Mobile : la bataille de la data de géolocalisation a commencé

Mobile : la bataille de la data de géolocalisation a commencé Fournisseurs de SDK, analyseurs de bid requests et poseurs de boîtiers en magasin, tous espèrent décrocher la martingale, en offrant le reach le plus élevé possible.

Pour les retailers qui veulent générer du trafic en magasin depuis Internet, et dans une perspective "drive to store", la data de géolocalisation est devenue incontournable. Mais pas n'importe laquelle. Une donnée historisée et "people based", pour connaître les lieux de fréquentations préférés d'un mobinaute et exploiter cette information via des publicités ciblées. Les annonceurs sont prêts à mettre le prix fort pour ce type de données et les prestataires l'ont bien compris : ils rivalisent d'ingéniosité et de techniques, pour pouvoir leur proposer des jeux de données avec le plus grand reach possible.

Trois typologies d'acteurs se dégagent aujourd'hui. Tout d'abord, ceux qui installent leur SDK chez des éditeurs partenaires (médias, sites e-commerce, comparateurs…), en leur proposant de monnayer auprès d'annonceurs et d'agences de leurs réseaux la donnée de géolocalisation qu'ils collectent. Cette donnée sera ensuite activée selon le modèle du bundle data + média. C'est le modèle choisi en France par Teemo, Singlespot, Vectaury, ou Adotmob, qui commercialise en exclusivité la data de son actionnaire Vente-privee. Bliss Media, Ground Truth et Verve sont les trois autres acteurs majeurs en Europe.

On trouve ensuite les acteurs qui profitent de l'envoi d'une requête publicitaire (bid request) au sein d'une place de marché pour extraire la data de géolocalisation associée à cette requête. Ces acteurs, comme Admoov, passent des contrats avec les SSP qui gèrent la transaction pour collecter la donnée. Enfin, des sociétés comme Fidzup s'appuient sur des technologies avec boîtiers qu'ils installent pour mesurer le trafic en point de vente et le "matcher" avec des ID Web.

Chaque méthode a ses avantages et inconvénients. Passer des deals avec les SSP est la voie royale pour obtenir un reach très élevé. Il est en effet beaucoup plus compliqué de convaincre un éditeur d'application d'installer son SDK. "C'est d'autant plus vrai qu'il faut attendre une mise à jour de l'application concernée (ce qui est rare) pour le faire", précise Emilie Carcassonne, VP Southern Europe du fournisseur de data Nielsen Marketing Cloud. Les places sont donc chères et certains éditeurs d'applications en profitent. Ces derniers exigent désormais des minimums garantis qui peuvent monter jusqu'à 100 000 euros par mois. Pour pouvoir installer son SDK, le fournisseur doit donc s'engager à dépenser jusqu'à million d'euros annuel en achat média chez l'éditeur. "Cette stratégie est difficilement tenable sur le long terme tant les montants sont extravagants pour l'univers mobile, témoigne un acteur du marché qui souhaite rester anonyme. On refuse de perdre notre argent là-dedans, quitte à perdre des éditeurs."

Entre 10 et 17 millions de VU mensuels pour les fournisseurs de SDK. Le double pour ceux qui s'appuient sur la bid request.

Aujourd'hui, Teemo, Singlespot et Vectaury revendiquent pouvoir toucher entre 10 et 17 millions de visiteurs uniques par mois là où les acteurs qui s'appuient sur la bid request ont un reach compris entre 20 et 35 millions de visiteurs uniques mensuels, selon les informations communiquées au JDN par un acheteur mobile. Les spécialistes du boîtier sont encore plus distancés sur ce terrain-là. La faute à un coût structurel encore plus fort : il faut installer un parc de beacons au sein de chaque point de vente. Autre limite : il faut également que l'utilisateur ait activé son bluetooth pour être détecté.

Grâce aux contrats qu'il a noués avec quatre des plus gros SSP opérant en France, le spécialiste allemand de la data mobile Adsquare revendique un taux de pénétration de près de 90% sur ce marché. Son modèle est hybride car il collecte aussi de la donnée via un SDK. "Certes le bassin d'audience touché par ce biais est moins important mais on a plus d'informations sur l'utilisateur, les points de contacts étant beaucoup plus nombreux", explique son VP Demand EMEA, Vincent Tessier. Un SDK spécialisé peut récupérer la donnée de géolocalisation d'un utilisateur jusqu'à une centaine de fois par jour, dès lors que ce dernier a consenti à la partager.

