Djamel Agaoua (Viber) "Notre objectif est de permettre l'achat en ligne sur Viber"

Chatbots, Chat Extensions, Instant Shopping... Djamel Agoua, patron français de Viber, détaille les futurs projets et fonctionnalités de l'application de messagerie instantanée.

 JDN. Où en est l'application de messagerie instantanée Viber ?

Djamel Agaoua est le CEO de l'application de messagerie Rakuten Viber. © Viber

Djamel Agaoua. Il existe aujourd'hui six applications de messagerie instantanée de taille significative dans le monde dont trois qui sont essentiellement utilisées dans un seul pays, à savoir WeChat, Line et Kakaotalk. Viber est, avec WhatsApp et Facebook Messenger, l'une des trois applications qui dispose d'une audience mondiale avec près de 900 millions d'utilisateurs inscrits (En termes d'utilisateurs mensuels actifs, le dernier chiffre communiqué par Viber  en janvier 2017 est de 260 millions, ndlr). Dans une trentaine de pays, nous enregistrons des parts de marché allant de 50% à 90%.  L'entreprise, qui fait partie du groupe Rakuten, emploie plus de 400 salariés à travers le monde et compte une quinzaine de bureaux.

Comment se répartit votre audience à travers le monde ?

L'Ukraine et la Grèce sont des pays où nous avons près de 90% de part de marché par rapport au nombre de smartphones actifs dans les pays. Viber est, d'une manière générale, très populaire en Europe de l'est, notamment en Russie, Hongrie, Bulgarie, Croatie, Ukraine ou encore en Serbie. Nous avons aussi une position dominante en Irak, aux Philippines, au Vietnam, au Sri Lanka, et au Népal avec des parts de marché comprises entre 40 et  60%. Nous disposons également d'une audience importante au Maghreb comme en Algérie et en Tunisie, ainsi que dans plusieurs pays du Moyen Orient. Enfin, nous avons une position de challenger en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis avec des PDM qui vont de 15 à 30%.

Quel est le profil de vos utilisateurs en Europe ?

Dans les pays occidentaux, beaucoup de migrants ou de seconde génération d'immigrés utilisent notre application pour rester en contact avec leur famille et leurs amis restés au pays. Il s'agit là de notre cible historique. L'application permet en effet depuis longtemps d'appeler depuis n'importe quelle ligne dans le monde à un prix très attractif grâce à notre offre  "Viber Out".

Est-il possible pour Viber d'exister sur le marché européen à côté d'un WhatsApp et d'un Messenger ?

"Même WhatsApp, qui est très utilisé en Europe, n'est pas aussi populaire aux Etats-Unis"

Il faut savoir que 80% des personnes utilisent en moyenne trois applications de messagerie différentes. Certains en utilisent même jusqu'à 5 ! En tant qu'utilisateur, nous sommes désormais habitués à passer de l'une à l'autre pour différentes raisons sans que cela nous pose de problème. Par exemple, certains vont utiliser Skype pour rester en contact avec leur réseau professionnel, tout en passant par d'autres applications pour contacter leurs amis. Il y a donc suffisamment de place pour plusieurs acteurs.

Comment expliquez-vous votre faible taux de pénétration sur le marché américain ?

Le marché américain est très atypique. Même WhatsApp, qui est très utilisé en Europe, n'est pas aussi populaire aux Etats-Unis. La raison à cela est que les opérateurs télécom américains ont rapidement rendu les SMS gratuits, anticipant le succès des applications de messagerie instantanée dans le monde. En conséquence, iMessage reste très utilisé par les américains, malgré ses fonctionnalités assez basiques en comparaison avec une application de messagerie. Notre stratégie n'est pas de viser une position de leader sur ce marché mais de développer une base d'utilisateurs sur certaines niches que sont le sport, la musique, et l'éducation.

Quelle est votre stratégie pour vous développer sur ces segments de marché ?

