Les réseaux sociaux menacent ils la sécurité nationale ?

Les réseaux sociaux, nouvel outil de renseignement ? Pourquoi pas. Ils offrent une bonne image de l’opinion d’un peuple à un moment donné. Mais que risquent les internautes diffusant des informations sensibles ?

L'utilisation des réseaux sociaux n'est pas totalement dénuée de risques, c'est un fait. Parmi ceux déjà bien répertoriés figurent la diffamation, l'atteinte à la vie privée ou encore l'incitation à la haine raciale. Un autre danger, moins évident que les précédents, semble faire son apparition. Il s'agit de l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, en d'autres termes, de l'espionnage.  

Les réseaux sociaux, un outil de renseignement ?

Avec les sommes considérables d'informations qu'ils mettent à disposition du public, les réseaux sociaux peuvent s'avérer être d'excellents outils de renseignement, dans tous les sens du terme.

En effet, comme tous les lieux de socialisation, ces réseaux offrent une bonne image de l'opinion d'un peuple à un moment donné. Ils hébergent aussi nombres d'échanges, qui sont autant de vecteurs possibles de propagation d'idéologies. Il n'est dès lors pas inenvisageable d'imaginer que les services de renseignement de tous pays glanent de précieuses informations sur ces espaces.

D'ailleurs, l'an dernier, les internautes syriens se sont vus dans l'impossibilité de se connecter à Facebook pendant plusieurs jours. Une rumeur a alors circulé dans la presse, selon laquelle les autorités syriennes auraient bloqué l'accès à ce site afin de priver les services secrets israéliens d'une source d'information sur l'état de l'opinion syrienne...

Mythe ou réalité, toujours est il que la question de la fuite d'informations sensibles sur les réseaux sociaux a récemment suscité diverses réactions gouvernementales. On peut citer deux exemples récents.

Le premier est celui de l'armée canadienne qui a demandé à ses soldats de ne pas divulguer d'informations personnelles ni de photographies sur le réseau Facebook. Une telle interdiction se fondait notamment sur l'impératif de protection des soldats et la nécessité qu'ils ne puissent pas être ainsi identifiés par des groupes ennemis.

Le second exemple concerne Israël, dont la sécurité nationale serait menacée en raison de certains éléments secrets publiés sur Facebook, tels que des cartes, des photographies d'installations militaires ou des coordonnées d'unités. Un service spécial de Tsahal aurait justement été mis en place afin de traquer ces contenus sur Facebook, et les soldats seraient spécifiquement sensibilisés à cette problématique. Israël a d'ailleurs franchi le pas de la prévention pour celui de la répression, puisqu'un soldat vient d'être condamné à une peine d'emprisonnement pour avoir publié sur Facebook des photographies de sa base, jugées sensibles.

Quelles conséquences en cas de publication d'éléments sensibles ?

Si le risque existe en Israël ou au Canada, force est d'admettre qu'il est identique pour toutes les armées du monde. La diffusion de photographies de personnels ou d'installations militaires françaises sur Facebook serait donc toute aussi dangereuse et répréhensible. Quelles seraient les conséquences juridiques, en droit français, d'une telle publication ?

La première faute pénale concerne directement l'auteur de la photographie, qui peut être sanctionné pour violation de l'article R. 645-2 du code pénal.

Ce texte dispose en effet que : "Le fait, dans une zone d'interdiction fixée par l'autorité militaire et faisant l'objet d'une signalisation particulière, d'effectuer, sans l'autorisation de cette autorité, des dessins, levées ou des enregistrements d'images, de sons ou de signaux de toute nature est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe [NDLR : 1.500 euros  maximum]."

Un soldat qui prendrait une photo de sa base pourrait donc se voir reconnu coupable de cette infraction, à la condition toutefois qu'il soit en zone d'interdiction et qu'il n'ait pas reçu d'autorisation. De même, existe un risque pénal en cas de divulgation de l'identité de certains personnels militaires sur Internet, l'article 39 sexies de la loi de 1881 sur la presse prévoyant que : "Le fait de révéler, par quelque moyen d'expression que ce soit, l'identité (...) de militaires ou de personnels civils du ministère de la Défense (...) et dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l'anonymat, est puni d'une amende de 15.000 euros."

Les choses sont encore susceptibles de s'aggraver en cas de diffusion publique d'informations couvertes par le secret-défense. En effet, le fait, par un militaire, de "porter à la connaissance du public" un élément couvert par le secret de la défense nationale est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100.000  euros d'amende.

Le secret de la défense nationale est défini par référence à l'article 413-9 du Code pénal, selon lequel : "Présentent un caractère de secret de la défense nationale (...) les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion. Peuvent faire l'objet de telles mesures les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale. (...)". Le caractère "secret-défense" d'un élément ne peut ainsi résulter que d'un acte officiel de qualification comme tel. Il n'existe plus, comme cela pu être autrefois le cas, d'éléments secrets "par nature" hors de toute classification officielle.

En pratique, l'illégalité de la publication d'informations sensibles par des militaires français sur un réseau social dépendra donc de la qualification qui leur a été donnée : les plans d'une base sur un terrain d'opération étranger ont de fortes chances d'être couverts par le secret-défense, alors qu'il semble peu probable que la photographie d'un navire à quai dans un port français soit classifiée "secret-défense".

La problématique de la diffusion de photographies d'installations militaires dépasse toutefois le cadre des réseaux sociaux et se pose clairement pour ce qui est des photographies satellite sur Google Earth ou Géoportail.

Le Pentagone a ainsi interdit à Google Earth de publier les photographies de l'intérieur des bases américaines, arguant du secret-défense. Pour les mêmes raisons, les détails de certains sites français ont également été masqués sur Géoportail, l'équivalent français de Google Earth.

Reste que certaines bases françaises, comme par exemple l'île Longue (base des sous-marins nucléaires), sont floutées sur Géoportail... mais parfaitement visibles sur Google Earth ! Cette différence de traitement montre que la protection de l'information sensible ne dépend pas uniquement du risque de sanction pénale, qui n'existe véritablement qu'en cas d'information classifiée, mais surtout de la propre éthique des diffuseurs. Un véritable travail de sensibilisation semble donc plus que jamais nécessaire sur ces sujets.