La France ne veut plus de l'ICANN

Le régulateur mondial de l'Internet est resté sourd aux demandes françaises de prendre en compte les intérêts nationaux dans sa gestion des extensions Internet .Vin et .Wine. La France lance donc la fronde anti-ICANN.

Elle n'a pas été entendue sur le dossier des extensions .Vin et .Wine ("vin" en Anglais). Axelle Lemaire affirme donc que "l’ICANN n'est plus l'enceinte adéquate pour discuter de la gouvernance de l'Internet."

La secrétaire d’Etat en charge du Numérique a fait le déplacement à Londres, les dimanche 22 et lundi 23 juin derniers, pour assister à la 50e réunion internationale de l'ICANN. Le principe fondateur de cet organisme est le "multi-acteurs". Toutes les parties prenantes ont voix au chapitre, pas uniquement les gouvernements.

Avant d'aller à Londres, Axelle Lemaire s'était entretenue avec François Hollande sur le dossier des extensions viticoles. La ministre avait ensuite publiquement demandé la suspension des extensions .Vin et .Wine lors d'un sommet gouvernemental organisé dans le cadre de la réunion de l'ICANN, le lundi 23 juin.

Origine contrôlée

Si la France ne veut pas de ces extensions, c'est parce si attribuées, elles seraient exploitées sans prendre en compte les appellations d'origine. "L'attribution de ces nouveaux domaines ouvre la porte à des violations potentielles de la législation internationale sur la protection des appellations géographiques," a martelé la délégation socialiste française au Parlement européen.

Si ces indications géographiques sont reconnues en France, ce n'est pas le cas pour tous les pays de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Ainsi le .Vin a ainsi été demandé par une société américaine qui compte l'opérer sur le modèle du "premier arrivé, premier servi" : si un nom de domaine est disponible, il peut être réservé par n'importe qui, sans vérification des droits du demandeur.

Axelle Lemaire a donc regretté que ses propositions "fondées sur la reconnaissance par tous que l’ICANN n’est pas l’instance compétente pour décider de la protection des indications géographiques, sujet au cœur des discussions commerciales internationales, et par conséquent son renvoi aux instances compétentes, n'aient pas été acceptées."

Mais les autres pays réunis au sein du comité gouvernemental de l'ICANN ne partagent pas tous cet avis. "Certains pays ont des inquiétudes, mais elles ne sont pas partagées par tous les pays," fut le commentaire laconique de ce comité sur ce dossier. La France n'aurait donc pas su trouver les soutiens politiques nécessaires pour appuyer son point de vue.

Risque d'aliénation ?

La réaction française est donc de rejeter l'ICANN. "Les procédures actuelles de l’ICANN mettent en lumière son incapacité à prendre en compte les préoccupations légitimes des états et à garantir une gestion commune des ressources dans le sens du respect de la diversité culturelle et de l'équilibre des intérêts dans les secteurs économiques que ses décisions affectent," fustige un communiqué du ministère de l'économie, du redressement productif et du numérique.

Pour autant, la France affirme ne pas rejeter le modèle de gouvernance multi-acteursmais constater "que l’ICANN n’est pas aujourd’hui en mesure de garantir l'indispensable égalité de traitement entre les parties prenantes."

Au sein d'un ICANN à la mentalité très anglo, les réactions à la position française vont de l'étonnement à la moquerie. "Il est normal de s'énerver quand on obtient pas tout ce qu'on veut," a résumé Fadi Chehadé, le PDG de l'ICANN à la presse britannique comme s'il parlait d'un enfant boudeur.

Une bouderie qui pourrait tourner à la vraie crise de colère. En début de semaine, la France avait menacée. Maintenant, elle concrétise. La fin de non recevoir de l'ICANN l'amène à proposer "à ses partenaires européens et à toutes les autres parties intéressées d’engager une réflexion sur l’avenir de la gouvernance de l’internet fondée sur la transparence, la redevabilité, et l'égalité des parties prenantes."

Car la France considère à présent "que l’ICANN n'est plus aujourd’hui l'enceinte adéquate pour discuter de la gouvernance de l'Internet."

La vraie question : cette position ne risque-t-elle pas plus de couper la France de la gouvernance mondiale de l'Internet que l'inverse ?