Michael Evans (Alibaba) "Les marchés asiatiques peuvent apporter beaucoup de croissance aux PME européennes"

Plutôt que venir concurrencer Amazon, Alibaba préfère encourager marques et marchands occidentaux à vendre sur ses plateformes asiatiques, explique au JDN le numéro 2 d'Alibaba et ex-président de Goldman Sachs.

JDN. Alibaba ambitionne de servir 2 milliards de consommateurs. A quelle échéance et comment allez-vous vous y prendre ?

Michael Evans, président d'Alibaba © F.Fauconnier/JDN

Michael Evans. Actuellement nous comptons environ 450 millions de clients, pour la plupart chinois. Cela nous a demandé plus de dix ans. Il faut être réaliste, arriver à 2 milliards prendra aussi des années. Pour atteindre cet objectif, il va nous falloir adresser des zones très peuplées. Nous avons donc le regard tourné vers les milliards de consommateurs, déjà très mobiles, qui ressembleront bientôt à la classe moyenne chinoise, qu'ils habitent en Asie du Sud-Est, en Inde, au Brésil ou dans d'autres pays émergents. Les consommateurs d'Europe et d'Amérique du Nord sont moins prioritaires. En revanche, les marchands viennent surtout des pays développés, donc dans ces marchés-là nous nous concentrons sur eux.

Quelle est votre ambition en Occident ? Quel rôle voulez-vous avoir ?

C'est à l'Ouest que se trouvent la majorité des meilleures marques, les meilleurs produits et les grands retailers. Nous voulons donc nous assurer de les avoir sur nos plateformes pour qu'ils puissent adresser les consommateurs de Chine et d'Asie. C'est pourquoi nous ouvrons des bureaux dans tous ces pays. L'Europe en particulier compte un très grand nombre de PME. Elles sont des dizaines de millions qui fabriquent des produits fantastiques. Imaginez si nous pouvions les mettre en contact avec d'autres PME du monde entier… C'est la raison pour laquelle Jack Ma prêche pour la création d'une Electronic World Trading Platform [sans taxe ni droits de douane, ndlr] qui aide les PME à commercialiser leurs produits dans le monde entier. Ce serait particulièrement utile pour apporter de la croissance aux PME d'Europe, où les économies de nombreux pays ne vont pas très bien.

"Les marques internationales ont représenté 27% du volume d'affaires réalisé le 11 novembre dernier"

En Europe, vous semblez vous focaliser sur l'export vers la Chine quasiment à l'exclusion de l'e-commerce local. Est-ce irrévocable ?

Il ne faut dire jamais, mais ce n'est pas prioritaire. Sur ces marchés, lorsque vous ajoutez un acteur, vous n'ajoutez pas de la croissance mais de la capacité. Il ne fera que diluer les parts de marché et conduira tout le monde à se battre un peu plus sur les prix. Nous préférons faire ce que d'autres ne font pas déjà, parce que la proposition de valeur que nous apportons est bien plus élevée ainsi. En l'occurrence, il y a beaucoup plus de demande et de potentiel sur le crossborder, qui emmène les marques dans des marchés où elles ne sont pas encore présentes, et sur la mise en relation des PME de la planète.

Depuis l'ouverture de ses bureaux parisiens il y a un an, Alibaba indique avoir signé une quarantaine de marques françaises pour Tmall et cite La Roche Posay, Caudalie, Sandro, Paul&Joe, Beaba, Agatha et De Buyer. Ce rythme vous convient-il ? Les marques françaises ont-elles peur du marché chinois ?

Il y a un an nous n'avions en France ni directeur général ni bureaux. Nous nous y sommes implantés car cela représente pour nous une opportunité sur le long terme. Nous voulons établir des relations solides avec les marques, et pas uniquement dans le luxe. Naturellement, opérer dans une langue et un marché si différents est pour elles très complexe. Elles ne peuvent pas se précipiter. Celles qui tiennent vraiment à leur marque, à leurs marges, à leur marketing et à la façon dont elles se connectent aux consommateurs, prennent leur temps. Mais elles ont du temps et nous aussi. Nous leur fournissons énormément de données pour s'adapter au marché chinois. Leur courbe d'apprentissage grimpe donc très vite.

De quelle façon votre 11/11 Global Shoppping Festival va-t-il vous aider à réussir votre internationalisation ?

D'abord par sa portée mondiale. Les marques internationales ont représenté 27% du volume d'affaires réalisé le 11 novembre dernier. Ces produits ont été achetés par des consommateurs chinois, mais aussi cette année par des consommateurs hongkongais et taïwanais. Et l'Asie du Sud-Est va suivre.

