Bastian Lehmann (Postmates) "Le temps dira lequel de notre modèle ou celui d'Amazon l'emportera"

Grâce à son service de livraison "on-demand", Postmates aide les petits commerces à faire face aux ogres du Web. Le JDN a rencontré le fondateur de cette start-up star US.

JDN. Pouvez-vous nous présenter Postmates et son concept ?

Bastian Lehmann est le cofondateur et CEO de Postmates © S. de P. Postmates

Bastian Lehmann. Nous livrons à nos clients des produits en provenance de commerces de proximité et restaurants. Aux Etats-Unis, nous opérons dans plus de 200 villes avec un réseau de 25 000 livreurs, appelés également Postmates. L'entreprise a été créée il y a quatre ans à San Francisco et compte aujourd'hui près de 240 employés. Nous sommes nés avec la "on-demand economy".

 

Comment fonctionne la plateforme ?

C'est très simple : un utilisateur passe une commande depuis nos applications ou notre site Web parmi une sélection de produits. Ils lui seront livrés chez lui en quelques minutes depuis un commerce de proximité. La durée moyenne de livraison est de 24 minutes à New York et de 34 minutes à San Francisco. Nous nous focalisons pour le moment sur la livraison de plats préparés, en ciblant les restaurants qui ne proposent pas encore de service de livraison. Nous pensons que cette catégorie offre de réelles opportunités aux Etats-Unis, dans la mesure où il s'agit d'achats qui sont fréquemment renouvelés. C'est aussi une manière de développer des habitudes d'utilisation autour de notre application.

 

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre activité ?

Postmates a réalisé l'année dernière 250 millions de dollars de volume d'affaires aux Etats-Unis. Pour vous donner une idée de notre croissance, il y a an, Postmates célébrait sa millième livraison depuis sa création. Désormais, nous réalisons près d'un million de livraisons par mois ! Parmi nos partenaires, nous travaillons avec des supermarchés comme Wallgreens ou 7-Eleven, mais aussi des chaînes de fast-food et de restauration telles que Mc Donalds ou Starbucks. Le panier moyen d'une commande sur notre application est autour de 48 dollars.

 

Comment se décompose votre business model ?

"Nous réalison près d'un million de livraisons par mois" 

Nous gagnons de l'argent de différentes manières. D'abord, à travers les frais de livraison que nous facturons à nos utilisateurs à chaque fois qu'ils passent une commande. Environ 80% de cet argent va directement dans les poches de nos livreurs et nous conservons le reste. Nous gagnons également de l'argent en prélevant une commission sur les ventes qui ont été réalisées par certains magasins et restaurants grâce à notre application.

 

Qui touche les pourboires ?

Nos Postmates touchent l'intégralité des pourboires qui leur sont donnés par les clients. Il ne sont pas obligatoires mais restent très fréquents aux Etats-Unis. D'ailleurs, ils sont versés directement via notre plateforme et leur moyenne tourne autour de 5 dollars.

 

Vous définissez Postmates comme une plateforme "anti-Amazon", pourquoi ?

Regardez un peu la situation aujourd'hui aux Etats-Unis. Amazon a réussi à bâtir un business en construisant et en gérant des entrepôts. L'entreprise y stocke des produits qu'elle pense que vous allez acheter et les livre ensuite chez vous. Si vous y réfléchissez bien, cela n'est bon ni pour votre ville, ni pour le commerce de proximité. Le monde serait sans doute meilleur si les gens achetaient directement auprès des commerçants de leur ville, car cela générerait plus de revenus pour ces derniers et donc plus d'impôts à collecter pour les villes.

 

Quelle est votre stratégie pour développer le commerce de proximité ?

Commander un produit à un commerçant de votre ville n'est souvent pas une mince affaire. Pensez à tout le stock de produits qui dort dans les commerces de votre ville sur lequel vous n'avez pas, ou peu, de visibilité. Imaginons par exemple que vous souhaitiez acheter un chargeur d'iPhone aujourd'hui à Paris : vous n'avez aucun moyen d'avoir une liste précise de tous les commerçants disposant de ce produit dans leur stock. Vous allez donc logiquement vous tourner vers Amazon.

Un lancement à Paris n'est pas envisagé

Mais imaginons que vous puissiez acheter ce chargeur d'iPhone auprès d'un commerçant de votre ville et que ce produit puisse être livré chez vous en quelques minutes. Et enfin, imaginons que tous ces commerces de proximité se livrent une concurrence sur les prix, et que l'un d'eux décide de vous offrir une réduction. A l'arrivée, vous avez acheté un produit à un meilleur prix et un délai de livraison plus rapide que si vous étiez passé par Amazon !

 

Comment comptez-vous faire pour proposer une alternative à Amazon qui ne revienne pas plus chère au consommateur ?

Il est vrai que les frais de livraison représentent encore un frein aujourd'hui et  nous n'arriverons à mettre en œuvre notre vision qu'à condition de pouvoir les réduire. Nous arrivons déjà à proposer des tarifs très compétitifs avec des livraisons à 1 dollar dans certaines villes comme San Francisco ou New York qui concentrent une forte densité de clients et où nous pouvons ainsi regrouper des livraisons.