 "L'autre avantage de la méthodologie du SDK est qu'elle permet de déterminer le temps passé par le mobinaute dans un point de vente, ce que ne donnent les bid requests", précise Kaoutar Benazzi, patronne de Mobext France, l'agence mobile d'Havas Group. Plus un prospect passe du temps en magasin, plus il est intéressé. L'information a donc une valeur forte pour les publicitaires.

Alors que l'entrée en vigueur du RGPD est désormais une question de semaines, le respect de la vie privée du mobinaute est évidemment un sujet clé. Ce n'est pas Teemo, épinglé sur le sujet par un article de Numerama cet été, qui dira le contraire. "Il est primordial pour nous de travailler avec des entreprises respectueuses du cadre réglementaire", confirme Kaoutar Benazzi.

Le RGPD comme arbitre

Tous s'efforcent donc de montrer patte blanche : Teemo a été certifié conforme au RGPD par l'organisme ePrivacy, Fidzup assure être compatible RGPD, et Vectaury a dévoilé ses nouveaux bandeaux opt in "géo-transparents" et RGPD compatibles. Un SDK open source baptisé Open Locate que les développeurs d'applications peuvent intégrer vient par ailleurs de voir le jour. Son objectif : leur permettre de gagner en transparence et en contrôle en ce qui concerne la collecte et le transfert de données de géolocalisation. Parmi les premiers partenaires on retrouve Appnexus, Adsquare et Teemo. Emilie Carcassonne en est convaincue : "tous ceux qui seront hors des clous fin mai ne vont pas faire long feu".

La concurrence est rude… et n'en est qu'à ses débuts. "Le marché est encore peu structuré, explique Kaoutar Benazzi. Nous avons même dû nommer un référent en charge d'auditer les nouvelles technologies, pour les challenger et les tester." Chez Publicis, les collaborateurs des équipes font même office de "cobayes" pour mesurer la qualité du tracking et sa conformité avec le contexte réglementaire. "On a monté un panel chez nous pour suivre l'avant et l'après RGPD", explique le directeur général de Performics, Frédéric Marty-Debat.

Les agences travaillent donc avec des acteurs comme Teemo et d'autres, alors même que ces derniers peuvent apparaître comme des concurrents dans la mesure où ils opèrent l'achat média. "On n'hésite pas à se tourner vers des acteurs en managed services lorsque l'on reçoit un brief et que ces acteurs nous semblent apporter la réponse la plus pertinente, confirme Frédéric Mary-Debat. C'est notre responsabilité en tant que conseil de l'annonceur." Performics ne leur fait pour autant pas une confiance aveugle et sollicite des tiers indépendants. "On challenge les résultats qu'ils revendiquent avec un Kairos pour mesurer la performance qu'ils s'attribuent."

Des prestataires plus complémentaires que concurrents, faute de data 

Le reach est en effet indispensable en matière de data de géolocalisation. Les agences ne peuvent donc pas faire la fine bouche et doivent travailler avec tout le monde. "On parle de dizaines de millions de visiteurs uniques par acteur, mais ce reach est réduit à portion congru lorsqu'on part sur une audience aussi pointue que celle qui fréquente un magasin précis", reconnait Frédéric Mary-Debat. Il n'est donc pas rare que Performics confie une partie de son budget à Teemo, une autre à Adotmob et le reste à Singlespot. "C'est un perpétuel ajustement. Le prestataire X va très bien marcher sur un magasin ou une localisation donnée mais beaucoup moins bien qu'un concurrent dans une autre zone." A ce petit jeu, deux acteurs sortent du lot : Google et Facebook. Mais ils ne proposent d'activer leur data de géolocalisation que via leurs propres technologies.

Le reste du marché a donc beaucoup à faire avant de pouvoir rivaliser avec eux. "Le gagnant sera celui qui réussira à intégrer les bases de données CRM offline de nos clients pour être encore plus pointu dans la mesure du drive-to-store. Mais les Teemo et cie n'ont pas encore les infrastructures pour arriver à matcher leurs données avec celles de sortie de caisse. Seuls Facebook et Google le peuvent pour l'instant", conclut Frédéric Marty-Debat.