Facebook défie Google : les enjeux du duel

La firme de Marc Zuckerberg, quoique bien moins profitable, inquiète de plus en plus Google. Voici pourquoi.

Trois informations donnent la mesure du phénomène. Facebook a récemment annoncé qu'il avait dépassé la barre des 400 millions d'utilisateurs. C'est près du quart des internautes. Ces internautes passent un temps croissant au sein du réseau social. Enfin, cette force est devenue telle que, pour les sites majeurs, Facebook aurait passé Google comme premier pourvoyeur de trafic.

On pourrait penser que le métier de Google étant la recherche alors que celui de Facebook est celui de relier les personnes, les deux pourraient cohabiter de façon pacifique. Il n'en est rien.

Rien ne doit davantage inquiéter Google que cette construction accélérée autour des internautes d'une enceinte contre laquelle s'écrasent ses robots. La grande majorité des informations au sein de Facebook, en effet, est inaccessible à Google. Ces informations, ce sont les noms des gens, leur adresse, leur téléphone, leurs relations, leurs goûts, etc. Autant d'éléments qui, si Google en avait connaissance, lui permettraient d'améliorer la pertinence de ses résultats. Or qui dit pertinence moindre dit, à terme, moins de recherches. Cela nous conduit à un deuxième motif d'inquiétude pour Google.

Que les personnes accèdent de plus en plus au Web non pas via un moteur de recherche mais via leurs relations, cela doit avoir tôt ou tard un impact sur les revenus de Google. Google se porte très bien, mais ce n'est pas sans subterfuges : davantage d'annonces sur les pages de résultats, réduction supposée des revenus de ses affiliés, rapprochement de la publicité des résultats de recherche... À la fin, c'est mécanique : moins de recherches signifie moins d'inventaire publicitaire, donc moins d'opportunités d'afficher de la publicité. Or la publicité représente plus de 90% des revenus de la firme de Mountain View.

Enfin, qui dit moins de recherches sur Google et des résultats d'une moindre pertinence dit moins de revenus pour ses affiliés et un trafic d'un volume et d'une pertinence moindres pour ses annonceurs. Les premiers pourraient alors partir en quête d'autres sources de revenus, les seconds diminuer leurs budgets. C'est tout l'écosystème économique de Google qui se trouve menacé.

On comprend mieux dès lors les nombreuses initiatives de Google dans la sphère sociale du Web, à commencer par sa tentative de prise de participation dans Facebook en 2007. Que l'on songe à Google Friend Connect (pour contrer Facebook Connect), Google Wave, Google Profile, Google Search Wiki, les résultats de recherche personnalisés, son engagement pour l'Open Source, la socialisation de certaines applications comme Google Reader ou, dernièrement, Google Buzz et son caractère intrusif. On comprend aussi cette déclaration controversée d'Eric Shmidt. C'est que, hormis pour Google Buzz sur lequel il est prématuré de se prononcer, aucune de ces initiatives n'a vraiment permis de contrer la croissance de Facebook ou même l'explosion d'autres réseaux sociaux comme Twitter.

Bien entendu, le tableau est loin d'être noir pour Google, mais celui-ci sait que les empires jaillissent et disparaissent à une vitesse incroyable sur Internet. Il sait aussi qu'il est très difficile pour une entreprise de se réinventer. Microsoft, roi du logiciel, ne comprend pas le Web ; Google, roi de la recherche et du développement Web, est-il capable de comprendre les réseaux sociaux, qui semblent être la nouvelle donne ?

Google est devenu un monstre de la recherche grâce à son intelligence des liens entre les pages Web (le pagerank). Il est devenu un monstre économique en trouvant le moyen de monétiser cette intelligence grâce à sa régie publicitaire (Google Adwords).

Facebook est devenu un monstre grâce son intelligence des liens entre les personnes. La chance de Google est que Facebook n'a pas encotre trouvé le moyen de monétiser cette intelligence ; mais le jour où il le fera, les cartes du Web seront rebattues, et rien ne dit que Microsoft, un de ses actionnaires minoritaires, n'en profite pas.