Christine Lorimy (Coliposte) "Colissimo et ses compétiteurs doivent imposer des marques de livraison"

La directrice marketing de Coliposte revient sur la conception et l'avenir de l'offre e-commerce So Colissimo et sur son combat auprès des sites marchands pour imposer de véritables marques de livraison.

JDN. Comment avez-vous monté l'offre So Colissimo ?

Christine Lorimy. Nous avons construit cette offre avec trois e-marchands. Il y a un an, nous avions l'idée de l'offre, le Powerpoint qui décrivait ce que nous voulions faire - le choix multiple pour les consommateurs -, mais nous n'avions pas les "tuyaux" pour la brancher. Nous avons fait le tour des très grands e-commerçants et des plus petits, car nous voulions que cette offre couvre tout le marché, et nous leur avons demandé s'ils trouvaient l'idée intéressante. Oxatis, Priceminister et Vente Privée nous on dit "on vous suit". Ce qui veut dire que concrètement, ils ont mis sur le projet des informaticiens et des gens du marketing pour faire exister l'offre.

Nous avons lancé So Colissimo mi-juin en avant-première chez Vente-privee.com, chez Priceminister et chez des clients pilotes de la plate-forme Oxatis et nos commerciaux ont commencé à vendre le service fin juin. Il permet aux clients des sites marchands de se faire livrer à domicile, dans un bureau de poste, chez un commerçant de proximité partenaire du dispositif ou dans un espace Cityssimo. Nous avons aujourd'hui 400 contrats signés avec des sites marchands. Enfin, nous avons lancé la campagne de communication cet automne.

Dans la pub TV, vous rendez d'ailleurs hommage aux e-marchands qui vous ont aidés à développer le service...

Le spot montre un couple qui n'arrive pas à se mettre d'accord sur le lieu de livraison de son colis. Dans le spot, on alterne entre "on le fait livrer où, ce colis Vente Privée ?" et "on le fait livrer où, ce colis Priceminister ?". Il y a un an, quand nous sommes arrivés avec notre présentation, il fallait avoir vraiment confiance en la Poste. Heureusement, il y a encore des histoires d'hommes dans l'e-commerce. On arrive avec une idée et pas de tuyau, on les regarde dans les yeux et ils disent "moi j'ai confiance, vous allez le faire". Or pour eux, cela signifiait développer des solutions qu'allaient ensuite utiliser leurs compétiteurs. Informatiquement, ce sont de très gros chantiers. Nous leur avons dit "si vous le faites et si dans un an on fait une pub TV, alors on vous intégrera gratuitement". Il y avait plein de "si"... Mais avoir la confiance de ces gros clients nous a donné l'énergie nécessaire.

Comment se répartissent les options de livraison choisies par les clients finaux de So Colissimo ?

"Vu leur maillage, les bureaux de poste vont prendre l'essentiel des flux hors domicile"

Il est encore trop tôt pour le dire, d'autant que trois très gros marchands cachent un peu la réalité des chiffres. Mais sur certains sites, on monte jusqu'à 10 % de bureaux de poste choisis. Tous les mois, nous mesurons la façon dont les consommateurs souhaitent utiliser les moyens de livraison. Pour 80 % de leurs achats, ils préfèrent le domicile. Dans les 20 % du hors domicile, nous pensons que 70 % vont aller en bureau de poste. La raison principale est le maillage de toute finesse : 10 000 bureaux de poste participent. Nous avons aussi 3 200 magasins de proximité qui s'ajoutent aux possibilités de livraison mais en volume, mécaniquement, c'est le bureau de poste qui l'emporte.

Comment montez-vous votre réseau de points de retrait ?

Ce n'est pas nous qui avons inventé le point relais, il existe depuis longtemps chez La Redoute ou 3 Suisses par exemple. En revanche, il est insupportable du point de vue du consommateur que sur un site marchand on vous propose Jeannette la fleuriste et que sur un autre site elle n'y soit plus deux jours après. Votre zone de chalandise bouge et vous n'avez jamais les mêmes magasins. Tous les opérateurs de points de retrait le disent : ce qui est difficile, c'est de fidéliser son réseau de magasins relais. Nous nous attachons donc à choisir des points de vente qui ne vont pas fermer tout de suite.

A quels éléments vous fiez-vous pour cela ?

