François Deltour (Effiliation) "La déduplication va créer un écosystème avec Google, Criteo... et rien autour !"

Le directeur associé de la plateforme d'affiliation dénonce la logique d'attribution au seul last click et milite pour une rémunération mieux répartie.

JDN. En juillet dernier vous vous éleviez dans une chronique contre la pratique de la déduplication dans l'e-commerce. Où en est-on aujourd'hui ? 

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François Deltour, Effiliation. © Effiliation

François Deltour, Effiliation. Un nombre grandissant d'annonceurs s'appuient sur la déduplication pour considérer que les affiliés et leur plateforme, n'ayant pas le dernier clic, n'ont pas à toucher leur commission, alors que les Adwords Google ou le retargeting sont, eux, toujours payés. Ce n'est pas juste et, surtout, ce n'est pas indolore. Cela représente en effet une perte sèche de 20 à 30% de chiffre d'affaires pour le secteur de l'affiliation.

Attention, j'entends tout à fait les logiques de mes clients, en proie à des coûts d'acquisition galopant, qui se voient obligés de rationnaliser. Mais entre la facture Google et Criteo, je déplore que l'affiliation soit toujours considérée comme la variable d'ajustement... Notre modèle de la performance ne peut pas s'opposer aux gens qui ne jouent pas le jeu de la performance. Quand on m'attribue une vente, ce n'est pas pour autant qu'on arrête de payer Google. La réciproque n'est pas vraie. Ils sont toujours payés. Même raisonnement pour les acteurs du retargeting. Or, pour être retargeté, encore faut-il avoir été targeté au préalable... Nous apportons un trafic que ces acteurs nous "volent".

Ce modèle de la déduplication existe pourtant depuis longtemps et a même été porté par les plateformes d'affiliation...

Oui mais cette logique de rémunération attributive a été rendue désuète par la complexification de l'écosystème. Aujourd'hui 30% des achats sont effectués au cours d'une session multi-devices et le nombre de visites avant achat ne cesse d'augmenter. On en dénombre aujourd'hui une dizaine dans le secteur du tourisme, par exemple. La session d'achat s'allonge et cette logique de rétribuer le dernier acteur, qui était pertinente il y a près de 5 ans lorsque le dernier n'était pas loin d'être le premier, ne l'est aujourd'hui plus !

Les plateformes d'affiliation, fortes de leur rôle de tiers de confiance, n'auraient-elles pas pu, voire même dû, empêcher que la situation se dégrade à ce point ?

Vous savez, il a y a près de trois ou quatre ans, nous étions les seuls à être équipés d'outils de tracking et les annonceurs se reposaient sur nous pour savoir à qui attribuer une vente, selon la logique du dernier site à avoir posé le dernier cookie. Sont arrivées des sociétés technologiques qui ont renversé ce paradigme et donné les moyens aux e-commerçants de faire cela d'eux-mêmes. Et de découvrir qu'un même internaute n'achète pas du premier coup, qu'il va sur Google, qu'il consulte des comparateurs de prix... Conséquence de quoi ils payaient plusieurs acteurs (Google, les emailers, les affiliés) pour une même commande. Et ils sont aujourd'hui les seuls arbitres, les plateformes d'affiliation ont peu à peu perdu leurs prérogatives.

Certains disent qu'elles ne peuvent s'en prendre qu'à elles-mêmes, elles qui ont longtemps abusé de cette posture...

"Il faut rémunérer l'équipe, pas juste le buteur"

On a bien sûr notre part de responsabilité dans une telle dégradation de l'écosystème, avec certains acteurs peu scrupuleux qui voulaient à tout prix poser le dernier cookie, quitte à verser dans le cookie stuffing. Et effectivement certaines plateformes se sont longtemps satisfaites de ce système qui leur permettait de surfer sur le cashback. 

Mais nous sommes certains à vouloir faire bouger les choses, à vouloir pousser pour une affiliation plus équitable, contributive, où au lieu de payer uniquement le dernier, on paye toute la chaîne. Rémunérer moins chacun des acteurs impliqués mais rémunérer tout le monde. Pour reprendre une métaphore sportive, je propose que l'on rémunère toute l'équipe et non plus le seul buteur. C'est ce que nous tâchons de mettre en place en incitant nos clients à payer les affiliés, même si c'est à Google que revient la dernière action.

Je pense vraiment que cette logique de contribution s'impose. Rester dans une logique attributive, c'est récompenser uniquement les acteurs fin de cycle, type bons de réductions, comparateurs de prix ou cashbackeurs... En occultant tous les acteurs qui ont aidé à mettre en place l'acte d'achat, grâce à un travail de prescription.

Et c'est pour vous un danger qui renferme les "germes d'un étiolement de l'écosystème de l'e-commerce". Ne jouez-vous pas un peu les Cassandre ?

Absolument pas ! Le risque de s'enfermer dans un tel système, c'est de terminer avec un écosystème avec deux géants comme Google et Criteo... et personne autour. N'oublions pas qu'un moteur de recherches comme Google est idéal lorsque l'on sait ce que l'on veut. Mais dans le cas contraire ? Quelle requête tape-t-on ? Et comment recibler des internautes qui ne viennent jamais sur votre site ? L'affiliation présente plusieurs intérêts pour l'e-marchand. A commencer par celui d'apporter une source de trafic alternative par opposition aux moteurs de recherche, comparateurs et retargeteurs qui génèrent principalement un trafic d'internautes connaissant déjà la marque. Ne tuons pas ce secteur !

Ce secteur ne semble pourtant pas très enthousiaste pour faire bouger les choses...

Le problème c'est que nous sommes un peu seuls dans cette posture aujourd'hui... J'ai beaucoup de respect pour le CPA, mais les géants de l'affiliation sont confrontés à des problématiques d'actionnariat qui les rendent moins flexibles sur ce sujet. Mais ils seront obligés de s'intéresser à de telles problématiques à mesure que leur CA sera de plus en plus amputé. Les fondateurs de Zanox ont lancé une société qui vend aujourd'hui des technologies "multi-attributives", en marque blanche, aux plateformes. Preuve que c'est possible. Entre branding et last click, il y a tout un territoire à prendre. Valorisons tout cet écosystème qui participe à la prescription. C'est vital.