L’identité des blogueurs, la pointe émergée du vrai débat sur l’identité digitale

Le Sénateur Jean-Louis Masson a émis une proposition de loi visant à faciliter l'identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des "blogueurs" professionnels et non professionnels. Un sujet qui incite à la réflexion sur l'identité digitale.

En 1897 HG Wells publie un roman, L'Homme invisible, dont la question sous jacente peut se résumer à "Que ferais-je si aucune règle de société ne pouvait me contraindre ?" C'est en substance la réponse qu'apporte un sondage à propos d'une proposition de loi du Sénateur Jean-Louis Masson. Celle-ci visant à faciliter l'identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des "blogueurs" professionnels et non professionnels. 59 % des Français seraient favorables au principe de pouvoir identifier les blogueurs.

Cette zone d'achoppement confronte deux points de vue. D'un côté, il y aurait les tenants de la liberté d'expression, même dans l'anonymat, comme fondement de toute démocratie ; de l'autre, les adeptes de la punition des actes de diffamation.
Cette proposition de loi concerne la modification de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique et tout particulièrement la transparence des informations qui sont transmises à travers Internet. Avec cette proposition, sans doute bien intentionnée, le Sénateur Masson a néanmoins déclenché une véritable levée de boucliers de la part des internautes. L'édile de Moselle soulève toutefois un point intéressant que les commentateurs ont occulté : la transparence des informations qui sont publiées.

En effet, ce qui est pointé du doigt c'est l'absence de règles, permettant à certains internautes de publier ou republier des informations non vérifiées - rumeurs ou parfois propos diffamatoires - sans qu'ils en soient inquiétés. Bien entendu, l'exception ne fait pas la règle et il ne s'agit pas d'assimiler l'activité du "blogueur" à celle d'un "corbeau" ayant comme unique but celui de nuire sous couvert d'anonymat. L'adage populaire "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres" prend ici tout son sens.

Certes, la liberté d'expression est un droit fondamental, mais ne doit pas se confondre avec une autorisation de nuire à autrui en produisant des informations ou des propos portant atteinte à l'honneur ou la réputation, sans pouvoir recourir aux moyens de défense les plus traditionnels. L'espace de liberté offert par Internet, mal utilisé par un petit nombre, peut donc discréditer le reste des utilisateurs, et favoriser les amalgames. Un formidable espace de liberté ne peut se confondre avec un espace ou régnerait une anarchie. Ce que personne, sauf peut-être les obscurantistes, les extrémistes et autres fondamentalistes, ne saurait souhaiter.

Anastasie, ou la tentation naturelle du retour à la censure...
Ce qui inquiète les internautes a d'autres origines. Interrogé sur une grande radio nationale, le Sénateur Masson avouait ne pas connaître Twitter, ni l'Ipad et encore moins Deezer. Pourquoi donc s'intéresser au net alors ? Cette méconnaissance de l'objet de la chose attaquée parut immédiatement suspecte. Derrière cette initiative ne se cacherait - il pas un Tartuffe de la censure ? Internet est un formidable espace de liberté qui trouve ses fondements sur les principes de partage, d'échange, de gratuité des contenus et bien sûr, de l'anonymat supposé des internautes. Mais entre nous, cet anonymat reste "supposé".

Quelques récents faits d'actualité nous ont bien prouvé la facilité avec laquelle la police identifie un internaute : l'affaire du blog hébergé sur le site du JDD source des rumeurs sur les infidélités du couple présidentiel, ou encore, l'affaire du jeune homme pirate du compte Twitter de Barack Obama, de Britney Spears et de bien d'autres encore.

Quel avenir pour notre identité digitale ?
La question dépasse largement les enjeux de transparence soulevés par le Sénateur Masson. Selon le rapport Identity Fraud Survey de Javelin Strategy & Research, les chiffres et les faits sont alarmants : l'usurpation d'identité arrive en tête sur la liste des attaques cybercriminelles, avec près de 10 millions de personnes exposées en 2008 au risque de vol d'identité. Et il n'existe aucune loi dans la majorité des pays occidentaux qui punirait directement l'usurpation d'identité sur Internet.

Le réseau social Facebook, entre autres, a totalement bouleversé les codes d'usages de l'Internet. Son  fonctionnement repose entièrement sur l'identité de l'Internaute. Mais est-ce bien de lui dont - il s'agit ? En d'autres termes, son identité digitale est-elle bien son identité légale ? Les récents débats liés à la transparence mais aussi à la confidentialité des informations prouvent bien que l'identité digitale, c'est-à-dire l'identité de l'internaute, sur le net, devient un sujet hyper sensible.

Appréhender le sujet en pointant du doigt la seule identité des blogueurs, consiste, selon nous, à engager le débat par le petit bout d'une mauvaise lorgnette. Davantage que de transparence il s'agit plus globalement d'identité digitale. Plus que de blogueurs, il concerne des usagers de l'Internet. Dans ce cadre, le droit à l'oubli numérique, porté par Nathalie Kosciusko-Morizet, nous semble également à souligner car il s'inscrit au coeur d'un véritable enjeu de société. Il convient plutôt de traiter de la question de l'identité digitale de chacun d' entre nous sur Internet. 

 Alex Türk, Président de la CNIL, déclarait récemment que  "Le droit à l'oubli numérique couvre le droit à l'anonymat, à l'incognito et à la solitude"  voilà qui devrait apporter au législateur une réflexion philosophique dans laquelle pourrait s'intégrer toutes les bonnes idées y compris la proposition du Sénateur Jean-Louis Masson.
Co-auteurs : Thierry Wellhoff, Président, Jacky Isabello, Directeur associé et William Ory, responsable de l'activité NetInfluence de Wellcom.