Jean-Emile Rosenblum (Pixmania) "Dans 5 ans, Pixmania pourrait réaliser la moitié de son chiffre d'affaires en magasin physique"

Parce que les consommateurs préfèrent le multicanal et qu'ouvrir des magasins coûte moins cher qu'acquérir des clients sur Google, l'ex-pure player développe une stratégie ambitieuse de distribution physique. Son vice-président l'a livrée au JDN.

JDN. Combien de magasins opère aujourd'hui Pixmania ? Sont-ce des showrooms, des points de retrait ou des points de vente ?

Jean-Emile Rosenblum. Nous opérons 20 magasins, dont 8 en France. Tous sont de véritables points de vente, de 150 mètres carrés environ : un tiers dédié au stockage et deux tiers de surface de vente. Plus de mille références sont exposées et en stock, puisées dans le catalogue de Pixmania à l'exclusion de notre place de marché. Les magasins permettent également aux clients d'accéder en 24 heures à toutes les références du site. Meubles et gros électroménager mis à part, toutes les combinaisons sont alors possibles : commande en magasin et livraison en magasin, commande en magasin et livraison à domicile, commande en ligne et livraison en magasin.

Nos points de vente sont localisés à des endroits "premium" à fort trafic, en centre-ville ou en centre commercial, toujours à proximité d'un parking. Employant un effectif important de 7 à 10 vendeurs, ils accueillent chacun entre 500 et 1000 personnes par jour et enregistrent un chiffre d'affaires au mètre carré très élevé par rapport aux chaînes de distribution concurrentes.

Pourquoi ouvrez-vous des magasins ?

Aujourd'hui, le Web représente 5 à 40% du chiffre d'affaires d'une ligne de produit : 5% pour le meuble, 10% pour les téléviseurs, 20% pour les appareils photo, 40% pour les disques durs... Disons qu'en moyenne, Internet compte pour 20% des ventes des catégories de produits sur lesquelles se positionne Pixmania. Sur ces 20%, nous faisons face à tous les concurrents possibles, pure players et distributeurs multicanaux. Tandis que dans la vente physique, il existe moins de concurrence, pour un marché quatre fois plus important. Pourquoi, dès lors, n'adresser que le cinquième du marché ? Qui plus est le cinquième le plus disputé ?

Ouvrir des magasins nous permet également de développer une marque globale aux yeux du client, qui veut du multicanal. Les clients multicanaux achètent d'ailleurs davantage que les clients purement Web. Nous sommes donc confiants : notre offre est bonne, les clients vont venir. Dans cinq ans, cela ne me choquerait pas si Pixmania réalisait la moitié de son chiffre d'affaires en magasin.

En ouvrant des boutiques physiques, n'allez-vous pas justement perdre votre avantage sur les retailers ?

D'une part, nous bénéficions de la puissance du Web, c'est-à-dire de la largeur d'offre de notre site marchand. D'autre part, nous proposons des "prix Web" de 10 à 15% inférieurs à ceux de la distribution physique, qui doit pour sa part supporter le coût de ses très grandes surfaces de vente, souvent 20 à 30 fois plus étendues que les nôtres. Ceci nous confère un avantage important sur le long terme, car opérer nos magasins coûte nettement moins cher qu'acquérir des clients sur Google. De cette façon, nous diversifions donc aussi nos sources d'acquisition de trafic.

Vendre en ligne est-il réellement impossible ? Comment s'y prend Amazon ?

Même Amazon ne gagne pas d'argent en vendant sur Internet. A l'international, l'e-commerce ne leur rapporte rien. Et aux Etats-Unis, leurs bénéfices proviennent de leurs services cloud et de leurs services aux entreprises, mais pas de la vente de produits. Ceci d'autant plus que l'exemption de TVA, dont bénéficiaient jusqu'ici les e-commerçants américains localisés hors de l'Etat où est réalisée la vente, est en train de tomber Etat par Etat.

Ouvrir des magasins vous permet-il aussi de travailler avec des fournisseurs qui imposent à leurs distributeurs d'avoir des points de vente physiques ? Ou de bénéficier de barèmes à l'achat plus favorables ?

Oui. Aujourd'hui, nous n'avons plus accès à la totalité des références. Alors qu'il y a 3 ans nous commercialisions encore 100% des modèles de téléviseurs, nous avons perdu tout le haut de gamme et cette proportion est tombée à 60%. Or vis-à-vis du client, ce n'est pas acceptable. Il nous faut donc trouver des solutions pour contrer cette tendance. Ainsi, opérer des magasins nous a permis de vendre l'iPad, ou encore de référencer des produits KitchenAid. Et à terme, lorsque le chiffre d'affaires des magasins décollera, nous pourrons effectivement négocier de meilleurs prix à l'achat.

A quel rythme progressent les ouvertures ?

Depuis juillet dernier, nous avons ouvert des magasins à Marseille, Quai d'Ivry, Rosny 2, Madrid, Barcelone, nous avons refait celui de Boulogne-Billancourt, nous sommes sur le point d'en ouvrir un à Lyon... autrement dit nous ouvrons environ un point de vente par mois. Nous pensons continuer sur un rythme de 5 à 15 par an et si tout se passe bien, dans trois ans, nous accélérerons. Nous fonctionnons pays par pays en commençant par ceux où nous sommes le plus fort, la France et l'Espagne notamment, afin de mutualiser les investissements logistiques correspondants.

Cherchez-vous à prendre de l'avance sur Amazon et Cdiscount, vos plus gros concurrents pure players ?

Cdiscount réalise un test dans le centre de Paris, dans une logique assez différente de la nôtre. Et certes les commandes passées sur le site peuvent être récupérées dans les Casino ou les Géant, mais il ne s'agit finalement que d'un service de livraison : l'expérience n'est pas brandée Cdiscount. Quant à Amazon, ils ont annoncé un test prochainement à Seattle, mais on ne sait pas s'ils vendront leur gamme de produits, Kindle et autres, ou davantage de références. In fine, nous avons donc des années d'avance sur eux en termes de logistique de livraison des magasins.

En outre, nous avons constitué toute une équipe pour porter notre stratégie retail. Nous avons en particulier recruté François Gazuit, ancien DG de Mr Bricolage et d'Intermarché, qui s'est entouré de seniors extrêmement qualifiés en matière de distribution physique. Nous y croyons beaucoup. Et même si certaines lignes de produit, les chaussures par exemple, peuvent tout à fait survivre sur des modèles économiques de pure players, le sens de l'histoire va sans doute vers le multicanal.

Jean-Emile Rosenblum, 33 ans, est le vice-président du groupe Pixmania. A la sortie de l'Institut Supérieur de Gestion, en 2000, il rejoint son frère à la tête de Fotovista (depuis renommé Pixmania) en le rachetant avec un fonds d'investissement. En avril 2006, le groupe britannique de distribution Dixons Retail devient actionnaire majoritaire.