'est ainsi qu'il avait procédé pour AWS, service de cloud computing et de stockage initialement conçu pour ses propres besoins, qui rapporte aujourd'hui 25% de marge sur une valorisation de 160 milliards de dollars grâce à des clients externes directement concurrents d'Amazon, comme Nordstrom ou Netflix. Des profits réinjectés dans ses autres activités pour financer sa politique de prix bas sur son site marchand ou investir dans d'autres domaines.

Transformer une ligne de dépenses en centre de profit

Ceci est peut-être encore plus vrai dans la logistique et le transport, où tout l'enjeu consiste à amortir les coûts fixes en optimisant le remplissage des infrastructures, ce qui passe le plus souvent par une mutualisation des flux. C'est d'ailleurs très exactement la raison pour laquelle Colis Privé va continuer à servir d'autres e-commerçants : Amazon.fr ne suffit pas à remplir toute sa capacité, en tous cas pas encore. Et de la même façon, Fulfillment by Amazon (FBA), son service de stockage et d'expédition des produits pour les vendeurs de sa marketplaces, n'avait pas pour objectif unique d'améliorer leur qualité de service, mais aussi de mieux rentabiliser les installations d'Amazon.

Car la livraison est l'un de ses postes de dépenses les plus importants. Sur le seul troisième trimestre 2015, l'e-marchand y a consacré 3,2 milliards de dollars. Et bien sûr, plus le temps passe, plus cette enveloppe augmente, tirée non seulement par la hausse des commandes mais également par les investissements engagés pour livrer toujours plus vite et grignoter d'autant la part de marché des magasins physiques. Vu sous cet angle, transformer une ligne de dépense qui ne cesse de grossir en centre de profit a bien des avantages. D'autant que le marché mondial du fulfillment, qui regroupe le stockage et l'expédition de produits physiques, dépasse les 400 milliards de dollars annuels.