Opérateurs télécoms : valorisez vos infrastructures de télécommunications

Avant de poursuivre la création de nouveaux réseaux, de façon risquée et potentiellement ruineuse, il faudrait plutôt capitaliser sur l’expérience passée.

Aujourd’hui est venu le temps du bilan du haut débit, et des décisions d’investissements pour le futur "très haut-débit" (THD). La récente Conférence du FTTH à Lisbonne des 24 et 25 Février 2010 l’a bien confirmé : les différents fournisseurs de matériels et d’infrastructures y présentaient en masse leurs nouveaux produits et solutions technologiques.

Avant de poursuivre la création de nouveaux réseaux, de façon risquée et potentiellement ruineuse, il faudrait plutôt capitaliser sur l’expérience passée. L’important pour l’élaboration de cette stratégie, est l’analyse du chemin parcouru, la valorisation du patrimoine d’infrastructure actuel, ainsi que la façon de le gérer et de le développer.

Ne pas confondre stock et patrimoine d'infrastructure
L'Académie Française définit le patrimoine comme "l'ensemble des biens que l'on hérite de ses ascendants ou que l'on constitue pour le transmettre à ses descendants." Un patrimoine est constitué des "richesses matérielles ou immatérielles" qui appartiennent donc à l'entreprise.

Le patrimoine d'infrastructure d'une entreprise inclut donc, et de manière évidente, l'ensemble des équipements physiques qui constituent le réseau. On y retrouve également une liste à la Prévert de différents équipements actifs ou passifs, allant des câbles ou de la fibre à des biens immobiliers ou des éléments de génie civil, jusqu'aux stocks de matériel.

Mais à trop se concentrer sur la partie physique du patrimoine, on en oublie une autre, tout aussi essentielle : la partie immatérielle. Elle recouvre les connaissances et le savoir-faire attachés à la partie physique, les informations et méthodes nécessaires à la gestion, la comptabilité et la maintenance de ce patrimoine...

Ces informations doivent être bien souvent partagées, en partie ou en totalité, en interne ou en externe : entre services, avec ses sous-traitants, transmises au régulateur ou mutualisées avec des concurrents.


Le tout n'est pas d'avoir seulement des tuyaux, mais également de bien savoir où ils se trouvent, et ce qu'il est possible d'en faire. C'est tout cela qui construit un patrimoine d'infrastructure.

Qu'est-ce que la "valorisation" du patrimoine ?
Connaître son patrimoine n'a pas d'intérêt en soi. C'est l'usage qu'il est fait de cette connaissance au profit de l'entreprise et de son développement qui est intéressant... et donc, par ricochet, au profit de ses clients et de son marché. C'est bien cette action qui permet de "valoriser" le patrimoine.

La maîtrise de l'information doit permettre la construction d'un référentiel pour les études et les évolutions du réseau, et donc engendrer un meilleur suivi des projets... Grâce à ces informations il est possible d'effectuer une veille technologique efficace, et d'apporter une réelle plus-value dans les anticipations technologiques à mener. Cette maîtrise permet donc à terme d'entretenir ce même référentiel, qui devient un outil décisionnel majeur, partagé au sein de l'entreprise.

Autrement dit, la valorisation d'une infrastructure n'est pas simplement une évaluation comptable. Ce n'est pas la simple somme des valeurs amorties des infrastructures physiques actives et des stocks (et ce d'autant plus que le débat est ouvert quant à la durée des amortissements sur les divers équipements et technologies employées).

Le réseau est un ensemble, sa valeur globale est différente de la somme des valeurs unitaires des équipements, de l'immobilier et des stocks. Il dépend de son usage et de ses perspectives d'évolution.

Quels sont alors les facteurs de valorisation d'un patrimoine ?
Les architectures de déploiement du THD sont diverses, chacune ayant ses caractéristiques propres et ses avantages : P2P, PON ou autres. Certains acteurs privilégient l'une à l'autre, selon les contextes et les attentes, et les usages. Quelques études disponibles donnent une idée plus précise de l'amortissement en fonction des choix d'architecture [i].

Parmi les éléments importants, le dernier kilomètre impacte fortement la valeur de l'infrastructure. Il est la plupart du temps à l'origine des remontées clientèle et des alarmes de supervision. C'est encore lui qui multiplie les visites d'inspection pour juger de la vétusté et de l'état des supports de génie civil, chambres et fourreaux.

De plus en plus d'acteurs utilisent les standards du TM Forum[ii], l'association internationale du monde des télécommunications, dont la mission est d'améliorer l'efficacité des fournisseurs de services de télécommunications et de leurs partenaires. Au service de l'information, des communications et du divertissement, le TM Forum offre des solutions pratiques, des orientations et des standards pour transformer la façon dont les services numériques sont créés, livrés et facturés.

Cette adhésion et l'intégration de standards internationaux dans le système d'informations représentent également une valeur. Les études de cas démontrent que l'implémentation de ces modèles (notamment MTOSI/NGOSS) est un gage de qualité à court terme et de réduction globale et significative de coûts. Or ces modèles imposent la connaissance et la maîtrise de l'infrastructure pour fonctionner, notamment sur son inventaire, ainsi que sur les méthodes et les processus de gestion : il s'agit bien là d'une notion de référentiel.

L'information pour mieux envisager l'avenir
Les opérateurs télécoms doivent répondre aux attentes des consommateurs et satisfaire leurs demandes de nouveaux services et de plus grande bande passante - en réception, ce qui est classique, mais également de plus en plus en émission, ce qui est nouveau.