 

Avez-vous prévu de vous lancer à l'international ? Avez-vous des ambitions en France et à Paris notamment ?

Nous espérons effectivement nous lancer à Londres au deuxième trimestre de cette année. Concernant la France et Paris, nous n'avons rien de prévu pour le moment mais peut-être un jour. Nous verrons d'abord comment se passe notre lancement londonien.

 

Quels sont les moyens de transport utilisés par vos Postmates ? N'est-il pas difficile de recruter des livreurs, considérant la concurrence d'Uber et d'autres entreprises du secteur ?

Vélos, scooters, motos et il me semble même qu'un de nos Postmates livre en skateboard ! Pour autant, 75% d'entre eux utilisent une voiture. En ce qui concerne leur recrutement, il est vrai que ce n'est pas facile mais c'est une compétence que nous devons maîtriser. Et nous sommes d'ailleurs plutôt bons dans ce domaine puisque notre flotte se classe 3e dans la catégorie transport, juste derrière Uber et Lyft. Les profils des livreurs sur Postmates sont toutefois un peu différents de ceux de ces entreprises. Ils sont généralement plus jeunes. Contrairement à Uber par exemple, ils n'ont pas besoin d'avoir une belle voiture pour livrer des produits.

 

Il paraît que vous livrez parfois des clients en personne. Est-ce pour vous un moyen de recevoir du feedback de vos utilisateurs ?

Des freelances bientôt requalifiés en salariés ?

Cela m'arrive en effet. J'ai d'ailleurs utilisé presque tous les moyens de transport possibles : voiture, vélo, scooter... En fait, presque tout le monde chez Postmates a déjà réalisé au moins une livraison. C'est encore plus vrai pour ceux qui travaillent à améliorer le produit, notamment nos ingénieurs. En se mettant dans la peau d'un Postmates, ils arrivent à mieux comprendre ce que nos livreurs vivent au quotidien, comme par exemple lorsqu'ils attendent devant un restaurant. Il est déjà arrivé que plusieurs ingénieurs partent pour livrer un client et qu'ils réalisent des "coding sessions" en voiture pendant la livraison.

 

Aux Etats-Unis, plusieurs entreprises de la "on-demand economy", dont Postmates, sont actuellement visées par des class action ayant pour objectif la requalification du statut des travailleurs indépendants en salariés. Quel est votre point de vue ?

Je ne peux pas vraiment m'exprimer sur le sujet. Une procédure judiciaire est en cours mais ma conviction personnelle est que des gens devraient pouvoir être employés, non pas sur la base d'une législation mais simplement en fonction de leur envie. Ils devraient pouvoir avoir la liberté et le choix de le faire. Mon opinion est que les personnes qui travaillent pour une entreprise comme Postmates ne sont pas des employés mais plutôt des freelances. Le nombre d'heures travaillées est tellement faible qu'il est difficile de les considérer comme des employés à plein temps.

 

La "on-demand economy" est en plein boom. Les consommateurs veulent désormais obtenir tout, tout de suite, simplement en appuyant sur un bouton. Le Web serait-il en train de nous rendre paresseux ?

"Est-ce notre modèle ou celui d'Amazon qui l'emportera ?" 

Je ne crois pas que cela soit de la paresse. Si vous regardez bien, rares sont les choses qui ne gagnent pas en rapidité avec le temps. Pensez-vous par exemple que Google pourrait créer un moteur de recherche moins rapide qu'il ne l'est aujourd'hui ? Cela ne ferait probablement plaisir à personne. Il en est exactement de même avec la livraison. Sur ce point, Amazon a réalisé de belles avancées en proposant des livraisons en un jour.

Je ne pense pas que cela ait quelque chose à voir avec de la paresse. Il est normal de ne pas avoir à attendre une semaine pour vous faire livrer l'ordinateur que vous venez de commander...

 

Que pensez-vous de l'initiative d'Uber dans la livraison de repas avec UberEats ? Qui est votre principal concurrent aujourd'hui ?

Les initiatives d'Uber, mais aussi d'autres start-up, sont intéressantes. Mais nous voulons rester concentrés sur notre propre exécution et sur l'accomplissement de notre vision à long-terme. Si nous réussissons à la mettre en œuvre, je pense que nous rentrerons en compétition directe avec Amazon. Les questions sont donc les suivantes : pouvons-nous réussir à "scaler" une plateforme qui simplifie l'achat de produits dans votre ville tout en réduisant le coût ou est-ce le modèle d'Amazon, avec la gestion centralisée de ses entrepôts, qui l'emportera ?

 

Bastian Lehmann est le cofondateur et CEO de Postmates, une start-up spécialisée dans la logistique. D'origine allemande, il crée l'entreprise en 2011 à San Francisco aux côtés de Sam Street et Sean Plaice. Postmates a conclu des partenariats avec des entreprises commet Starbucks, Chipotle ou encore 7-Eleven.