eBay et Amazon, deux destins croisés à la croisée des destins

En mathématique, lorsque deux trajectoires se croisent, si l’on s'intéresse uniquement au point d’intersection, on peut arriver à la conclusion erronée que les deux trajectoires sont identiques. C’est un peu ce qui arrive en ce moment avec eBay et Amazon.

Revenons au départ, à la fin des années 1990. Deux ambitions différentes.

D’un côté, Amazon voyait déjà très loin et expliquait que le milliard levé en bourse l’avait été pour établir de l’infrastructure technologique. Tout le monde considérait qu’en fait c’était une façon de masquer de piètres performances économiques. De fait, il n’y a avait pas ou peu de marché. A quoi cela pourrait-il servir de construire une Ferrari s’il n’y a pas de route pour rouler ?

De l’autre, eBay c’était plutôt une 4L, une techno très basique, mais pas besoin de superbes routes pour avancer.  Immédiatement la rentabilité fut là pour le bonheur des actionnaires. La croissance se tassant aux USA, eBay est parti rapidement à la conquête du monde. Au passage, compte tenu du besoin du 2C et du C2C d'échanger électroniquement de l’argent, l’acquisition de PayPal, première acquisition majeure du groupe, est un véritable coup de maître. Mais les cycles économiques des deux piliers du groupe eBay ne furent pas exactement synchrones : PayPal est peu à peu adopté par tous les types de sites des plus petits aux plus grands, pendant que les banques restent les deux pieds dans le même sabot et ne font absolument rien pour faire évoluer le monde du paiement en ligne en demeurant figées sur la bonne vielle carte bancaire sans sécurité appropriée. Cela permet au groupe eBay de continuer à croître rapidement et à demeurer très rentable.

Pourtant eBay commettait une première erreur en conservant trop longtemps son modèle d’enchère et en laissant de l’espace aux autres types de places de marché pour se développer. Que d’années écoulées avant la généralisation de l’achat immédiat !

Entre temps, et pour la première fois, Amazon commence à marcher sur les plates-bandes d’eBay en jetant les bases d'une véritable place de marché.

Les trajectoires des deux groupes commençaient alors à converger. Les choses s’accélérèrent avec l’arrivée du Cloud Computing. Je dis arrivée, je devrais plutôt dire avec la prise de conscience, car le Cloud, que ce soit chez Amazon ou chez Oxatis (et avant chez EBZ.com), était pratiqué depuis 1997.

Alors qu'Amazon avait délivré de très nombreux services en Cloud, eBay n’avait toujours ni expérience ni légitimité.

Bien entendu certains diront que PayPal X et les API de développement sont du Cloud. En effet, un système de paiement disponible à la demande, sous de nombreuses formes, peut s’apparenter à du Cloud Computing. Mais on ne peut pas en dire autant de l’ensemble des ressources proposées par eBay.

Et entre temps, il y avait eu l’aventure Skype. Pour tout dire, je n’ai toujours pas compris comment des gens qui avaient aussi brillamment exécuté la croissance de PayPal avaient pu rater celle de Skype. Il est flagrant de voir la généralisation de l'utilisation de Skype en entreprise. Nous l’utilisons tous, c’est même devenu un verbe ! Il y avait donc matière à monétiser et surtout avec ses centaines de millions d’utilisateurs identifiés, Skype pouvait devenir un véritable outil d’identification sur le net. C’est finalement ce que rêve de faire PayPal en remettant à la sauve sociale la technologie Express Checkout. Mais avez-vous déjà vu un bouton « Skype Connect » ? Non … dommage, occasion ratée. Et Skype ne fait maintenant plus partie du groupe eBay.

En fait ils est aisé de comprendre pourquoi des gens aussi brillants se sont cassés les dents sur Skype : manque de focus ! Tellement difficile de s’occuper d’une entreprise qui explose comme PayPal, de se concentrer pour remettre dans la bonne trajectoire un paquebot de la taille d’eBay, alors qui pouvait s’occuper de Skype ?

Si nous revenons à la position d’eBay par rapport à celle d’un Amazon qui déroule tranquillement en rachetant des parts de marché - Zappos et autres, et intègre le tout avec fluidité, investissant sur ce fameux commerce connecté, il est évident qu’eBay avait un gros challenge à relever et ne pouvait pas rester dans la position d’une « simple » place de marché. En effet, eBay était attaqué de toutes parts : d’un côté par des PriceMinister (ou plutôt Rakuten si l’on pense WorldWide), d’un autre par tous les sites à forte audience qui font de la place de marché « en plus » (comme les PixMania, Fnac, La Redoute …) et de l’autre par un nouveau mode d’échange C2C sur le modèle de «Le Bon Coin ».