Pour accompagner la nouvelle croissance ainsi induite du patrimoine, sans compromettre la survie et la santé financière des entreprises, il faut savoir répondre précisément aux questions suivantes :

- Quelle est la capacité du génie civil à accepter de nouveaux câbles ? : taux de saturation, type de câbles tirés (cuivre, fibre), état, réutilisation des fourreaux, possibilité de moderniser le réseau avec le génie civil existant (dépose cuivre/repose fibre, sous-tubage, fourreaux vides et en bon état)...

- Quelle est la capacité à activer plus rapidement les nouveaux quartiers ? : réserves de fibre noire/cuivre non connecté, réserves de fourreaux, état de saturation des armoires, besoin et positionnement des NRO, NRA...

- Quelle est la capacité à proposer de nouveaux services grâce à de la réserve de débit ? : pour de nouveaux services (IPTV, TVHD, 3D, ...), sur le backbone, le réseau de desserte et le dernier kilomètre, taux de saturation des équipements actifs, proximité moyenne des équipements aux abonnés (confrontation des affaiblissements prévisibles avec les plans marketing ciblés).

Tout opérateur disposant de ces réponses, rapidement et de manière fiable, pourra aller plus vite et plus loin que la concurrence, quelque soit son historique et ses origines, ses actionnaires et sa géographie. L'expérience montre même que plus l'intervention de l'opérateur se fait au plus proche du point de raccordement (pour ne pas dire de la prise), plus l'intérêt de la connaissance fine et précise, actualisée et quantifiée de l'infrastructure de distribution et de raccordement est grand.

Par ailleurs, il parait évident que le partage d'une infrastructure pour sa mutualisation nécessite la bonne connaissance de celle-ci : toute collectivité partage ses coûts sur la base d'une connaissance précise de sa propriété. Il en va donc de même pour les réseaux et les infrastructures de télécommunications, et en particulier pour le dernier kilomètre, et encore plus pour la mutualisation des colonnes montantes dans les immeubles ou les réseaux de dessertes dans les lotissements. Sans référentiel ni connaissance précise de cette infrastructure, il ne pourra pas y avoir de réelle mutualisation.

Enfin, dans le cas des réseaux et infrastructures en délégation de service publique, comment peut-il y avoir l'assurance d'une réelle reprise par la puissance publique s'il n'y a pas un référentiel en place, dès l'initialisation du réseau et mise à jour au fil de ses évolutions et de son développement ? L'histoire des réseaux cuivres est bien là, à l'heure de la fibre optique, pour nous rappeler que sans mise en place d'un tel référentiel au plus tôt il n'y a pas moyen de récupérer cette information ni de la reconstruire à posteriori : sachons dès aujourd'hui tirer les leçons de cette histoire et mettons en place les référentiels de demain.

Comment mieux gérer la dimension informationnelle du patrimoine télécom ?
Tous les opérateurs ont des outils informatiques qui peuvent fournir une partie des réponses. Les progiciels de gestion intégrés - les célèbres ERP - fournissent les valeurs comptables et amorties (achats, stocks, en service, déclassé...).

Les outils de gestion de la relation clients - les non moins célèbres CRM - participent également à cet effort en permettant d'évaluer la qualité de service générale en fonction des retours de la clientèle.

D'autres briques logicielles permettent la supervision et la mesure de la qualité des équipements, des câbles ou des fibres optiques constituants le réseau, ainsi que l'inventaire des équipements actifs.

Ce florilège d'outils doit être complété par ce qui est archivé dans les armoires à plans, sous forme papier ou numérique, suivant des niveaux de précision ou de cohérence avec la réalité du terrain variables, sans oublier les bases de donnée « maison » sous forme de tableurs ou autres systèmes plus ou moins intelligents. La question qui se pose immédiatement est celle de l'effort nécessaire pour croiser toutes ces données afin d'en extraire une synthèse fiable et pérenne. Sans l'aide structurée d'un référentiel au centre et en remplacement de tous ces outils hétérogènes, cet effort est une quête difficile, et qui produit souvent des résultats erronés ou imparfaits.

De l'intérêt de l'Infrastructure Knowledge Management (IKM)
Pour valoriser un patrimoine d'infrastructure, comme un iceberg, il y a la partie émergée et la partie immergée. Si les outils classiques sont adaptés à l'estimation de la partie visible, seules les solutions d'Infrastructure Knowledge Management permettent de donner une valeur de manière fiable et pérenne de la partie invisible de cet iceberg. La valeur réelle d'un réseau de télécommunication n'est pas qu'un simple inventaire, ni un assemblage de composants répondant à certaines architectures dont l'amortissement reste soumis à de nombreuses inconnues selon l'angle d'observation (économique, écologique, moyen ou long terme...).

La valeur d'un réseau est liée à la capacité de l'opérateur à faire face à la demande croissante de débit et de nouveaux services. Seules des solutions d'Infrastructure Knowledge Management peuvent répondre aux questions sur les parties immergées, avec le plus de clarté possible. Elles seules donnent l'assurance que l'infrastructure saura répondre aux prochains challenges, proposent des réponses optimisées ou mettent en évidence les points faibles. C'est ce tout qui doit permettre de déclencher les investissements nécessaires, de la façon la plus pertinente, avant la concurrence.

Références
[i]  - Alcatel Lucent, Livres Blancs Stratégiques, "Eco-efficiency in action : Alcatel-Lucent sustainability solutions for access networks"

 - Alcatel Lucent, Marcus Weldon, "Eco-sustainability on the road to Fibre nation"

 - Fiberevolution.COM, "Revisiting the PON vs P2P debate", http://www.fiberevolution.com/2008/04/revisiting-the-pon-vs-p2p-debate.html

 - ECTA (European Competitive telecom Association), "The Economics of Next Generation Access", http://www.ectaportal.com/en/upload/ECTA%20NGA_Executive_Summary_masterfile_2008_09_16.pdf

[ii] TM forum, http://www.tmforum.org/browse.aspx