Susanne Czech (EMOTA) "Nous voudrions que soit mis en place un système sûr de paiement en ligne valable sur toute l'Europe"

L'Emota regroupe les différentes Fevad nationales afin de défendre l'intérêt des e-commerçants à Bruxelles. Sa secrétaire générale évoque le fonctionnement de l'association et les sujets qui y sont débattus.

JDN. Qui est l'European E-commerce and Mail Order Trade Association (Emota), dont vous êtes la secrétaire générale ?

Susanne Czech. L'Emota a été créée dans les années 1970. A l'époque, c'était l'association des professionnels de la vente par correspondance. Aujourd'hui, elle représente 21 associations nationales de vente à distance dans 20 pays, dont la Fevad française, BeCommerce en Belgique, la Fecemd en Espagne, Thuiswinkel aux Pays-Bas, les deux associations e-commerce d'Allemagne... A but non lucratif, elle est financée par les contributions de ses membres. Elle a d'abord un rôle de lobbying, s'efforçant de représenter les intérêts des entreprises de VAD auprès des institutions européennes et internationales, mais constitue également une plate-forme d'échange entre ses membres.

Comment travaillez-vous ?

Nous fonctionnons en groupes de travail : l'un s'occupe des questions de législation, le second de stratégie, le troisième de paiement électronique. Ils sont composés des représentants de nos membres intéressés par le sujet. C'est au sein de ces groupes de travail que nous mettons au point des prises de position communes, que nous adressons à la Commission européenne ou encore aux membres du Parlement auteurs de projets de loi, afin de leur expliquer ce qui est faisable sur le terrain.

"La carte bancaire n'a pas été créée pour Internet, où elle montre ses limites"

Quelles sont les grands thèmes sur lesquels vous travaillez actuellement ?

La révision de la législation de protection des consommateurs fait partie des grands projets du moment. L'actuelle législation étant en vigueur depuis les années 1990, elle a besoin d'être revue. Cette réflexion est en cours depuis presque trois ans. Un projet de directive, soumis en octobre 2008, fait actuellement l'objet de discussions. En effet, un chapitre est consacré à l'e-commerce et aborde des questions de rétractation des clients ou encore d'informations à faire figurer obligatoirement sur les sites marchands. De nombreux Etats membres émettent des objections contre ce projet, car l'harmonisation des règles se ferait au détriment des pays les plus avancés dans la protection des consommateurs. La révision de la législation prendra sans doute encore trois ans.

Le paiement en ligne constitue un autre sujet majeur de réflexion...

Il existe beaucoup de systèmes différents en Europe, ce qui complique beaucoup les choses pour les e-marchands qui vendent dans d'autres pays que le leur. Il nous faudrait avoir un système sûr de paiement en ligne pour toute l'Europe. Le projet SEPA - Single euro payments area, donc Espace unique de paiement en euros - traite en partie de cette question, puisqu'il a pour objet la création d'une gamme unique et commune de moyens de paiement en euros, qui permettrait d'effectuer des paiements dans les mêmes conditions partout dans la zone euro. Aujourd'hui, il n'est pas toujours possible de proposer les mêmes options de paiement à l'étranger qu'au niveau domestique. La carte bancaire n'a d'ailleurs pas été créée pour Internet, où elle montre ses limites. Pour l'e-commerce, un système de online banking avec authentification serait à mon sens plus approprié.

Quels sont les autres grands chantiers actuels ?

Nous avons entamé une réflexion sur la protection des données. Là encore, la Commission européenne doit revoir la législation en vigueur, qui date des années 1990. En revanche, il n'existe pas encore de projet de loi. Il faudra donc attendre encore deux à trois ans au moins avant l'adoption d'une nouvelle législation.

La libéralisation des marchés postaux, prévue pour 2011, nous intéresse aussi beaucoup. Nous souhaiterions en particulier des développements favorables concernant les prix et la qualité des services.

Quels sont selon vous les principaux obstacles au développement de l'e-commerce européen ?

Au niveau national, l'e-commerce se développe bien. Au niveau transfrontalier, de nombreux obstacles persistent : les lois très divergentes, les fiscalités, taux de TVA notamment, très hétéroclites, sans mentionner des réalités du marché telles que les langues, monnaies, cultures différentes... L'Europe n'est pas les Etats-Unis ! Nous devons d'ailleurs aussi compter avec des spécificités d'ordre technique : des prises électriques ou claviers d'ordinateurs qui ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre, etc. La vente en ligne domestique n'a donc rien à voir avec l'e-commerce transfrontalier. La législation qui vise à surmonter ces obstacles ne se construit que très lentement. L'Emota essaie d'aider, de proposer, de dire ce qui est possible, afin de faciliter ce processus.

"La Commission doit encore examiner la question de l'harmonisation des fiscalités"

Suite à la tenue d'interviews et à l'observation du marché, la Commission européenne a publié un rapport l'automne dernier, qui contient un plan d'action pour les années à venir. Un député européen prépare actuellement un rapport sur ce rapport, pour le Parlement. Ce plan d'action, sorte de to do list en matière d'e-commerce, précise entre autres que la Commission doit examiner la question de l'harmonisation des fiscalités.

Quelles répercussions sur l'e-commerce la nouvelle régulation européenne sur les restrictions verticales va-t-elle avoir ? (Lire l'article L'UE adopte de nouvelles règles pour l'e-commerce, du 20/04/2010.)

Je pense qu'elle respecte un bon équilibre des intérêts de chacun. Nous ne voulions pas d'une discrimination des marchands en ligne face aux commerçants physiques et le texte l'empêche. La Commission a reconnu qu'il ne fallait pas étouffer le développement de l'e-commerce. Maintenant, il faut suivre l'application du texte et l'évolution des pratiques. L'Emota a aussi un rôle à jouer sur cette question, car elle peut être saisie par les associations e-commerce nationales.

Qu'est-ce qui est difficile dans le travail ou le rôle de l'Emota ?

Se mettre d'accord entre membres fonctionne bien, donc pas de problème de ce côté. La difficulté consiste à toujours s'assurer que nous avons accès le plus tôt possible à l'information sur la législation et à contacter au plus vite les bons interlocuteurs. D'autant que nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser à l'e-commerce : sont aussi parties prenantes les associations de consommateurs, les fabricants qui cherchent parfois à imposer des restrictions de distribution, etc. Il faut donc être en mesure de se positionner très vite et savoir se faire entendre. C'est un travail de networking constant. Ce n'est pas vraiment une difficulté, plutôt la nature de notre métier.