L'exigence d’accès à l’information devient nécessaire pour survivre et se distinguer

L’ampleur de la collecte d’informations à travers les réseaux sociaux, les métadonnées stockées et les interceptions en tous genres bouleversent notre capacité d’appréhension du monde.

Le philosophe Michel  Serres considère qu’après la découverte de l’écriture, qui apportait la mémoire et agrandissait le champ de l’échange,  puis celle de l’imprimerie, qui en permettait le stockage et sa diffusion, l’Humanité est en train de vivre sa troisième révolution avec l’arrivée du numérique et de l’Internet. Il faut reconnaître que cette rupture, touchant toutes les secteurs de l’activité humaine, produit sous nos yeux un nouveau modèle de société. Chacun en vit journellement les conséquences mais rares sont ceux prêts à les affronter dans le long terme alors qu’elles sont inéluctables.
L’ampleur de la collecte d’informations à travers les réseaux sociaux, les métadonnées stockées et les interceptions en tous genres bouleversent notre capacité d’appréhension du monde. Des logiciels toujours plus performants permettent d’en sélectionner les éléments utiles puis d’en analyser les composants pour apporter à l’utilisateur la synthèse optimale de l’existant. Tout ceci se réalise à une vitesse se rapprochant de l’instantané à l’image de ces transactions boursières multiples qui créent de la valeur moins par la variation des cours que par la répétition de petits profits.
Cette capacité individualisée d’accès immédiat à la connaissance et d’anticipation peut permettre au décideur de réagir dans l’instant aux attaques du concurrent ou à l’évolution d‘un marché.
Elle peut aussi paradoxalement provoquer une neutralisation générale ou une amplification exponentielle de la situation par effet d’enchainement dû à la simultanéité d’interprétation d’un signal faible.
Elle peut enfin être un facteur de totale instabilité par absence de freins et de limites dans ses réactions aux variations des paramètres sélectionnés, comme l’ont montrées les crises financières récentes.
Dans tous les cas, cette accélération générée par le temps numérique oblige  l’homme à laisser la machine se substituer à lui pour une part croissante de son activité avec tous les risques que cela suppose.
L’ampleur de la capacité d’acquisition de connaissance permet à l’individu sachant utiliser le numérique de se créer un avantage concurrentiel personnel par rapport à ceux qui n’y ont pas accès ou ne  domine pas la problématique. Cette fracture numérique qui favorise les possesseurs et utilisateurs des outils condamne tous les autres à devenir des citoyens ou des pays de seconde zone. Nous venons d’en avoir une démonstration avec l’affaire Prism dans laquelle les 35 dirigeants écoutés ont compris que toutes leurs décisions étaient connues avant leur mise en œuvre par ceux qui étaient en face tandis qu’eux même restaient dans le brouillard de l’incertitude.
Il est devenu évident que chacun doit apprendre à vivre avec ces programmes numériques et ces nouvelles technologies. Elles lui facilitent la vie domestique ou professionnelle mais réduisent considérablement sa liberté individuelle et collective. L’évolution de la pratique de la géolocalisation ou l’utilisation de la chrono localisation en sont de redoutables exemples. On est donc face à une exigence d’apprentissage dans lequel l’homme doit découvrir comment fonctionner autrement tant au niveau du comportement que dans sa perception de l’échelle des valeurs.  
La relation à l’autre change quand on substitue au contact direct l’échange en réseau social, même s’il facilite le contact entre deux humains isolés par la vie et une pratique quasi professionnelle de l’individualisme. Le nombre de caractères twittés ne remplace pas la richesse de la parole. L’Homme vivant parmi ses machines, qui le protègent et décuplent ses capacités, abdique une partie de sa liberté de choix ou d’entreprendre en contrepartie d’une sécurité apportée par l’État ou ceux avec qui il travaille. Il est cerné par l’exigence citoyenne de sécurité, la surveillance étatique pour des motifs divers et la mise en pratique généralisée du principe de précaution. Il découvre la difficulté de garder un coin secret et de préserver l’ombre de son image dans une société en évolution liberticide.
Dans un environnement qui lui échappe, l'exigence d’accès à l’information, culturellement et professionnellement, devient nécessaire pour survivre et se distinguer. Elle débouche à son paroxysme sur la transparence absolue dont la philosophie grecque nous a appris qu’après la période anarchique elle aboutit toujours à la dictature.
Ce n’est pas une raison pour rejeter ce nouveau modèle économique et social  dans lequel l’intelligence de l’Homme croisé avec celui des outils numériques peut atteindre des sommets dans l’efficacité et la rapidité d’exécution. Comme disait le Petit prince de Saint-Exupéry il faut simplement que les deux parties s’apprivoisent car elles ont tout à y gagner. Mais il ne faudra pas en devenir victime en tombant dans la démesure scientiste de celui qui croit tout savoir et tout avoir compris. Au-delà des remises en cause et des adaptations nécessaires, la réussite de notre avenir impliquera de préserver dans chacun de nous les valeurs essentielles qui sont au cœur de l’homme et de l’humanité.

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L'Académie de l'Intelligence Économique organise, en partenariat avec le JDN, la Journée nationale d’Intelligence Économique d’Entreprise qui se tiendra à l’École Polytechnique à Palaiseau, le mercredi 4 décembre 2013.
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