Quand la loi Informatique et Libertés ne s'applique pas à Google

Un juge français a écarté l’application de la loi Informatique, Fichiers et Libertés, pour appliquer la loi californienne à Google, au motif que le lieu de l’archivage des messages à caractère personnel dont la suppression était demandée était aux Etats-Unis.

Un juge français a écarté l’application de la loi Informatique, Fichiers et Libertés du 6 janvier 1978 pour appliquer la loi californienne à Google Inc., au motif que le lieu du fait générateur du dommage allégué était la Californie, lieu de l’archivage des messages à caractère personnel dont la suppression était demandée.

Certaines décisions jurisprudentielles mériteraient un traitement médiatique différent, en dehors de cette exigence de célérité largement répandue sur l'Internet ou dans la Presse. La décision du TGI de Paris statuant en référé le 14 avril 2008 en fait partie et mérite que l'internaute s'y intéresse et y réfléchisse tant elle remet en cause les pratiques du géant américain Google en terme de vie privée.

Les faits

Rappelons ici les termes de cette affaire : Madame Bénédicte S. demandait au tribunal de constater - au vu de l'article 8 de la Charte des  Droits Fondamentaux, de la Loi Informatique et Libertés, de l'article 3 du Code civil et de l'article 809 du Code de procédure civile :

-          que l'archivage des messages publiés par Madame Bénédicte S. sur les forums Usenet du service Google Groupes soit contraire aux dispositions des articles 6 et 7 de la Loi Informatique et Libertés ;

-          qu'en ne répondant pas aux demandes de suppression de ces messages, Google Inc et Google France ont violé les dispositions de l'article 38 de la Loi Informatique et Libertés sur le droit d'opposition.

En effet, Madame Bénédicte S. publiait des messages personnels relatifs à sa vie privée (goûts, questionnement médical, vie intime) sur des forums Usenet à partir d'une adresse électronique l'identifiant facilement (du type benedicte.s@tiscali.fr) depuis 1998, et souhaitait les voir supprimer conformément aux dispositions de l'article 38 de la Loi Informatique et Libertés.

La loi Informatique et Libertés n'est pas une loi de police

Le Tribunal de grande instance de Paris a considéré qu'il n'y avait pas de trouble manifestement illicite, dans la mesure où Google met en ligne un service permettant à chacun de supprimer les archives des messages envoyés. Cependant, s'agissant des messages dont Madame S n'est pas l'auteur, et auxquels elle a répondu, il revenait à l'auteur de chacun des messages d'en solliciter la suppression. Ceci étant, c'est la notion fondamentale de droit à l'oubli qui est bafouée. La situation est ici problématique et Google a préféré argumenter sur le champ d'application de la loi française, car le réel intérêt de la décision réside dans son analyse de la loi applicable au moteur de recherche. En effet, Madame S soutenant que les statuts de la société Google France confirment l'existence de moyens de traitement des données personnelles sur le territoire français, la loi du 6 janvier 1978 devait être considérée comme une loi de police et donc applicable au litige.

Outre le fait que le caractère impératif de la loi française en tant que loi de police n'a pas été retenu, le TGI a considéré que la loi Californienne était applicable (et équivalente à la loi française !), soit celle du lieu d'archivage. Le tribunal a estimé que la filiale française de Google Inc. n'agissait qu'en qualité de simple agent et ne disposait d'aucun mandat pour administrer le moteur de recherche ou le service Google Groupes. Ce montage juridico-technique astucieux peut avoir de lourdes conséquences en termes de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel.

Enfin, la plaignante a été condamnée à payer les entiers dépens dans cette affaire. 

L'impunité de Google est alarmante pour tous les internautes français et européens et ce, malgré tous ses efforts pour feindre le respect de la confidentialité des données collectées et de la vie privée. A contrario, d'autres grandes entreprises ont pris la mesure de l'importance de la protection de la vie privée sur l'Internet et des règles de droit communautaire.

Le business modèle de Google est fondé sur le trafic, qu'il s'agisse de l'information collectée auprès de ses utilisateurs ou des bannières publicitaires fleurissant à chaque page d'occurrence en fonction de la requête de l'utilisateur et pour lesquelles Google est devenue le leader quasi monopolistique depuis le rachat - critiqué - de DoubleClick. On comprend l'importance pour Google d'éviter de voir une législation communautaire en matière de protection des données à caractère personnel applicable à ses services (Gmail, Google Groups etc.) : toute son activité commerciale pourrait être remise en cause (conservation des données à caractère personnel, utilisation ultérieure).

Et on se pose la question de savoir quels sont les réels moyens d'action d'un internaute européen à l'encontre de cette entreprise tentaculaire. A moins d'éviter de recourir aux services proposés par Google... mais n'est-ce pas déjà trop tard ?