"Avec Alipay, les marchands européens pourront accéder à des millions de clients supplémentaires"

D'autre part, le Global Shopping Festival nous permet d'éprouver la capacité de notre plateforme. Monter jusqu'à 175 000 commandes et 125 000 transactions par seconde constitue un excellent test et montre que nous sommes capables d'absorber, pour le compte des marchands, des volumes de ventes multipliés par 10 ou 20 par rapport à un jour normal. A l'avenir, nous pourrons opérer notre activité chaque jour à la même échelle que le 11/11.

De quelle façon votre solution de paiement Alipay s'intègre-t-elle dans votre internationalisation ?

Alipay inclut un système de paiement mobile très important en particulier pour l'Inde, l'Asie du Sud-Est, ainsi que les pays émergents où les consommateurs ne possèdent souvent pas de carte bancaire et ont plutôt recours au cash-on-delivery, une méthode de paiement très inefficace. Dans tous ces marchés, Alipay se développe d'une façon très semblable à l'activité e-commerce d'Alibaba.

Par exemple, en Asie du Sud-Est, nous avons racheté le grand site marchand Lazada, nous investissons maintenant dans le paiement et nous faisons croître ensemble nos écosystème e-commerce et de paiement. En Inde, nous avons fait l'inverse. Dans ce pays, où nous voulons absolument être présents, Amazon, Flipkart et Snapdeal dépensent et perdent beaucoup d'argent pour prendre des parts de marché en e-commerce. Procéder comme cela n'est pas dans notre ADN. Nous avons donc acquis 40% de PayTM, le premier e-wallet d'Inde, et utiliserons ce socle pour bâtir notre activité de vente en ligne. Peu importe que l'on développe d'abord le paiement ou l'e-commerce. Pour réussir sur ces marchés, les deux sont nécessaires.

Alipay commence à arriver en Europe, dans les grands magasins, les aéroports… Quelle est votre stratégie sur ce continent ?

L'objectif premier est de permettre aux marchands, aéroports et acteurs du tourisme de tirer profit de la venue des touristes chinois, qui cette année seront 100 à 130 millions à voyager hors de Chine et notamment vers l'Europe. Beaucoup n'ont pas de carte bancaire mais emportent du liquide et ont l'app d'Alipay sur leur mobile. Nous souhaitons leur fournir la possibilité de payer avec Alipay plutôt que de devoir transporter beaucoup de liquide. Et comme ce système de paiement est de type débit et non crédit, il ne présente pas de risque pour les marchands, qui pourront ainsi accéder non à quelques milliers mais à des millions de clients supplémentaires. L'impact sur le commerce peut donc être significatif.

"Alibaba s'intègre aussi à la distribution physique"

Par ailleurs, c'est une façon de développer notre activité BtoB de service aux marchands, qui est notre activité historique. En la matière, nous développons aussi énormément nos services logistiques et accroissons notre capacité à transporter des millions de colis à un prix compétitif. Actuellement notre filiale Cainiao traite 52 millions de colis par jour, contre 6 millions pour Amazon. Le dernier grand pilier de nos services aux marchands est le cloud, qui leur permet d'accéder à des volumes d'activité qu'ils n'auraient jamais pu assurer seuls à moins d'acheter des dizaines de serveurs supplémentaires.

Comment se porte en Europe AliExpress, votre marketplace BtoC de vendeurs chinois ? En France son audience est déjà importante malgré une politique d'acquisition de trafic très limitée. Allez-vous accélérer comme en Espagne, en Russie ou au Brésil, où AliExpress est dans le Top 3 des plus gros sites marchands ?

La France, l'Espagne, l'Italie, la Russie, le Brésil sont en effet des marchés importants pour AliExpress. Nous aimons bien cette activité, c'est notre seule plateforme BtoC tournée vers l'extérieur de la Chine. Nous réfléchissons prudemment à l'expansion de ce business. Il couvre déjà 200 pays : comment déterminer nos marchés prioritaires ? Il est vrai que nous ne dépensons pas beaucoup en publicité car les gens qui achètent sur le site apprécient l'expérience et reviennent. Mais nous réfléchissons aux deux ou trois prochaines étapes pour améliorer cette activité en termes de qualité d'expérience et de pénétration de marché.

De France, Alibaba est surtout perçu comme une porte d'entrée sur le marché e-commerce chinois. Qu'apportez-vous d'autre aux marchands de la planète ?

D'abord, c'est une porte sur l'Asie et pas uniquement sur la Chine. Ensuite, nous n'essayons pas de vendre uniquement en ligne, nous nous intégrons à la distribution physique. Enfin nous leur fournissons énormément de données. Prenez l'Indonésie : aucune marque n'irait ouvrir des magasins dans les centaines d'îles du pays, mais nous pouvons l'aider à adresser ces consommateurs que nous connaissons, en l'accompagnant sur le choix de l'assortiment, le marketing, le merchandising, la relation client… Chacun de ces trois axes a beaucoup de valeur pour nos partenaires étrangers.