Signalements des infractions en ligne, c’est parti !

Chaque internaute peut désormais signaler directement en ligne à la police tout contenu illicite qu'il découvrirait sur le net. Certains parlent de délation, d'autres de vigilance collective... Quelques éléments de réflexion.

Le ministère de l'intérieur a dévoilé le 6 janvier dernier la nouvelle version du site "Internet-signalement.gouv.fr" dont l'objet est de permettre aux citoyens de signaler aux services de police tous types d'infractions qu'ils pourraient constater sur internet.

Un site anonyme ?


Avant tout, il est assez étonnant de noter que ce site semble ne pas encore comporter les mentions prescrites à l'article 6 III de la LCEN, à savoir les coordonnées exactes (notamment le numéro de téléphone) de l'éditeur, de l'hébergeur et le nom du directeur de la publication.

C'est un petit peu étonnant venant de la part d'un site gouvernemental et lorsque l'on sait que le défaut de publication de ces informations est théoriquement une infraction pénale...

Cet oubli de pure forme devrait toutefois être très vite réparé.

Que peut-on signaler à la police ?

Jusqu'à présent, ce site n'offrait la possibilité de signaler que des infractions relatives à des contenus pédophiles.

Avec la nouvelle version du site, il est possible de signaler, de façon totalement anonyme si la personne le souhaite, les contenus et comportements illicites suivants :

- Pédophilie ou corruption de mineur sur Internet
- Incitation à la haine raciale ou provocation à la discrimination de personnes en raison de leurs origines, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap
- Menaces ou incitation à la violence
- Trafic illicite
- Mise en danger des personnes
- Incitation à commettre des infractions
- Escroquerie.

Et la diffamation ?


Étrangement, parmi la liste de contenus pouvant être signalés, proposée par le site, figurent également l'injure et la diffamation. Mais si l'on sélectionne ce type de contenu pour le signaler, un message informe l'utilisateur que «conformément à la loi du 29 juillet 1881 (articles 32 alinéa 2 et 33 alinéa 3) les injures et les diffamations ne peuvent donner lieu à des poursuites que sur dépôt de plainte. Si vous êtes victime de tels faits, rendez vous dans un service de police ou de gendarmerie ou écrivez au procureur de la République du tribunal de grande instance de votre domicile.».

Les injures et diffamations, pourtant monnaie courante sur internet, ne peuvent donc pas être signalées sur ce site.

Cette situation s'explique avant tout par la lettre même de la loi de 1881, dont l'article 48 § 6° dispose que «(...) dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l'article 32 et dans le cas d'injure prévu par l'article 33, paragraphe 2, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée (...)».

Outre cette excellente raison juridique, il est certain que la possibilité de dénoncer des injures et diffamation sur ce site aurait été extrêmement problématique à beaucoup d'égards.

Tout d'abord d'un point de vue pratique : comment les enquêteurs affectés à l'exploitation de ces renseignements auraient ils pu gérer la masse considérable de signalements que l'injure et la diffamation auraient nécessairement suscité ?

Par ailleurs, l'injure et la diffamation sont des infractions extrêmement difficiles à qualifier, même pour de fins juristes et les autorités préféraient probablement éviter de voir signalés un nombre faramineux de contenus déplaisant à des internautes mais ne rentrant pas dans la définition légale de l'injure ni de la diffamation.

Enfin, la diffamation devrait très prochainement ne plus rentrer dans la case des «infractions», la rumeur de sa dépénalisation prochaine se faisant grandissante, même désormais officielle... Et si la diffamation perd son statut d'infraction pénale, elle ne sera simplement plus de la compétence des policiers.

Au delà de l'argument légal, c'est donc probablement aussi pour des raisons d'opportunité que le dispositif ne permet pas de dénoncer l'injure et la diffamation.

Faut-il avoir peur de ce site ?


Ce site doit susciter à la fois de l'enthousiasme et de la méfiance.

De l'enthousiasme tout d'abord car il répond incontestablement à une carence en matière de cyber-sécurité ; force est en effet d'admettre que les comportements illicites sont légions sur les espaces du net et qu'il est matériellement impossible pour les enquêteurs de tout contrôler.

