La lutte contre les noms de domaine illicites s'internationalise

Les autorités multiplient les coups de force contre les noms de domaine suspectés d'être utilisés à des fins criminels. D'abord limités aux noms gérés aux USA, ces opérations sont aujourd'hui internationales. Et plus efficaces ?

Depuis quelques années, les milieux financiers s'y sont habitués. L'impunité c'est fini ! Contrôles multiples, volonté politique renforcée, opinion publique hostile, tout est en place pour mener une chasse aux sorcières financières. Un combat certes juste, mais qui ne se fait pas toujours sans dérives. Des mots qui font mal – le "mon ennemi c'est la finance" d'un candidat à l'élection présidentielle… Des catégories de personnes injustement stigmatisées – non tous les traders ne sont pas des terroristes financiers... Des solutions parfois inadaptées – on veut taxer les transactions en oubliant que d'autres zones géographiques sont plus clémentes…
Malgré ces problèmes, beaucoup considèrent que le jeu en vaut la chandelle et qu'il faut "nettoyer" la finance. Même maux, mêmes circonstances, mêmes méthodes pour les noms de domaine. Le secteur paye les dérives comportementales d'une minorité, et les autorités se sentent investies d'une mission presque divine, les amenant à faire fi du velours pour manier directement le fer.

Diminuer les "paradis du nommage"

Ainsi, le 26 novembre 2012, les forces de l'ordre américaines ont mené la première opération d'envergure internationale de saisie de noms de domaine illicites. Depuis trois ans, les douanes américaines sont à l'origine de plusieurs opérations similaires, mais concernant principalement des .com. Car la société gérant cette extension étant américaine et donc obligée de s'exécuter.
Mais en novembre 2012, l'opération a porté aussi sur des extensions d'ailleurs : .eu, .be, .dk, .fr, .ro et .uk. Avec le Projet Transatlantic (nom de code de cette opération menée en collaboration avec les polices belges, danoises, française, roumaines, anglaise et européennes) le message est clair : cyber-criminels, plus la peine d'essayer de vous cacher dans des extensions non américaines. Les "paradis du nommage" ne le resteront pas longtemps !
La cause est noble. Le besoin de protéger le consommateur et l'industrie, tous deux victimes de la contrefaçon, est indéniable. Mais les chemins empruntés laissent parfois quelques dommages collatéraux, qu'il serait sans doute possible d'éviter en mettant à profit l'ensemble de l'écosystème du nommage.

Travailler avec tous les acteurs

Lors de précédentes opérations, les autorités américaines avaient ainsi débranché des sites légitimes. Pour les malheureux gestionnaires de ces sites, il avait parfois fallu attendre longtemps avant d'en récupérer l'usage. Or on le sait, quelques heures d'invisibilité suffisent souvent à mettre à genou un site Internet, qui peinera ensuite à retrouver son public. Alors on imagine assez facilement le mal que peuvent faire des jours de déconnexion.
Respecter la "chaîne de production" des noms de domaine permettraient peut-être d'éviter de tels erreurs. Par exemple, ne serait-il pas plus efficace pour les autorités de collaborer activement avec les bureaux d'enregistrement (registrars), plutôt que de se limiter à donner leurs ordres aux seuls gestionnaires d'extensions (registres) ?

Les registrars sont en relation directe avec leurs clients et les connaissent bien. Ils seraient en mesure de prévenir une sanction erronée avant qu'elle ne se produise, tout en obéissant aux ordres officiels lorsqu'ils concernent des noms réellement litigieux. Les registres, placés un cran au-dessus dans la chaine d'enregistrement, n'ont pas de contact direct avec les propriétaires de noms de domaine et ne peuvent donc prévenir les autorités d'erreurs judiciaires potentielles.

La fin justifie les moyens

Mais aujourd'hui, les effets d'annonce priment sur le bon sens. La dernière opération a permis la saisie de 123 noms. Et les douanes américaines d'expliquer que sur les 1 529 noms déjà saisis lors de précédentes opérations, 684 ont été confisqués et appartiennent maintenant au gouvernement. Cela laisse quand même 845 noms dont la confiscation est peut-être contestée, peut-être injustifiée…

Sans aucun doute, les opérations contre les noms de domaine illicites sont utiles. A l'instar du téléchargement illégal, le combat fait parfois lui-même l'objet de contestations. Mais pour la musique et les films, ce combat commence à faire ses preuves. Napster, LimeWire, MegaUpload… en faisant tomber un à un les gros receleurs, les autorités ont réduit l'offre illégale. Et les lois comme Hadopi, même mal nées, ont freiné l'appétence des consommateurs pour le téléchargement illégal et contribuer à lui donner une mauvaise image.
Les noms de domaine n'en sont pas encore là, mais comme avec le téléchargement illégal, le but est d'éradiquer le mal en allant le cueillir à la source. Certes, la méthode pourrait être plus douce, étudiée, ou précautionneuse. Mais la volonté de protéger les consommateurs et de défendre les industriels passe avant tout.