Nous nous concentrons sur les chaînes de magasins de proximité, qui ont une vraie stabilité. Ou encore sur les bureaux de tabac, souvent des affaires familiales, où le turnover est très faible. Autre exemple : je regarde avec intention Chronodrive, du groupe Auchan, mix entre le point de vente et le commerce en ligne qui, avec une toute petite surface au sol, arrive à avoir un trafic d'hypermarché : vous commandez en ligne et vous vous y faites livrer. Ils ne sont aujourd'hui que 23 points de vente mais le jour où ils seront 400, il sera très important que nous ayons anticipé la façon dont les gens vont fréquenter ces points de vente et branché en avant-première les lieux de fréquentation qui vont devenir importants pour les gens. De la même façon, nous nous demandons quelles sont les gares SNCF où cela aurait du sens de placer un point de livraison. Il existe encore beaucoup de possibilités, ce n'est que le début de l'aventure de la livraison hors domicile. Même si vu leur maillage, il est évident que les bureaux de poste vont prendre l'essentiel des flux.

En quoi cette stabilité est-elle importante ?

Elle contribue à fidéliser les consommateurs. Notre combat n'est pas contre nos compétiteurs, nous cherchons avant tout à donner confiance aux gens dans l'achat en ligne. En France, seuls 4 à 5 % des achats sont effectués en ligne. Or l'un des principaux freins concerne la livraison. Elle est anxiogène car au moment où vous commandez, vous ne savez pas exactement où vous serez quatre ou cinq jours après, comment vous souhaiterez recevoir votre achat... Cela demande de l'organisation. Pour augmenter le taux de conversion, mettre en place des solutions de livraison très larges et donner le choix aux gens est important. Les grands sites le font déjà, ils ne nous ont pas attendus. Mais de nombreux sites ne le proposent pas car ils n'ont pas la taille critique pour aller signer avec nos compétiteurs en plus de nous. Notre boulot, c'est de proposer tous ces modes de livraison à tous les sites. Et par ailleurs, d'imposer une marque de livraison fiable.

"Une enseigne forte n'a pas forcément envie de mettre une deuxième marque sur son site marchand"

Pourquoi est-il important de développer des marques de livraison ?

Parce que le consommateur sait très bien que derrière le marchand, il y a un livreur et que la livraison, ce n'est pas le boulot du marchand. Ce en quoi je crois dur comme fer, c'est à la marque de livraison. C'est vrai pour nous mais aussi pour nos compétiteurs : il faut tous que nous imposions des marques de livraison. C'est un vrai combat, parce qu'une enseigne forte n'a pas forcément envie de mettre une deuxième marque sur son site marchand. En quelque sorte, elle dit : "Mon enseigne est tellement forte que je n'ai pas besoin de dire qui est le livreur. Le livreur, c'est moi".

Or peut-être que ce sera vrai dans 10 mois, ou dans 5 ans, mais aujourd'hui ce n'est pas vrai. De la même façon que les consommateurs ont encore besoin de voir "Intel Inside" sur l'ordinateur qu'ils vont acheter, ils ont encore besoin de connaître la marque qui va les livrer. C'est un facteur de conversion, notamment pour les sites petits et moyens. Si vous voyez que c'est une marque de livraison de confiance, vous vous dites "ce site est fiable, je vais y aller". Ce qui me fait peur, c'est la marque blanche. Elle est mauvaise pour l'e-commerce. Peut-être qu'un jour on n'en aura plus besoin et ce jour-là, on s'adaptera. Mais aujourd'hui, beaucoup ne passent pas à l'acte d'achat en ligne car ils ne savent pas qui livre.

Les grands sites ont-ils nécessairement tort de protéger leur propre marque ?

Je peux tout à fait comprendre qu'ils le fassent. C'est à nous d'avoir des marques de livraison qui ne cannibalisent pas le site, qui soient un plus pour l'enseigne. Regardez Vente Privée ou Priceminister : notre solution ne les cannibalise pas. Au contraire elle s'intègre de façon harmonieuse à leur site. Sur le premier, c'est d'ailleurs amusant : il y a des consommateurs qui pensent que So Colissimo est une marque de Vente Privée. Or on se moque que certains ne sachent pas qui l'a inventée. Les deux marques se nourrissent et cela apporte énormément aux deux. Et derrière, c'est bénéfique pour le marché.

