Paris hippiques en ligne : la justice maltaise barre la route au PMU

Les juridictions maltaises refusent de reconnaître et d’appliquer l’arrêt de la Cour d’appel de Paris interdisant à un bookmaker immatriculé à Malte de proposer des paris hippiques en France. Une première dans ce domaine.

Commençons par un petit rappel des faits et des épisodes précédents. Zeturf est un bookmaker installé à Malte. Il proposait aux internautes français des paris en ligne, pratique cependant réservée au PMU. Ce dernier n'a pas tardé à réagir en saisissant le TGI de Paris, qui dans une ordonnance de référé du 8 juillet 2005, condamna la société maltaise. La Cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance de référé dans un arrêt du 4 janvier 2006.

Selon la Cour française, seul le PMU est habilité à proposer des paris en ligne effectués sur les courses de chevaux. Sa décision se fonde principalement sur la protection de l'ordre public français.

Afin de faire exécuter l'arrêt de la Cour d'appel, le PMU saisit les juridictions maltaises. Sa demande se fonde sur le règlement européen n°44/2001 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Mais la Cour d'appel maltaise donne raison à Zeturf en considérant que l'arrêt ne peut pas être exécuté à Malte car le litige relève du domaine administratif, domaine exclu du règlement.


Les juridictions maltaises contrent les décisions françaises
La Cour maltaise refuse d'appliquer le règlement CE 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale en raison du caractère administratif du litige.

La Cour d'appel maltaise analyse si les conditions de reconnaissance et d'application prévues par le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 sont remplies et si le litige présenté relève de la compétence du règlement.

Selon elle, les dispositions du règlement CE ne sont pas applicables à l'arrêt de la Cour d'appel, car le problème relève du domaine administratif et non du domaine civil et commercial.

En effet, l'article premier du règlement 44/2001 dispose :

"Le présent règlement s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives".

Bien qu'il n'existe aucune définition des matières civiles et commerciales, la Cour en conclut que le domaine relatif au droit public est généralement exclu de ces matières.

Les juges maltais se réfèrent à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes pour analyser si le litige présent entre dans le domaine "civil et commercial".

Dans un arrêt Gemeente Steenbergen c/ Luc Baten (CJCE, 14 novembre 2002, C-271/00), la Cour rappelle que "si certaines décisions rendues dans les litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privée peuvent entrer dans le champ d'application de la convention de Bruxelles, il en est autrement lorsque l'autorité publique agit dans l'exercice de la puissance publique."

En outre la Cour maltaise se réfère directement à l'arrêt français :
"Considérant sur le premier point que les dispositions françaises qui ne poursuivent pas un objectif de nature économique (le GIE -contrôlé par l'Etat- étant désintéressé et à but non lucratif comme le précise l'article 3 des statuts) ont pour objet la protection de l'ordre public français".

La Cour maltaise déduit des dispositions de l'arrêt de la Cour d'appel parisienne que le litige ne tombe pas dans la sphère du domaine privé, mais se trouve bien dans le domaine public. En effet, le but premier du monopole conservé par l'Etat français est celui de protéger l'ordre public français.

Apparemment il importe peu aux yeux des juges maltais que le PMU soit une personne morale de droit privé, dès lors que son principal objet est de protéger l'ordre public français.

Ainsi, bien que le principal problème soulevé devant la Cour française apparaisse de prime abord comme un litige de nature privée, il relève en réalité du domaine public.
Aux termes du règlement 44/2001, la Cour maltaise en conclut qu'elle n'a pas à reconnaître ni à exécuter les dispositions de l'arrêt français ( !).

Cet arrêt a surpris tout le monde, par l'audace de son raisonnement.

Il crée en tous les cas un précédent fâcheux pour les monopoles français et européens qui seraient soucieux de défendre leurs intérêts (au civil) contre des sociétés de jeux et paris en ligne établies dans d'autres Etats membres.

Il reste à voir si d'autres juridictions suivront le même exemple. L'on pense naturellement à l'Angleterre, l'autre grand pays du jeu en ligne. Notons à cet égard que Malte et le Royaume-Uni sont tous deux des pays de common law, aux traditions juridiques communes...

Cet arrêt intervient aussi à un moment crucial puisque la Commission européenne doit se prononcer dans le courant 2007 sur les plaintes en cours contre plusieurs Etats membres - dont la France -, et ce après avoir ouvert une procédure d'infraction à leur encontre...