Notre but est de tirer parti des actifs de Rakuten, notre actionnaire unique. Rakuten a massivement investi dans le sport, en sponsorisant notamment le FC Barcelone. Nous avons donc créé le compte public du club qui rassemble près de 5 millions de followers. Ces comptes publics permettent de publier du contenu mais aussi d'organiser des discussions publiques. Nous intégrons aussi des chatbots proposant de l'actualité ou du marchandising. Ces chatbots sont configurés pour interagir avec vous les jours de match et vous propose par exemple d'élire l'homme de la rencontre. Outre le football et basketball, nous avons aussi conclu des partenariats dans d'autres sports, selon les régions, comme par exemple le Cricket au Sri Lanka ou le base-ball au Japon.

Et dans le domaine de la musique ?

"Nous ne voulions pas reproduire les erreurs de Facebook dans les bots"

En analysant nos données, nous avons remarqué que beaucoup d'utilisateurs partageaient de la musique via Viber, que ce soit à travers des liens Youtube ou des fichiers MP3. Nous avons donc conclu plusieurs partenariats dans ce domaine. Par exemple, nous avons créé les comptes publics des deux chanteurs les plus connus de Myanmar qui rassemblent, chacun, près de 7 millions de followers. Rakuten a également signé un partenariat avec la chanteuse Shakira qui dispose elle-aussi d'un compte public, d'un chatbot et de stickers personnalisés sur Viber. Pour ce type de partenariat, nous passons par un prestataire pour développer le chatbot. La célébrité s'occupe de son côté de publier du contenu. In fine, notre but est de proposer des contenus suffisamment attractifs pour que ces fans de sport et de musique voient un intérêt à utiliser Viber.

Quelles sont vos initiatives dans le secteur de l'éducation ?

Nous nous appuyons sur une entreprise appelée Overdrive (groupe Rakuten, ndlr) qui alimente en e-books la plupart des librairies publiques et écoles américaines pour reproduire numériquement l'expérience des conversations des clubs de lecture. Ces réunions de lecteurs, dont le but est de discuter d'un livre après l'avoir lu, sont en effet très populaires aux Etats-Unis.

Jusqu'à présent la plupart des chatbots présents sur la plateforme de Facebook n'ont pas vraiment convaincu. Quels sont les cas d'usage pour lesquels ces bots se révèlent utiles ?

Effectivement, nous ne voulions pas reproduire les erreurs de Facebook. Nous avons donc préféré nous montrer très sélectifs et fermer notre API. Je trouve les bots intéressants pour plusieurs usages. Par exemple, nous proposons des bots de traduction qui peuvent être invités dans une conversation afin de traduire automatiquement les messages. Les bots du domaine bancaire fonctionnent également très bien. Ces derniers permettent notamment de gérer le service client, d'accéder à son compte et même de réaliser des opérations bancaires basiques. Les bots du domaine des télécommunications qui permettent de recharger son solde de données sont très utilisés dans les pays d'Europe de l'Est. Enfin, plusieurs bots de gaming et de rencontres ont été très bien réalisés.

Viber est-elle rentable ? Quelles sont vos différentes sources de revenus actuelles ?

"Des utilisateurs qui planifient un voyage peuvent désormais utiliser l'extension Booking.com depuis notre Shopping Keyboard"

Pas encore mais nous espérons le devenir au cours de la deuxième moitié de 2019. L'une des sources de revenus de Viber est la vente de crédits de communication permettant d'appeler une ligne téléphonique. Cette source représente entre 10 et 15% de nos revenus. Elle est assez stable puisque nous avons la même proportion d'utilisateurs qui achètent ces crédits de manière récurrente, soit environ 10% de notre audience.  Il s'agit le plus souvent d'entrepreneurs qui ont besoin de contacter des clients à l'étranger.

Depuis un an, nous permettons également à des entreprises d'envoyer des messages via Viber à leurs clients ou prospects. Il peut s'agir de messages transactionnels -que l'on reçoit par exemple après avoir passé une commande- ou promotionnels. Ces messages coûtent moins cher que les sms et permettent aux marques d'obtenir un taux d'ouverture trois fois supérieur ! Enfin, la troisième source de revenus est liée à nos fonctionnalités de "Chat Extensions" et "d'Instant Shopping".

Quel est l'objectif de ces extensions et comment les monétisez-vous ?