En même temps, que la marque du livreur soit présente ou non, si la livraison se passe mal, le consommateur en voudra autant au livreur qu'au marchand...

Oui et c'est normal, mais ce n'est pas cela qui compte. A eux seuls, 22 % des e-acheteurs génèrent 68 % du volume des achats en ligne. La part de gâteau à gagner est sur la fidélisation. Il y a encore beaucoup de consommateurs à qui il faut donner des raisons de ré-acheter régulièrement. Passé un certain cap, vous achetez tout en ligne, il n'y a plus de frein. Pour passer ce cap, nous sommes persuadés qu'il faut les rassurer. En expliquant que le livreur n'est pas n'importe qui, en multipliant les interactions, en affinant le tracking des commandes, etc.

"So Colissimo est une box que nous continuerons à enrichir"

Ce n'est pas grave d'avoir une marque blanche sur un produit complètement banalisé, comme la chips. Mais nous sommes sur des marchés technologiques, industriels, de service. Je pense que nous avons encore une longue vie avant de devenir une marque de distributeur.

Vos concurrents partagent-ils votre conviction ?

Pour certains, oui. Je pense par exemple à un réseau de points relais bien connu, qui travaille sa marque. C'est une marque vis-à-vis des marchands et des distributeurs, même s'ils sont encore trop petits pour exister vis-à-vis du grand public. Or il est important qu'ils existent en tant que tels. Cela ne nous inquiète d'ailleurs pas : Colissimo, pour tout le monde, c'est la Poste. Et nous avons une grosse part de marché.

Comment allez-vous améliorer So Colissimo ?

So Colissimo, c'est comme une box. Prenez la Freebox d'il y a trois ans, ce n'est pas la même qu'aujourd'hui. On a essayé de construire un véhicule qui regroupe des options de livraison. Je n'ai aucune idée de ce que voudront les gens dans trois, quatre, cinq ans. Il y a peut-être de nouveaux lieux de fréquentation qui n'existent pas encore et qu'on pourra brancher sur cette box. Aujourd'hui nous investissons sur la marque, le label, mais il faut que nous l'enrichissions sans arrêt : en multipliant les interactions, en proposant un jour de changer son lieu de livraison au dernier moment... C'est pour cette raison que nous avons mis tellement de moyens et d'emphase à ce lancement. Je ne sais pas ce qu'il y aura à l'intérieur de So Colissimo dans trois ans mais le pari que nous faisons, c'est que So Colissimo, c'est pour toujours.

Sur quels projets de développement travaillez-vous en ce moment ?

Nous réalisons des développements informatiques pour faire en sorte que lorsqu'on se connecte sur le site du marchand, on ait l'impression que So Colissimo est dans sa page de livraison et non sur un site extérieur. Cette amélioration sortira dans les prochains mois.

Nous préparons par ailleurs un dispositif de fidélisation où en utilisant So Colissimo, les e-acheteurs cumuleront des points qu'ils pourront utiliser sur nos sites partenaires. Nous cherchons comment faire plus de colis avec des gens qui ont déjà acheté. Nous avons déjà testé le principe sur Priceminister avec des bons de réachat, qui fonctionnaient très bien. Ce dispositif pourrait être lancé fin 2011. Cela fait d'ailleurs partie des choses que nous aimerions lancer en partenariat avec les petits sites, qui n'ont pas forcément les moyens de faire cela tout seuls et qu'il pourrait être opportun de rassembler. A la Poste, notamment en tant que partenaire des régions, nous avons aussi un devoir de permettre aux plus petits d'exister. C'est difficile d'émerger, quand on est sur des niches. Or cela nous tient à cœur de créer plus de valeur. Et plus de colis !

Christine Lorimy est directrice marketing de Coliposte depuis avril 2008. Elle travaille depuis 10 ans au sein du groupe La Poste, où elle a occupé successivement les fonctions de directrice Grands Comptes à la direction du Courrier, puis directrice de la Stratégie de l'Enseigne La Poste. Auparavant, elle a passé près de 10 ans dans des entreprises de grande consommation, occupant des postes en commercial et marketing notamment chez Quaker Oats Company, Peaudouce et Nana. Elle est diplômée de l'Institut commercial de Nancy.