Bulle 2.0 : le retour ?

Revoici le débat sur l’émergence d’une "bulle 2.0". La prise de position de Maurice Levy n’y est probablement pas pour rien. Les réactions se sont d’ailleurs multipliées dans la blogsphère. Qu’en est il réellement et peut on arbitrer objectivement sur le sujet ?

Pour identifier une situation de bulle, encore faut il être clair sur ce qui la caractérise. Or rien n'est moins simple, pour la bonne raison que la fréquence des bulles - fort heureusement - reste très faible. C'est donc essentiellement sur la base de la dernière crise Internet que l'on peut tenter un diagnostic.

Bulle : 3 différents niveaux

Les années 2000 ont montré que la bulle peut atteindre 3 niveaux différents :

1 - La bulle spéculative est d'abord localisée sur des start-ups, se caractérise par un décalage entre la valorisation et  les revenus futurs réels, ou pire par la valorisation hypothétique de  modèles qui en fait sont structurellement incapables de générer des cash-flows positifs. Elle est favorisée par des fonds disposant d'un excédent de liquidités et contraints à investir.

2 - Les acteurs de la bulle se développent en faisant travailler un écosystème (sociétés de services, agences de communication, fournisseurs d'infrastructure) qui peu à peu expose une partie significative de son chiffre d'affaires à des risques significatifs, dans la mesure où ce sont des fonds levés qui financent les prestations et non des business models "réels".

3 - Le phénomène prend une ampleur significative lorsque ces start-ups de la bulle arrivent sur les marchés financiers (introductions en bourse par exemple) : la sur valorisation se "normalise" et pousse des acteurs économiques traditionnels à se positionner, soit en rachetant à prix d'or ces nouveaux entrants, soit (les deux pouvant se combiner) en tentant de modifier de manière significative leur business models (ce qui a par exemple été le cas dans les années 2000 des media et des majors, mais aussi d'acteurs industriels plus classiques).

Lorsque la bulle s'effondre, les start-ups tentent de changer de modèle mais disparaissent pour la plupart ; les acteurs traditionnels impliqués vacillent sous le coup de la dépréciation d'actifs, et de manière globale l'écosystème environnant (les Web agencies en 2001 par exemple) est lui aussi déstabilisé. Post bulle, les acteurs qui ont su résister avec des modèles économiques solides tirent enfin leur épingle du jeu.

Où en est-on ?

Qu'en est il aujourd'hui ? Si le niveau 3 n'est pas encore atteint (aujourd'hui aucun acteur ne perdant significativement de l'argent ne s'est introduit en bourse), il n'est pas loin de l'être et le niveau 2 l'est déjà.

Plus particulièrement deux marchés de l'Internet risquent de connaître des turbulences : celui des réseaux sociaux / agrégateurs de contenus et celui de la vidéo "User Generated Content " (UGC) grand public.

•    La survalorisation des réseaux sociaux est déjà montrée du doigt : difficulté à monétiser une audience réfractaire au profiling publicitaire, incertitude quand à la durée de l'effet de mode (qui aurait dit il y a 6 mois que Second Life serait déjà has been), guerre entre réseaux de niches et réseaux généralistes trop nombreux font partie des points généralement évoqués pour s'interroger sur les valorisations actuelles.

•    L'UGC grand public est encore plus complexe car les coûts d'infrastructure et de contrôle des contenus qu'il engendre rendent la construction d'un modèle rentable extrêmement difficile. Son financement par les fonds levés a habitué les utilisateurs à ne pas payer pour quelque chose qui a un coût réel.

Les medias / majors ont profité de la sur compétition entre fournisseurs d'UGC pour intégrer en marque blanche des offres à des prix "défiant toute concurrence", et commencent à construire des business models en s'appuyant sur des structures de coût déconnectées du réel. Enfin les fournisseurs de bande passante et de stockage en datacenters sont pour partie exposés au risque par des clients UGC devenus très importants mais qui payent leurs factures en puisant dans les fonds levés. Bref c'est tout un écosystème qui risque d'être impacté.

Où va-t-on ?

Que devrait-il se passer logiquement au cours des prochains mois ? Plusieurs scénarios sont possibles, mais il est peu probable qu'une bulle niveau 3 se produise, tant les marchés ont été échaudés par la précédente crise.

En revanche on devrait assister à de nouvelles levées de fonds, accompagnées pour partie du débarquement du management historique, avec pour objectif de "sauver les meubles", à savoir habiller proprement la mariée pour la présenter à ses futurs acquéreurs, ou encore tenter un virage à 90° en repositionnant le structure vers du B2B.

Les deux ne seront pas simples. Les acquéreurs - échaudés par des dépréciations d'actifs antérieures - vont se montrer de plus en plus méfiants vis-à-vis des acteurs n'ayant pas de perspectives claires quand à un business modèle rentable. Quand au virage B2B, les expériences des années 2000 ont montré que cela relevait de l'épreuve de force : modifier l'organisation, les plates-formes techniques, le marketing et la structure de vente pour du B2B est d'autant plus complexe que les équipes à qui on avait vendu une "Google Story" ont du mal à trouver un second souffle et une motivation pourtant indispensable.

Il est presque fascinant de voir comment sept ans après certaines pièces du puzzle semblent se réassembler selon un même schéma que beaucoup pressentent déjà sans oser en parler. En novembre 2000, alors que le cours de l'agence Web Himalaya était de 30 euros, la triste réalité était déjà connue de tous, chacun affichant une assurance entendue tout se demandant qui pourrait sauver Himalaya et le secteur tout entier. Un an après (et un cours de bourse à 0,96 euros), Himalaya - la bien nommée - avait entraîné dans sa chute toutes les agences du marché, y compris les plus stables.

Gageons que cette fois ci un scénario identique ne se répétera pas. "Tout le monde rêve de devenir une régie publicitaire" rappelait récemment Francis Lorentz, de l'Idate. Attention le réveil pourrait être difficile.