Elles apportent d'abord de la valeur à nos utilisateurs qui n'ont plus besoin de quitter l'application pour partager un lien. Concrètement, des utilisateurs qui planifient un voyage peuvent désormais utiliser l'extension Booking.com depuis notre Shopping Keyboard pour rechercher une chambre d'hôtel. Nous monétisons cela grâce à des accords d'affiliation conclus avec ces différents partenaires. Notre fonctionnalité "Instant Shopping" fonctionne sur le même principe. Nous nous sommes rendu compte que nos utilisateurs partageaient beaucoup de photos de vêtements et de produits électroniques. Nous leur permettons ainsi, directement depuis Viber, de partager ces produits issus de catalogues de partenaires tels que Macys ou Nike.

Viber a fait l'acquisition de Chatter Commerce, une société américaine à l'origine d'un Shopping Keyboard appelé  "ShopChat". Une intégration avec celui de Viber est-elle prévue ?

Le Shopping Keyboard développé par Chatter Commerce a la particularité d'être transversal, autrement dit de pouvoir être utilisé dans différentes applications de messagerie. D'ici mi-2018, nous intégrerons effectivement ce shopping keyboard au sein de Viber. Cette fonctionnalité n'est pour le moment disponible qu'aux Etats-Unis, mais environ 25% de nos utilisateurs l'utilisent déjà de manière régulière, démontrant que ce service leur apporte une réelle valeur.

Sera-t-il possible d'acheter un produit directement au sein de Viber dans un futur proche ?

"Notre but est également d'atteindre la rentabilité afin de pouvoir continuer d'innover et d'investir"

Actuellement, l'utilisateur est redirigé vers le site pour effectuer son achat, mais c'est effectivement l'un de nos projets. Notre objectif est de lier cela à une solution de cashback en nous associant notamment à Ebates (groupe Rakuten, ndlr). Nous pourrions ainsi combiner cette fonctionnalité d'achat avec un système de récompenses, que ce soit à travers du cashback ou des points liés au programme de fidélité "Superpoints" de Rakuten. Nous sommes actuellement en phase de réflexion.

Quels sont vos projets pour la suite ? Est-ce que dépasser le milliard d'utilisateur fait désormais partie de vos objectifs ?

Nous passerons le milliard d'utilisateurs bientôt, et sûrement les 1,5 milliard un jour puisque le nombre de smartphones est en augmentation constante, mais cela n'est pas un objectif. Vous savez, augmenter le nombre d'utilisateurs n'est pas difficile. Il me suffirait par exemple d'investir quelques millions en publicité et d'offrir les appels pendant 2 mois. Mais pour quel intérêt ? Ces utilisateurs auraient-ils une valeur pour Viber ? Notre objectif est que notre application apparaisse sur la première page de votre smartphone. Avoir 100 millions d'utilisateurs qui ont installé votre application dans leurs favoris a beaucoup plus de valeur qu'un milliard d'utilisateurs qui ont placé votre application sur la septième page de leur smartphone. Nous voulons que Viber puisse vous permettre d'accéder au reste de votre smartphone et devienne l'une de vos applications principales. C'est précisément pour cela que nous avons lancé nos extensions, nos chatbots et Instant Shopping : notre objectif est que Viber devienne une plateforme de communication plus large que la messagerie. Notre but est également d'atteindre la rentabilité afin de pouvoir continuer d'innover et d'investir.

Viber donne parfois l'image d'être moins innovant que ses concurrents... 

Cette impression est pourtant usurpée. Prenez l'exemple de WhatsApp qui a récemment donné la possibilité à ses utilisateurs de supprimer un message dans les 7 minutes suivant son envoi : cette fonctionnalité a été lancée par Viber en novembre 2015 ! Depuis son intégration, ce sont d'ailleurs près de 5 milliards de messages qui ont été supprimés. Autre exemple : celui de notre fonctionnalité d'extension chat lancée il y a plus d'un an et que Messenger a lancé il y a 6 mois. Enfin, si l'application Telegram s'est bâtie une réputation d'application très sécurisée, celle-ci utilise pourtant la même technologie que la nôtre. Tout cela pour dire que, la créativité est en réalité l'une des forces de Viber. Mais il est vrai que nous avons sans doute des efforts marketing à faire pour mieux promouvoir nos capacités et nos fonctionnalités.