Google Adwords : responsable mais pas trop !

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui met partiellement fin à la controverse sur la réservation d’une marque par un tiers comme mot-clé via le service Adwords de Google.

La CJUE répondait à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation française le 20 mai 2008, dans le cadre de litiges opposant Google à Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA, Luteciel SA, le Centre National de Recherche en relations humaines, Tiger SARL, ainsi que deux particuliers.
 
L'enjeu était de taille pour la firme californienne : le service Adwords offre la possibilité de promouvoir un site en affichant un lien commercial sur le moteur de recherche dès qu'un internaute effectue une requête portant sur un mot-clé sélectionné par l'annonceur du site, moyennant une commission versée à Google en fonction du nombre de visites réalisées (par clic sur le lien).
 
Une des techniques utilisées par les annonceurs a bien évidemment été de réserver comme mots-clés les marques de leurs concurrents, signes stratégiques pour attirer l'internaute.
 
Un abondant contentieux s'en est suivi sur le terrain de la contrefaçon de marque, ainsi que sur le terrain de la responsabilité civile.
 
1. L'annonceur est bien contrefacteur si l'internaute peut penser qu'il vante les produits du titulaire de la marque 
Concernant la qualification de contrefaçon des actes de l'annonceur tiers concurrent, qui sélectionne les mots-clés, la Cour de Justice juge que: 
 
"le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d'un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers".
 
La responsabilité de l'annonceur pour contrefaçon de la marque est conforme aux décisions des juridictions françaises et se trouve au coeur du sujet : la marque est un signe d'abord destiné à protéger un agent économique de ses concurrents.
 
On relèvera que la réponse porte, pour le moment, sur la seule reproduction à l'identique du signe pour des produits ou services identiques, mais ouvre néanmoins la porte à une généralisation de la solution pour les signes et produits ou services seulement similaires.
 
2. Le prestataire de référencement n'est pas contrefacteur de marque 
Encore plus intéressante est la question de la qualification du rôle de Google dès lors qu'il n'est pas lui-même concurrent du titulaire de la marque et n'en fait pas à proprement parler un usage à titre de marque, dans le cadre de sa propre communication pour ses services.
 
En effet, certaines décisions françaises ont exclu la qualification de contrefaçon de marque contre Google pour ces raisons.
 
Selon la Cour de Justice, cette constatation est en effet suffisante pour écarter la contrefaçon, peu important que Google soit rémunéré pour avoir "créé les conditions techniques nécessaires pour l'usage d'un signe" : 
 
"Le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe [que le titulaire est habilité à interdire]", y compris dans le cas d'une marque notoire.
 
Sa responsabilité ne pourrait donc être engagée que sur le terrain général de la responsabilité civile prévu au Code civil.
 
Il convient en conséquence de démontrer et faire juger que Google est responsable des conséquences dommageables de la sélection par ses utilisateurs des mots-clés litigieux.
 
3. Le prestataire de référencement est un hébergeur si son rôle est passif et technique 
Le débat porte sur la qualification de l'activité de Google en tant qu'éditeur ou en tant qu'hébergeur des données de ses utilisateurs.
 
En cas de qualification de simple « hébergeur », la responsabilité du prestataire ne peut pas être recherchée tant qu'il n'a pas été informé du caractère illicite des agissements de son utilisateur, contre lequel il doit cependant réagir promptement. C'est ce statut que revendique traditionnellement Google.
 
La Cour énonce que la dérogation en matière de responsabilité s'applique :"au prestataire d'un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S'il n'a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu'il a stockées à la demande d'un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d'activités de cet annonceur, il n'ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données.
 
S'agissant précisément de Google, la Cour indique que le fait que le service soit payant et que Google "donne des renseignements d'ordre général à ses clients" ne le prive pas de ce régime dérogatoire, pas plus que la concordance entre le mot-clé et la recherche de l'internaute.
 
En revanche, les juges européens laissent aux juges nationaux le soin de vérifier si le rôle de Google dans la rédaction du message publicitaire et dans le choix du mot-clé correspond bien à la définition de l'hébergeur, dont le rôle doit être "purement technique, automatique et passif, impliquant que ledit prestataire n'a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées".
 
La question reste donc en suspens, et la question de la responsabilité de Google à travers son générateur de mots-clés Adwords continue à se poser.
 
Les prochaines décisions des juges nationaux apporteront probablement un éclairage complémentaire à la position de la CJUE.