Pourquoi eBay ne pouvait-il pas rester une simple place de marché ? Problème de riche comme on dit de l’autre côté de l’Atlantique, problème de base du capitalisme : quand on est assis sur un tas d’argent, on ne peut pas ne pas s’en servir et le redistribuer simplement à ses actionnaires. Ceux-ci comptent toujours sur vous pour faire mieux… et ce n’est jamais facile.

D’où les récents mouvements du groupe eBay pour se positionner comme fournisseur global de commerce, comme Amazon !

L’achat de GSI d’abord. Très belle opération, mais l’achat de GSI et de ses nombreux clients de grande qualité, n’aura jamais rien à voir avec la position d’un ensemble marchand comme Amazon.

C’est comme comparer 10.000 marchands dans un véritable SaaS/Cloud qui partagent ressources et technologie et 10.000 clients sur 10.000 serveurs différents avec des technologies différentes voire divergentes, des ressources hétérogènes, etc. Même point de croisement sur la trajectoire, mais trajectoires différentes. Mais les gens d’eBay sont smart et savent qu’il faut persévérer pour tenter de faire coïncider les trajectoires. Lâcher n’est pas une opportunité !

Le SaaS/Cloud étant clairement l’apanage d’Amazon  et de plus en plus hors de portée, eBay tente alors subtilement de se refaire une image via l’OpenSource.

Finalement, la plateforme PayPal X, qui est une très belle plateforme technique pour les intégrateurs, pourrait-elle servir d’exemple pour créer un eBay-X dans lequel on trouverait tous les outils pour faire du Commerce connecté ? Il y avait là une piste à creuser, une brèche marketing dans laquelle s'engouffrer. C’est à ce point qu’intervient le rachat de Magento, la coqueluche des outils de développements de site de commerce en ligne OpenSource. Une remarquable mise en valeur marketing d’un très bel outil conceptuel. On surfe sur la frontière floue du « Libre = Gratuit », mais on commercialise des versions « Enterprise » qui n’ont plus rien de gratuit.

PayPal investit discrètement 25M$ et la machine à brûler le cash et à raconter les belles histoires s’emballe. Et, parfait tempo, quand il n’y a presque plus de cash et que le buzz est à son apogée .. eBay se dévoile et rachète le tout à grand frais. N’oublions pas que dans l’Internet, plus elles sont chères, plus les entreprises ont de valeur … et non l’inverse ! Magento était une « Buy me » … et eBay avait besoin de Magento pour écrire une histoire et infléchir sa trajectoire. L’intégration de Magento dans le groupe eBay devrait donc aboutir à un groupe eBay « OpenSource » sur le mode « PayPal X ». C'est le message marketing qui est diffusé. Et c’est là que le bât blesse.

D’abord derrière PayPal X, il y a vraiment du Cloud, de la ressource de paiement partagée par des centaines de millions d’acheteurs, le groupe délivre donc sur sa promesse.

Mais, derrière eBay X ... il y aura Magento qui, aussi merveilleux que soit le produit, ne sera jamais une ressource Cloud/SaaS comme le sont les services d’Amazon.

Soyons clairs : pour les marchands, la valeur d’eBay - et quelle valeur ! - c'est son audience. Et cette audience, si elle est disponible via de merveilleuses API qui permettent à des plateformes comme Oxatis ou Neteven de piloter une place de marché - eBay aussi bien qu'Amazon - cette audience donc, ne sera jamais une ressource OpenSource, car ce n’est pas de la technologie !

Au final, les deux entreprises eBay et Amazon se croisent et se recroisent depuis des années et à de nombreux moments de leur évolution et il semble qu’elles en soient au même point.

Mais Amazon prend peu de risque et continue à tracer sa voie sur ses technologies, qu’elle bâtit peu à peu, selon ses besoins, ses ambitions, sa trajectoire, en Cloud, en SaaS, elle suit la vision et le leadership de son fondateur. Il me semble qu’aujourd’hui eBay prend plus de risques. Le message est très marketing et la trajectoire plus floue. eBay sera-t-elle capable de refaire le "coup" de PayPal, ou bien nous dirigeons-nous vers un nouveau Skype ?

Toute la question est là !