Vers une libéralisation des casinos et paris en ligne

Alors que les actions en justice contre la position de la France d'interdire les casinos et paris en ligne se multiplient, le rapport Attali, déposé le 23 janvier 2008, relance le débat en recommandant la libéralisation des jeux en ligne. Va-t-on vers la fin du monopole ?

Le rapport Attali de janvier 2008 recommande la libéralisation des jeux en ligne, sans les mentionner particulièrement, tandis que les juges français commencent à se montrer hésitants au regard de la position de la France de prohibition des casinos et paris en ligne : le 18 janvier dernier, la procédure contre le dirigeant de mrbookmaker.com a ainsi été suspendue, le juge ayant posé une question préjudicielle à la CJCE sur la compatibilité du droit français au droit communautaire.

La jurisprudence communautaire est limpide : la libéralisation des casinos et paris en ligne est inéluctable. Pourtant, la France résiste : Patrick Partouche a ainsi été condamné, le 15 mars 2007, à un an de prison avec sursis pour avoir participé à un casino en ligne. Le sujet intéresse le politique car il pèse sur les finances publiques et relève, malgré tout, de la gestion publique d'une activité encadrée depuis des millénaires.

Ce sont, en effet, les lois du 15 juin 1907 et du 5 janvier 1988 qui précisent qu'un casino nécessite l'accord du ministère de l'Intérieur. Et la loi du 2 juin 1891 précise que, hormis les autorisations délivrées par le Ministère de l'Agriculture, la prise de paris sur les courses hippiques françaises est interdite. Seul le PMU bénéficie d'un monopole depuis sa création en 1930.  Ces textes fondent les politiques consistant à interdire ou rendre très difficile l'exploitation d'un casino en ligne en France ou à partir de la France. Les grands groupes français se sont ainsi fait refuser, à plusieurs reprises, des licences pour Internet.

Des services de contrôle du monopole dispersés et peu efficaces

Un rapport de travail, rédigé par le Sénat et publié au mois de décembre 2007, souligne que les services de contrôle sont dispersés, et donc peu efficaces. A titre de comparaison, dans de nombreux pays européens, un seul service est compétent. En effet, le décret du 22 décembre 1959 prévoit que la surveillance "est exercée de concert par [actuellement, les RG et dans quelques mois, la Police Judiciaire] et le ministre chargé du budget."

De plus, la Commission supérieure des jeux, instituée par un décret du 6 novembre 1934, est chargée de rendre un avis sur toutes les demandes d'autorisation. Quant au contrôle des paris sur les courses hippiques, il fait intervenir, outre les ministères de l'Intérieur et des Finances, celui de l'Agriculture (décret du 5 mai 1997). Enfin, le 27 juin 2006 a été mis en place un Comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable...

Au niveau des sanctions, la loi du 12 juillet 1983 condamne à 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende tout casino illégal. Le régime des sanctions a été alourdi dernièrement par la loi du 5 mars 2007.

Un décalage entre le droit français et le droit communautaire

La France a toujours considéré que les casinos et paris en ligne étaient soumis à la loi française pour ce qui concerne leur exploitation auprès d'internautes situés en France. Certains acteurs ont, au contraire, soutenu que les jeux et paris en ligne entraient dans le champ du traité de Rome et étaient donc soumis au principe de libre circulation et concurrence.

Au niveau communautaire, leurs arguments ont été rapidement accueillis, notamment par un arrêt du 6 novembre 2003 (affaire "Gambelli"). Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé que l'Italie ne peut invoquer ni la protection du consommateur, ni la protection de l'ordre public pour justifier une restriction à l'offre de paris depuis un bookmaker anglais opérant sur l'Internet, d'une part, parce que  l'Etat italien cherche à accroître l'offre de jeux au profit des opérateurs de paris sportifs italiens autorisés et d'autre part,  car le bookmaker anglais est soumis à un régime d'autorisation et de contrôle strict au Royaume-Uni. Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises, notamment par l'arrêt Placanica du 6 mars 2007.

En France, la bataille contre les jeux et paris en ligne a commencée en 2004. L'affaire Zeturf a connu plusieurs rebondissements. Après avoir été condamné en 1ère et 2ème instance, notamment pour violation du monopole du PMU, la Cour de cassation a dernièrement rejeté la condamnation et renvoyé devant une nouvelle Cour d'appel.

Plus récemment, de nombreuses procédures pénales ont été lancées contre des dirigeants de casinos ou paris en ligne, notamment Bwin ou Unibet. Mais  les juges commencent aujourd'hui à prendre la mesure et à se montrer hésitants : le 18 janvier 2008, la procédure contre le dirigeant de mrbookmaker.com a ainsi été suspendue, le juge ayant posé une question préjudicielle sur la compatibilité du droit français au droit communautaire. Il faut rappeler que la Commission européenne a ouvert une procédure, notamment contre la France,  pour violation des principes communautaires.

Pour sa part, le rapport Attali, déposé le 23 janvier 2008, recommande la libéralisation des jeux en ligne, sans les mentionner particulièrement. Cette proposition se situe dans le prolongement de la recommandation n°7 du rapport sur l'économie de l'immatériel (novembre 2006) "Envisager une ouverture encadrée du marché des jeux en ligne".

1 milliard d'euros par an de pertes pour la France

Les rapports parlementaires Trucy (2001 et 2006) ont démontré les risques de fraude, de dépendance accrue pour les internautes et potentiellement de blanchiment découlant  des casinos et paris en ligne. Aujourd'hui, les Etats-Unis (pourtant porteurs du message messianique libéral) ont renforcé leur législation précisément parce que l'Etat fédéral a constaté de nombreux circuits de blanchiment et contraint de nombreux casinos en ligne à quitter les USA. Un contentieux est d'ailleurs né entre la Commission et le Département d'Etat à ce titre.

Au-delà de ces risques réels, la libéralisation a un coût réel pour l'Etat français : au moins 1 milliard d'euros par an. L'Etat français a donc commencé, en novembre 2007, de discrètes négociations avec le Commissaire Mac Creevy pour procéder à la libéralisation dans les meilleures conditions pour la France.

Enfin, il est à craindre que, forte de sa reconnaissance légale, l'industrie des jeux et paris en ligne tente de réclamer à la France une indemnisation de plusieurs milliards d'euros de manque à gagner pour non-transposition de principes communautaires dans les mois et années à venir. Une note qui pourrait être lourde...