Jean-Michel Noir (Redcats) "Internet compense enfin le déclin des ventes offline"

Le PDG de Redcats veut faire de LaRedoute.fr une marketplace de mode et déco et annonce une croissance de 19 % de ses ventes en ligne depuis le début de l'année. Ses projets pour le groupe, son analyse du secteur.

JDN. Que représente le Web pour Redcats, maison-mère de La Redoute et filiale vente à distance du groupe PPR ?

Jean-Michel Noir. Au niveau mondial, Redcats réalise 1,6 milliard d'euros de ventes sur Internet, sur un chiffre d'affaires total de 3,4 milliards d'euros. Aux Etats-Unis, où nous avons 400 magasins, 50 % des ventes de Redcats vient du Web. Présent dans 31 pays avec 27 millions de clients et 45 millions de visiteurs uniques par mois, le groupe est l'un des rares grands distributeurs du Web, le troisième mondial sur le secteur du shopping à distance de mode et décoration. 10 % des ventes environ sont réalisées en magasin.

La Redoute représente environ le tiers du chiffre d'affaires de Redcats. Selon les mois, le Web compte pour 70 % à 80 % de ses ventes. Son activité e-commerce devrait atteindre environ 700 millions d'euros cette année en France. Sur les huit premiers mois de l'année, ceci équivaut à une croissance de 19 % du chiffre d'affaires Web.

Deux ans après l'annonce du plan de relance de La Redoute, quelle est votre approche de la question de l'adaptation du catalogue ?

Les plans sociaux sont terminés. Le groupe Redcats a perdu près d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires en quatre ans. Aujourd'hui nous considérons que nous avons un magasin, Internet, et plusieurs médias. Parmi les dépenses en acquisition de trafic figure le catalogue, qui constitue le levier le plus efficace. Deux mois après mon arrivée à la tête de Redcats début 2009, le chausseur en ligne Zappos a lancé son catalogue de 1000 pages. Au Royaume-Uni, Asos aussi a lancé un magazine mode de 80 pages. Cela nous a confirmé que le papier était très adapté aux produits de mode. Le consommateur a l'habitude de voir les vêtements portés. Nous avons donc fait le choix de conserver le catalogue tel quel et de le renouveler en cours de saison.

Lors du salon e-commerce, vous avez présenté un film sur les fonctionnalités du futur dans l'e-commerce : réalité augmentée, mobilité, etc. Pourquoi ?

Le risque pour notre métier est de vieillir trop vite. On voit des start-up qui, dix ans après leur naissance, stagnent. Sur les sites marchands, 80 % des fonctionnalités ont plus de 5 ans. Il nous apparaît essentiel d'aller sans attendre dans cette direction de l'innovation. En effet, les usages changent à une rapidité folle. Cet été par exemple, notre enseigne Daxon, qui cible pourtant les seniors de plus de 65 ans, a réalisé 12 % de ses ventes en ligne, c'est considérable ! Raison pour laquelle Redcats dispose déjà de plus de 20 applications iPhone et iPad au total. Et qu'en six mois, nous avons rendu 80 % du catalogue de La Redoute disponible en situation de mobilité.

A l'avenir, l'expérience d'achat pourrait changer radicalement. Je pense que nous allons vers une révolution. Par exemple, l'achat de mode et de déco est un type de shopping qui se fait à plusieurs. Il doit devenir possible sur Internet aussi de faire du shopping entre copines. S'agira-t-il d'univers avec des avatars, de MMORPG ? Les technologies sont en train d'être mises au point. Chaque jour, 10 millions d'applications iPhone sont téléchargées, 20 millions de dollars sont dépensés sur le mobile, 1 million de comptes Facebook sont créés... La seule certitude, c'est qu'il faut rester ouvert en permanence à ce qui se passe et toujours garder l'esprit d'un débutant.

Comment analysez-vous votre place parmi les grands e-commerçants français ?