Dès lors, il apparaît assez judicieux de confier à chaque internaute une petite partie du contrôle des espaces d'internet. Comme le dit un slogan que les utilisateurs du métro parisien connaissant bien : «Ensemble soyons vigilants». Et pour reprendre les propres termes du Ministre de l'intérieur «(...)La lutte contre la cybercriminalité doit reposer sur la coopération de tous les acteurs concernés. La coopération, c'est d'abord l'auto-régulation d'Internet.(...)».

Si l'idée d'un contrôle du net en partie par ses utilisateurs peut sembler de prime abord séduisant, il doit toutefois être entouré de garanties sérieuses.

Le fait de signaler (certains préfèreront utiliser le verbe «dénoncer», moins politiquement correct...) à des policiers un comportement que l'on considère comme illicite - qui plus est de façon potentiellement anonyme - n'est en effet pas sans conséquences.

A utiliser avec précautions ...

S'il n'est heureusement pas illégal de signaler/dénoncer à la police une infraction, le fossé dans lequel les utilisateurs de cette plate-forme devront éviter de tomber se trouve à l'article 226-10 du code pénal et se nomme dénonciation calomnieuse :

« La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. (...)»

Il ne fait aucun doute qu'une dénonciation de mauvaise foi effectuée sur ce site pourra tomber sous le coup du délit de dénonciation calomnieuse.

Il aurait ainsi pu être souhaitable que ce risque soit évoqué dans les conditions d'utilisation du site, qui se limitent à l'heure actuelle à une page «» et aux termes desquelles il est notamment précisé que l'on peut signaler «(...) un contenu ou d'un comportement illicite, c'est-à-dire (...) interdit et puni par une loi française». Le site précisant également que  «les contenus ou comportements que vous jugez simplement immoraux ou nuisibles n'ont pas à nous être signalés».

Reste à chaque utilisateur de faire la distinction entre un contenu nuisible et un contenu illégal... Pas forcément évident, même si nul n'est censé ignorer la loi !

Quoiqu'il en soit, les utilisateurs de ce site devront être particulièrement vigilants avant d'effectuer un signalement : une dénonciation d'un fait que l'on sait inexact, et imputé à une personne dénommée (ce qui est possible sur ce site, qui comporte un champ de commentaires libres) peut entraîner une sanction pénale.

Et l'anonymat du signalement ne saurait protéger son auteur : le site ne fait en effet pas mystère du fait qu'il enregistre les adresses IP des auteurs du signalement...!

Pour autant, chacun peut se tromper et, en voulant bien faire, dénoncer un fait qui ne s'avère finalement pas illégal. Dans ce cas, pas de panique, le signalement de ce fait ne constituera pas une dénonciation calomnieuse si l'auteur est de bonne foi, c'est-à-dire s'il existait plusieurs éléments pouvant raisonnablement le laisser croire à l'existence de l'infraction.

Et l'avenir ?

Ce nouvel outil risque nécessairement, du moins à ses débuts, d'entraîner une augmentation du nombre de dénonciations calomnieuses. En effet, même si les gens ne sont pas plus mauvais ni délateurs qu'avant, il est clair qu'en offrant si facilement la possibilité de commettre ce délit, beaucoup tomberont dans la piège ...l'occasion ne fait-elle pas le larron ?

Il est cependant probable que les autorités choisissent de limiter les poursuites en dénonciation calomnieuse à la suite de signalements sur cette plateforme. En effet, plus l'utilisation du dispositif semblera risquée, mois il sera utilisé.

Or, il est de l'intérêt des autorités que la plateforme connaisse le maximum de succès de la part des internautes.

Ce dispositif devrait donc avoir de beaux jours devant lui et qui plus est, il s'inscrit dans une tendance globale de facilitation du signalement des infractions aux autorités ; la plateforme n'est en effet pas le seul outil pour signaler électroniquement les comportements illicites. Il existe aussi la préplainte en ligne (https://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr), actuellement en phase de tests, le site "Signal Spam", les lignes téléphoniques telles que le 0811 02 02 17 pour signaler des escroqueries ou encore les numéros SMS comme le 33 700 pour le spam...

Les nouvelles technologies ne font toutefois que permettre une pratique bien ancienne. Déjà dans la Venise antique, des "bouches de dénonciation" sculptées dans les murs des palais permettaient à chacun d'y glisser de petits billets ... à l'intention des procurateurs.