Déclaration des gains de l’économie collaborative : les plateformes mises à contribution ?

Afin d’adapter la fiscalité française à l’économie collaborative, des sénateurs proposent de faire participer les plateformes CtoC à la transmission d’informations en partenariat avec un nouvel organisme pivot, intitulé "Central". Par ailleurs, ils fixeraient à 5.000 euros par an, le seuil à partir duquel les sommes encaissées par un particulier seraient considérées comme imposables.

Dans un premier temps, les plateformes de l’économie collaborative collecteraient les informations de leurs utilisateurs afin de les identifier et de chiffrer les montants encaissés par leur intermédiaire. Celles-ci transmettraient ces éléments au Central. Cet organisme indépendant, dont le statut resterait encore à définir, serait doté d’une mission d’intérêt général encadrée par la loi.

Dans un deuxième temps, le Central consoliderait les montants générés pour déterminer si le total des gains annuels franchit le seuil de 5.000 euros à partir duquel les montants devraient être imposés. En cas de franchissement du seuil, le Central transmettrait à l’administration fiscale le total des gains que chaque particulier réaliserait. Seul l’excédent serait toutefois imposable, le seuil de 5.000 euros constituant une franchise.

Les auteurs du rapport insistent sur le fait que ce système ne serait mis en œuvre que sur la base du volontariat, à la fois pour la plateforme et pour le particulier. Ils précisent toutefois, sur la base de leurs auditions, avoir reçu un soutien de la part d’opérateurs de plateformes sous réserve de définir précisément les responsabilités des différents intervenants de la chaine. Ces opérateurs sont également soucieux de ne pas s’engager dans un processus trop contraignant, qu’il s’agisse de la technologie informatique requise ou de la quantité d’information à fournir.

En effet, une telle solution pourrait rencontrer des écueils pratiques à commencer par l’identification des utilisateurs de plateformes, dont l’inscription se fait de manière déclarative et parfois sans vérification a posteriori par l’opérateur. Au plan juridique, une telle solution n’est possible que si elle respecte notamment la réglementation en matière de traitement des données personnelles.

Une notion d’activité imposable inadaptée à l’économie collaborative

Elaborée pour des modèles traditionnels d’activité ou de monétisation d’actifs et de compétences, la loi n’a pas prévu de seuil financier à partir duquel une activité est considérée comme exercée dans un cadre professionnel à des fins commerciales. L’application qu’en font les juges et l’administration fiscale résulte donc d’une analyse au cas par cas.

A titre d’exemple, l’activité de vente en ligne entre particuliers avait soulevé déjà en 2008 des inquiétudes chez les parlementaires au titre d’une potentielle concurrence déloyale avec le commerce traditionnel (question n° 29592 du 12 août 2008 au Ministère de l’Economie). La réponse donnée le 7 octobre 2008 rappelait l’existence d’un cadre juridique et fiscal applicable à l’activité professionnelle à but lucratif. Aucune référence n’est faite à un seuil de gains encaissés, si ce n’est l’évocation d’une pratique par une plateforme de ventes aux enchères entre particuliers : « ainsi, le site de vente aux enchères eBay a-t-il récemment incité les particuliers réalisant un chiffre d'affaires de 2 000 euros mensuels générés sur trois mois consécutifs, à changer de statut. Désormais, à partir de ce seuil, le vendeur sera considéré comme professionnel ».

C’est dans cette zone grise que les plateformes de CtoC propres à l’économie collaborative, ont proposé de mettre en relation des particuliers via des sites de partage. Un indice qui ne trompe pas : leurs conditions générales de ventes ou d’utilisation contiennent bien souvent des dispositions peu précises en matière de fiscalité, renvoyant l’utilisateur de la plateforme soit à son propre conseil, soit à l’administration fiscale.

Ce manque de clarté n’est pas imputable à la plateforme. Au contraire, il s’agit d’une position prudente face à l’absence de règles précises en la matière et par la nécessité pour la plateforme de ne pas s’immiscer dans la gestion fiscale de ses utilisateurs, sous peine d’engager sa responsabilité. Il n’est donc pas rare de trouver dans les FAQ une incitation à déclarer ses gains à partir d’un seuil qui varie d’un site à l’autre.

En finir avec le flou des CGV et CGU des plateformes CtoC

Cette approche approximative et sans portée juridique est d’ailleurs relevée par le rapport, y compris du côté de l’administration fiscale. Celle-ci appliquerait par tolérance un seuil de 500 euros par mois au titre d’une activité régulière et un seuil variant de 1.500 euros à 2.000 euros par mois au titre de l’activité professionnelle.

La fixation d’un seuil précis est donc souhaitable afin de donner plus de sécurité juridique. Le particulier peut légitimement ne pas être en mesure de déterminer s’il doit déclarer ou non les sommes reçues. Quant à la plateforme, cela lui éviterait de se tenir trop à l’écart de la relation dans laquelle elle s’entremet, alors même que sa commission, prélevée sur les gains encaissés par l’utilisateur, est justifiée par cette mise en relation. Les plateformes de mises en relation CtoC auraient en effet tout à gagner à indiquer clairement les conséquences du recours à la plateforme pour les particuliers. Cela éviterait la pratique actuelle de certains plateformes qui, voulant protéger leur image, brident voire interdisent l’accès au site internet ou à l’application mobile quand l’utilisateur atteint un certain seuil de gains.

Ce rapport pose opportunément une base de travail pour offrir une stabilité fiscale au modèle économique des opérateurs de plateformes et places de marchés sur Internet. Cette stabilité est nécessaire à leur intégration dans l’économie actuelle aux côtés des modèles traditionnels.

Dans l’immédiat, les plateformes de l’économie collaborative pourront au plus s’inspirer de ce rapport tant que celui-ci ne sera pas suivi par une mise en pratique. Légiférer sur le sujet pourrait intervenir au plus tôt dans le cadre des prochaines lois de finance ou des deux projets de loi numérique du gouvernement, portés respectivement par la Secrétaire d’Etat chargée du Numérique Axelle Lemaire et le Ministre de l’Economie Emmanuel Macron.