Les sites marchands de produits électroniques ont des marges très basses qui les poussent à développer des marketplaces. Ils essaient de devenir Amazon et se battent à coup d'audience, mais ils ne gagnent pas d'argent. Quant aux pure players, ils se sont adossés à des groupes de retail. Car effectivement, Fnac.com sera certainement toujours là dans 20 ans. L'autre voie, que nous avons choisie, est celle de la rentabilité. Redcats se concentre sur les catégories de produits avec des marges importantes. Et développe sa propre offre pour mieux en bénéficier. Avec la taille et le cashflow que représente Redcats, les pure players pourraient d'ailleurs vouloir s'adosser à nous.

Quels sont vos avantages compétitifs et comment en tirez-vous parti ?

80 % de notre marchandise est dessinée par nos stylistes, aussi bien sur la mode que sur la maison. Ainsi, en Suède par exemple, Ellos rivalise véritablement avec H&M. Nous sommes un e-commerçant totalement intégré. Cela nous garantit une position sur le marché : personne d'autre ne vend nos produits.

Nous allons dorénavant développer la présence de marques pour faire de La Redoute la marketplace de la mode et de la décoration. En travaillant ensemble avec les marques, nous allons réussir à faire croître ce marché. Nous n'irons pas sur d'autres catégories de produits, ces deux là représentent un marché suffisamment important et rentable. Il s'agira donc d'une marketplace spécialisée. Mais je fais le pari qu'une femme à la recherche d'une tenue de soirée n'ira pas la chercher sur Amazon. Elle viendra chez nous. D'ailleurs, historiquement, le quart du chiffre d'affaires de la Redoute était réalisé avec des marques extérieures : c'était déjà une marketplace.

Qui sont vos concurrents ?

On est souvent trop obnubilé par son "frère jumeau". Les acteurs de l'e-commerce ont intérêt à avoir une vision plus large de leur marché. C'est du commerce physique que viennent les plus grandes menaces. Aux Etats-Unis, 80 % du marché de la vente en ligne de mode est détenu par des acteurs physiques. C'est aussi sur le commerce physique que nous pouvons prendre des parts de marché. Tout en faisant attention aux grands leaders internationaux qui pourraient arriver sur le Web et s'accaparer le trafic.

Redoutez-vous l'arrivée de Zara et prochainement de H&M sur le Web marchand français ?

Zara et H&M vont amener des consommateurs sur la Toile. C'est une bonne chose. Le même phénomène se produit d'ailleurs dans le monde physique : lorsqu'une boutique Zara ouvre, le magasin voisin voit le plus souvent son chiffre d'affaires augmenter.

Vous dites que la course à l'audience que se mènent les gros e-commerçants et les marketplaces leur est nocive. Pas à vous ?

Nous sommes également engagés dans une course à l'audience, mais nous gagnons de l'argent. Nous avons les attributs quantitatifs d'un grand leader mondial. Nous travaillons pour en acquérir les attributs qualitatifs, en matière notamment de politique commerciale, d'innovation, de trafic... Redcats enregistre une croissance encore relativement modeste par rapport aux autres e-commerçants, même si certains de nos sites connaissent une croissance à deux chiffres.

Quels sont vos projets, vos chantiers en cours ?

Nous continuons à lancer de nouveaux sites. Fin 2010 nous en opérerons 75, dont 15 lancés cette année. Par exemple, nous voulons dominer le segment de la grande taille en Europe, à travers le portail OneStopPlus qui sera présent dans 6 pays avant la fin de l'année. Nous travaillons par ailleurs à ce que nos sites plus anciens reviennent à des taux de croissance plus en ligne avec le secteur de l'e-commerce. Et cela marche. Pendant des années, Internet ne compensait pas le déclin des ventes offline. Maintenant si, et l'entreprise grossit à nouveau. En 2010, il se passe quelque chose. La Redoute est en train de revenir.

Diplômé de l'ESCP et titulaire d'un MBA de l'Insead, Jean-Michel Noir, fils de l'ancien ministre Michel Noir, débute sa carrière en 1991 dans le secteur des fusions/acquisitions au sein de la banque Clinvest. En 1995, il intègre le cabinet McKinsey où il conduit jusqu'en 2000 plusieurs missions de stratégie dans le secteur de la distribution. Il rejoint alors le groupe Vivarte et dirige la Halle aux Vêtements avant de devenir en 2007 le directeur général opérationnel du groupe. En avril 2009, il prend les fonctions de PDG du groupe Redcats, puis en août 2009 celles de président de La Redoute.